LES LEÇONS DE BASTIAT DANS UN MONDE EN CRISE (Version imprimée)
par
Adam Liska*
Le Québécois Libre, 15 février 2009, No 264.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/09/090215-5.htm
« Le capitalisme touche à sa fin. » |
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-Immanuel Wallerstein, Le Monde, le 11
octobre 2008 |
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Nous sommes en crise. Récemment, les leaders mondiaux se sont
entendus pour agir de concert contre celle-ci. Mais cette crise, c'est
quoi?
De tous les cotés, on entend dire que l'on doit renverser le système
financier mondial et mettre fin à la cupidité des patrons et des
capitalistes. Il faut faire en sorte que cette fois, on ne loupera pas
l'opportunité de rendre le monde un peu plus juste. Ce cri se présente
sous d'innombrables formes. Mais ce que ses diverses incarnations ont en
commun, c'est la personnification de l'État. Elles réclament un État
activiste, un État qui s'occupe de son peuple.
Cependant, ces appels sont souvent fallacieux. J'ai choisi la citation
d'Immanuel Wallerstein parce que dans les médias, c'est exactement cette
phrase qui nous est présentée. Elle dépeint notre système comme étant un
capitalisme pur. Et les fautes de ce système, comme des fautes
intrinsèques au capitalisme. On est pourtant loin d'y être.
Selon Mises, « on appelle habituellement "société capitaliste" une
société où les principes libéraux sont appliqués » (Le Libéralisme,
1927). Dans les sociétés occidentales, on constate toutefois que la
réglementation touche tous les aspects de nos vies et que notre revenu
est imposé à un taux plus élevé que jamais.
Comment peut-on se faire une opinion au milieu de tout ce tumulte? Je
propose une solution fructueuse: lire de grandes oeuvres libérales.
Bastiat a changé ma perception
J'ai « rencontré » Frédéric Bastiat pour la première fois il y a sept
ans quand j'ai commencé à assister aux séminaires du Centre d'études
économiques et politiques, à Prague. C'était une période très
enrichissante. J'étais encore au lycée et mes idées se formaient. Au
cours de cette année, on a célébré le bicentenaire de la naissance de
Bastiat. Le Centre, pour lui rendre hommage, a organisé un séminaire
consacré à ce philosophe, économiste, journaliste et ex-député français.
Le « Dossier Bastiat », avec de nouvelles traductions de ses oeuvres
classiques en tchèque, a changé ma perception du monde et de l'État.
Ce qui m'a fasciné le plus – et continue de me fasciner –, c'est la
clarté et l'intemporalité de ses idées. Quand on lit un journal ou qu'on
regarde des débats politiques, on peut toujours se servir de son
argumentation. Ou, inversement, ce qui est peut-être plus étonnant,
c'est que quand on lit des oeuvres de Bastiat, on a l'impression que le
monde n'a pas changé. Le contenu des discussions dans tous les
parlements à travers le monde est essentiellement le même. Seules les
circonstances sont différentes.
Mais qu'est-ce que ça signifie? Et que peut-on en retirer?
Le thème central de l'oeuvre de Frédéric Bastiat, c'est le rôle de
l'État dans la vie privée et professionnelle des gens. En général,
l'État est un concept très délicat. Si vous demandez à dix personnes de
vous fournir leurs définitions, vous aurez dix caractérisations tout à
fait différentes. Si l’on tient compte du fait que l'État est
omniprésent dans la vie moderne, ce manque de clarté est assez
surprenant. Dans L'État (1848), Bastiat écrit:
« Quant à nous, nous pensons que l'État, ce n'est
ou ce ne devrait être autre chose que la force commune instituée,
non pour être entre tous les citoyens un instrument d'oppression et
de spoliation réciproque, mais, au contraire, pour garantir à chacun
le sien, et faire régner la justice et la sécurité. »
Ce que nous observons aujourd’hui correspond-il à
cette définition?
La prépondérance exagérée de la politique
Durant la récente campagne présidentielle américaine, j'ai souvent pensé
à Bastiat. Il a bien remarqué que la loi était pervertie – « la Loi,
dis-je, non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre
un but directement contraire. La loi devenue l'instrument de toutes les
cupidités, au lieu d'en être le frein! » Un des effets « de cette
déplorable perversion de la Loi, c'est de donner aux passions et aux
luttes politique, et, en général, à la politique proprement dite, une
prépondérance exagérée » (La Loi, 1850).
Aurait-il pu être plus juste? Aux États-Unis, nous avons vu la campagne
la plus longue et la plus coûteuse de l'histoire du pays. Les deux
candidats présidentiels ne cessaient pas de proposer de nouvelles
mesures législatives et monétaires afin de gagner des électeurs
ignorants. Ces électeurs ne voient que les effets directs des politiques
proposées. D'après Bastiat, l'État a toujours deux mains. Une main douce
et une main rugueuse. S'il donne quelque chose à quelqu'un, il doit
aussi entrer dans les poches des autres pour s'approprier leurs gains.
Le métier d'un politicien est de présenter la première et de cacher la
deuxième. C'est la raison pour laquelle les électeurs croient toujours
que la main douce peut être plus grande que la main rugueuse.
Mais cette illusion est très dangereuse. À cause d'elle, il devient
impossible de sortir du cercle vicieux décrit par Bastiat. L'ancien
gouvernement est remplacé par un nouveau. Mais, malheureusement, le
nouveau « n'est pas moins embarrassé que l'État ancien, car, en fait
d'impossible, on peut bien promettre, mais non tenir » (L'État).
Selon Bastiat, pour bien comprendre ce qui se passe, on doit toujours
reconnaître les effets indirects comme les effets directs.
La même logique se répète dans d'autres situations. Considérons, par
exemple, le sauvetage des trois constructeurs automobile américains –
General Motors, Chrysler et Ford. Pour que l'État puisse les sauver, il
doit avoir de l'argent. Mais comment peut-il obtenir de l'argent? Il n'y
a que trois sources: prélever des impôts, emprunter ou imprimer de
l'argent. Et toutes les trois ne sont, en fait, que des formes d'impôts.
Que penserait Bastiat?
Ce serait intéressant si Frédéric Bastiat revenait pour voir et
commenter le monde d'aujourd'hui. Serait-il surpris que les étatistes
emploient les mêmes instruments qu’à son époque pour se maintenir en
poste? Serait-il étonné par les développements politiques et économiques
aux États-Unis?
Dans son essai-pamphlet L'État, il a comparé les articles
principaux de deux constitutions – celle de la France de 1848 et celle
des États-Unis. Si on les regarde de près, on constate une différence de
conception. Les Français invoquent l'État pour « faire parvenir tous les
citoyens [...], par l'action successive et constante des institutions et
des lois, à un degré toujours plus élevé de moralité, de lumières et de
bien-être ». Par contre, les Américains disent: « Nous, le peuple des
États-Unis, pour former une union plus parfaite, établir la justice,
assurer la tranquillité intérieure, pourvoir à la défense commune,
accroître le bien-être général et assurer les bienfaits de la liberté à
nous-mêmes et à notre postérité, décrétons, etc. » Dans ce dernier, il
n'y a point de « création chimérique » d'un État tout-puissant.
Mais quel résultat concret observe-t-on un siècle et demi plus tard?
Bastiat, dans une autre oeuvre, La Loi (1850), décrit les
États-Unis comme un pays « où la Loi reste le plus dans son rôle, qui
est de garantir à chacun sa liberté et sa propriété ». Malheureusement,
cela fait longtemps que cette situation a été renversée. Même la
constitution restrictive des États-Unis n'a pas empêché les partisans de
l'étatisme et de la réglementation d'atteindre leur but.
Y a-t-il une solution durable? Qu'est-ce que Bastiat proposerait? C'est
à nous qu’il revient de trouver des réponses. Hélas, ce qui nous manque,
c'est un combattant pour la liberté comme Frédéric Bastiat. Sa capacité
extraordinaire d'expliquer les notions essentielles dans une langue
claire et de manière humoristique n'est pas d’égal aujourd’hui.
Néanmoins, cela n'est pas un obstacle insurmontable. On doit concevoir
que la société s’appuie sur des fondements qui ne sont ni complexes ni
cachés. Au centre, il y a un homme qui agit – qui agit librement par
l'application de ses facultés sur son environnement et qui a le droit de
protéger sa personne et ses productions. C’est cet homme qui faisait
l'objet des oeuvres de Frédéric Bastiat. Bastiat est mort. Mais ses
idées sont toujours vivantes et actuelles. Est-ce qu'on peut dire la
même chose du combat pour la liberté?
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Adam Liska étudie les Mathématiques à Prague, en République
tchèque. Il est arrivé 3e au concours Bastiat organisé par
unmondelibre.org. |