Montréal, 15 mars 2009 • No 265

 

Introduction du livre Le Socialisme - Étude économique et sociologique, Éditions M.-Th. Génin – Librairie de Médicis – Paris (1938).

 

 

MOT POUR MOT

LE SOCIALISME (INTRODUCTION)

 

par Ludwig von Mises (1881-1973)

 

1. Le succès des idées socialistes

          Socialisme, tel est le mot d'ordre de notre temps. Aujourd'hui l'idée socialiste règne sur les esprits. Les masses lui sont attachées, elle pénètre la pensée et le sentiment de tous, elle donne son style à notre époque que l'histoire dénommera l'ère du socialisme(1).

 

          Sans doute l'édification de l'État socialiste, tel qu'il répondrait à l'idéal socialiste, n'est point encore achevée. Mais depuis plus d'une génération la politique des peuples civilisés n'a pas d'autre but que la réalisation progressive du socialisme. Dans ces dernières années, la politique de socialisation n'a cessé d'accroître la puissance de son action. Certains peuples ont entrepris de mettre d'un seul coup en pratique, et jusque dans ses plus extrêmes conséquences, le programme socialiste. Sous nos yeux, le bolchevisme russe a accompli une oeuvre dont on peut discuter la signification, mais qui, ne fût-ce que pour son destin grandiose, comptera parmi les événements les plus remarquables qu'ait enregistrés l'histoire. Ailleurs, on n'est pas allé si loin. Chez les autres peuples, l'accomplissement des plans socialistes a été entravé seulement par les contradictions internes du socialisme et par l'impossibilité de sa réalisation. Mais ils ont cherché eux aussi à le faire progresser autant que les circonstances le permettaient. Nulle part le socialisme ne rencontre d'opposition foncière. Trouverait-on aujourd'hui un parti influent qui ne fît délibérément le champion de la propriété individuelle pour ce qui est des moyens de production? À notre époque, le mot « capitalisme » a pris un sens nettement péjoratif. Même les adversaires du socialisme n'échappent pas à l'emprise de ses idées. Prenez ces partis qui s'intitulent « bourgeois » ou « paysans ». Ils entendent combattre le socialisme au nom des intérêts particuliers de leurs classes et reconnaissent ainsi indirectement la justesse des parties essentielles de la conception socialiste. Car opposer au programme socialiste le seul fait qu'il lèse les intérêts particuliers d'une fraction de l'humanité, c'est le reconnaître implicitement. Reprocher à l'organisation économique et sociale, fondée sur la propriété privée des moyens de production, de ne pas assez tenir compte des intérêts de la communauté, de favoriser seulement certaines couches, d'entraver la productivité et, pour cette raison exiger, avec les partisans des diverses tendances de « politique sociale » et de « réformisme social » l'intervention de l'État dans tous les domaines de l'économie politique, qu'est tout cela sinon une adhésion de principe au programme socialiste? Et si l'on objecte au régime socialiste, que, pour l'instant, en raison de l'imperfection de la nature humaine, il est encore impraticable, ou que, étant donné la situation économique actuelle il est inopportun de mettre dès maintenant le socialisme en pratique, cela encore équivaut à une reconnaissance des idées socialistes. Le nationalisme lui-même ne nie pas le socialisme. Il lui reproche seulement d'être « international ». Le nationalisme veut combiner le socialisme avec les pensées d'impérialisme et de lutte contre les peuples étrangers; il n'est pas socialiste international, mais socialisme national. En réalité, lui aussi est adepte du socialisme(2).

          Les tenants du socialisme ne sont pas seulement les bolcheviks et leurs amis en dehors de la Russie, ni ceux qui adhèrent à l'une des nombreuses variétés du socialisme. Tous ceux qui considèrent le régime socialiste comme supérieur, économiquement et moralement, au régime fondé sur la propriété privée des moyens de production, il faut les ranger au nombre des socialistes, quand bien même, pour des raisons actuelles ou permanentes, ils cherchent un compromis entre leur idéal socialiste et certains intérêts ou aspirations particuliers, dont ils se croient les représentants. Si l'on prend l'expression: socialiste, au sens large, on reconnaîtra sans peine qu'aujourd'hui la grande majorité des gens se trouvent du côté socialiste. Bien peu se proclament partisans des principes du libéralisme qui voit dans le régime fondé sur la propriété privée des moyens de production la seule forme possible de l'économie nationale.

          On s'est habitué à n'appeler socialiste que la politique qui vise à réaliser immédiatement et complètement le programme socialiste. On dénie cette appellation à tous les partisans des tendances qui veulent atteindre le même but, mais avec mesure et par étapes. On va jusqu'à traiter d'ennemis du socialisme ceux qui entendent ne mettre le socialisme en pratique qu'avec certaines restrictions. Or rien mieux que ces constatations ne saurait prouver l'ampleur du succès des idées socialistes. Cette acception du mot a pu s'acclimater, parce qu'il n'y a plus pour ainsi dire de véritables adversaires du socialisme. Même en Angleterre, patrie du libéralisme, et qui grâce à sa politique libérale a grandi et s'est enrichie, on ne sait plus aujourd'hui exactement en quoi consiste le libéralisme. Les « libéraux » anglais d'aujourd'hui sont plus ou moins des socialistes modérés(3). L'Allemagne n'a jamais eu d'époque vraiment libérale; par sa politique antilibérale elle s'est affaiblie et appauvrie; et de nos jours l'on y trouverait à peine une vague notion de ce qu'est vraiment le libéralisme.

          La puissance du bolchevisme repose sur l'éclatant succès qu'ont remporté les idées socialistes depuis une trentaine d'années. Ce n'est point les canons ou les mitrailleuses dont disposent les soviets qui font la force du bolchevisme, mais le fait que ses idées sont accueillies dans le monde entier avec sympathie. Beaucoup de socialistes tiennent pour prématurée l'entreprise bolchevique et attendent seulement de l'avenir la réalisation du socialisme. Cependant, aucun d'entre eux n'échappe à l'influence des peuples par lesquelles la IIIe Internationale appelle tous les peuples à la lutte contre le capitalisme. Sur toute la terre, le bolchevisme fait battre les coeurs. Chez les faibles et les tièdes, il rencontre cette sympathie mêlée d'effroi et d'admiration qu'un apôtre courageux éveille dans l'esprit d'opportunistes anxieux. Les audacieux et les logiques ne rougissent pas de saluer en lui l'aurore d'une ère nouvelle.
 

2. La critique scientifique du socialisme

          Les socialistes ont pris comme point de départ de leurs doctrines la critique de l'organisation bourgeoise de la société. Du reste nul n'ignore qu'ils ont procédé assez maladroitement. Ils ont méconnu les connexions les plus importantes du mécanisme économique; ils n'ont montré aucune compréhension pour la fonction remplie par les différents organes d'un ordre social fondé sur la propriété privée des moyens de production. Il n'était pas difficile de montrer toutes les fautes commises par les théoriciens socialistes dans leur analyse du processus économique. On a prouvé que toutes leurs doctrines économiques ne faisaient que masquer des erreurs grossières. Savoir si la société capitaliste est plus ou moins défectueuse ne suffit pas pour décider si le socialisme serait capable d'instaurer quelque chose de meilleur à sa place. Il ne suffit pas d'avoir démontré l'imperfection d'un État social fondé sur la propriété privée des moyens de production et créateur d'un monde qui n'est pas le meilleur des mondes. Il faut encore prouver que l'organisation socialiste serait meilleure. Cette preuve, bien peu de socialistes ont essayé de l'administrer. Ceux qui l'ont tenté, l'ont fait le plus souvent sans aucune méthode scientifique, parfois même avec une grande légèreté. La science du socialisme n'a pas dépassé les premiers tâtonnements. La faute en est précisément à cette fraction du socialisme qui a pris le nom de « socialisme scientifique ». Le marxisme ne s'est pas contenté de montrer l'avènement du socialisme comme une nécessité inéluctable de l'évolution de la société. S'il n'avait fait que cela, il n'aurait pu exercer sur l'étude scientifique des problèmes sociaux une influence aussi pernicieuse qu'indéniable. S'il s'était borné à indiquer le régime socialiste comme la forme la plus parfaite de la vie sociale, il n'eût pas encore été aussi nocif qu'il le fut en évinçant par toute sorte de tours de passe-passe l'étude scientifique des problèmes sociologiques et en empoissonnant l'atmosphère intellectuelle de l'époque.

          D'après la conception marxiste, la conscience est déterminée par l'existence collective. Les idées qu'un auteur exprime sont déterminées par son appartenance à telle ou telle classe sociale. Il n'est pas en son pouvoir de déborder sa classe et de libérer sa pensée de la tendance qui lui prescrit son intérêt de classe(4). On conteste ainsi la possibilité d'une science générale, valable pour tous les hommes sans distinction de classe. Aussi Dietzgen était-il conséquent, lorsqu'il se mit à édifier une logique prolétarienne(5). Car la vérité est l'apanage de la science prolétarienne. « Les pensées de la logique prolétarienne ne sont pas des pensées partisanes, mais tout simplement les conséquence de la logique(6). » C'est ainsi que le marxisme se protège contre toute critique désagréable. Il ne réfute pas l'adversaire, il se contente de le traiter de bourgeois(7). Pour critiquer les travaux de ceux qui pensent autrement, le marxisme représente leurs auteurs comme étant les valets vendus de la bourgeoisie. Marx et Engels n'ont jamais essayé de réfuter leurs adversaires par des arguments; ils les ont bafoués, insultés, vilipendés, calomniés et leurs successeurs n'ont fait que renchérir. Leur polémique attaque la personne de l'adversaire et jamais ses démonstrations. Bien peu ont résisté à de pareils procédés de combat. Il en est peu, très peu, qui aient eu le courage d'affronter le socialisme en usant de cette critique que le penseur scientifique a le devoir d'appliquer partout avec rigueur. C'est la raison pour laquelle partisans et adversaires du socialisme ont observé scrupuleusement l'interdiction promulguée par le marxisme de discuter d'une manière précise les conditions économiques et sociales de l'État socialiste. En indiquant que la socialisation des moyens de production est d'une part la fin vers laquelle tend incessamment l'évolution économique avec la nécessité des lois naturelles, d'autre part que cette socialisation est le but de son effort politique, le marxisme établit, dans ses traits essentiels l'image de la société socialiste, fondée sur une série d'arguments élimés, avait le but suivant: empêcher que dans une discussion sur la structure d'une des formes possibles de la société socialiste les faiblesses de la doctrine marxiste n'apparussent trop clairement. Une mise à nu de ce qu'il y a d'essentiel dans la société socialiste eût pu devenir dangereuse pour la ferveur avec laquelle les masses attendaient du socialisme la délivrance de tous les maux terrestres. Ce fut une des plus adroites manoeuvres de Marx, d'étouffer ces enquêtes dangereuses qui avaient causé la ruine de toutes les théories socialistes antérieures. Si le socialisme a pu, à la fin du XIXe siècle et au commencement du XXe, parvenir au premier rang des partis politiques, il le doit à cette interdiction de discuter et d'approfondir ce qu'est la société socialiste.
 

« La discussion des problèmes de l'économie socialiste n'est pas seulement d'une importance capitale si l'on veut saisir l'opposition qui sépare la politique libérale de la politique socialiste. Sans elle, l'on ne saurait concevoir la situation qui s'est établie depuis qu'a commencé le mouvement d'étatisation. »


          On ne saurait mieux justifier cet exposé qu'en citant un passage des oeuvres d'Hermann Cohen. Cet écrivain est l'un de ceux qui, dans les dernières décades avant la guerre, exercèrent l'influence la plus forte sur la vie intellectuelle de l'Allemagne. « Aujourd'hui, écrit Cohen, personne n'est plus assez sot pour se montrer réfractaire au "bon fond" de la question sociale et donc, même d'une manière déguisée, à l'inéluctable nécessité d'une politique sociale. Il n'y a plus que les gens de mauvaise volonté ou de bonne volonté insuffisante. C'est seulement cette manière de pensée défectueuse qui explique la prétention par laquelle on essaie de porter le trouble dans le Parti socialiste en lui demandant de dérouler en spectacle public le tableau de son État de l'avenir. À la place des revendications morales, on met le tableau de l'État, alors que la conception de l'État découle de la conception du droit. En bouleversant les conceptions, l'on confond l'éthique socialiste avec la poésie des utopies. Or l'éthique n'est pas la poésie, et l'idée n'a pas besoin d'image pour être vraie. Son image c'est la réalité, qui ne peut naître que d'après le modèle fourni par l'éthique même. L'idéalisme de justice du socialisme est devenu aujourd'hui une vérité courante de la conscience publique, quoiqu'elle ne soit encore qu'un secret de Polichinelle. Il n'y a plus que l'égoïsme, ennemi de tout idéal, la cupidité la plus crue – c'est-à-dire le véritable matérialisme – pour lui refuser créance(8). » Celui qui pensait et écrivait ainsi était considéré par beaucoup comme le plus grand et le plus hardi penseur allemand de son temps, et les adversaires de sa doctrine eux-mêmes avaient de l'estime pour son activité intellectuelle.

          Et précisément pour cette raison, l'on doit souligner que Cohen non seulement admet sans aucune critique préalable toutes les revendications socialistes, mais qu'il traite d'individus moralement méprisables tous ceux qui « songent à porter le trouble dans le socialisme de parti en exigeant des éclaircissements sur les problèmes de la constitution économique du socialisme ». Qu'un penseur qui autrement dans sa critique ne ménage rien, réfrène toute audace devant une puissante idole de son temps, c'est là un phénomène qu'on peut observer assez souvent dans l'histoire intellectuelle. On fait le même reproche à Kant, le grand modèle de Cohen(9). Mais qu'un philosophe reproche leur mauvaise volonté, leur pensée médiocre, leur cupidité crue, non seulement à ceux qui sont d'une autre opinion que lui, mais à ceux qui oseraient poser une question sur un problème dangereux pour les tout-puissants, voilà qui heureusement n'est pas fréquent dans l'histoire de la philosophie.

          Celui qui ne se soumettait pas sans restriction à cette contrainte était maudit et hors la loi. Et ainsi, d'année en année, l'idée socialiste gagna du terrain, sans que personne eût pensé à examiner à fond ses conditions. Si bien qu'il arriva un jour où le socialisme marxiste, ayant pris le pouvoir, se mit en devoir d'exécuter intégralement son programme et dut reconnaître alors qu'il n'avait pas la moindre notion de ce vers quoi ses efforts avaient tendu pendant des dizaines et des dizaines d'années.

          La discussion des problèmes de l'économie socialiste n'est pas seulement d'une importance capitale si l'on veut saisir l'opposition qui sépare la politique libérale de la politique socialiste. Sans elle, l'on ne saurait concevoir la situation qui s'est établie depuis qu'a commencé le mouvement d'étatisation et de municipalisation. L'économie politique, par une étroitesse de vue compréhensible mais regrettable, a jusqu'ici exclusivement étudié le mécanisme d'une économie fondée sur la propriété privée des moyens de production. Il s'est ainsi produit une lacune qui ne peut subsister plus longtemps.

          Savoir si la société doit être construite sur le fondement de la propriété privée ou sur celui de la propriété collective des moyens de production est un problème politique que la science ne pourra jamais résoudre; elle ne peut formuler aucun jugement sur la valeur ou la non-valeur des formes d'organisation de la société. Cependant, elle seule est en mesure, par une étude des effets précis de certaines institutions, de créer des bases grâce auxquelles nous pourrons progresser dans la connaissance de la société. L'homme d'action, le politique, négligent parfois sans y prêter attention les résultats de ce travail; le penseur, lui, ne cessera jamais de fouiller les dernières choses encore accessibles à notre examen. Aussi bien c'est la pensée qui finalement détermine l'action.
 

3. Les méthodes économico-sociologiques et psychologico-culturelles de critique du socialisme

          Pour traiter les problèmes que le socialisme pose à la science deux méthodes se présentent.

          On peut considérer le socialisme d'un point de vue philosophique et culturel, en essayant de le classer dans l'ensemble des phénomènes culturels. L'enquête alors se porte sur son ascendance spirituelle, on examine ses rapports avec toutes les autres formes où se manifeste la vie sociale, on pénètre jusqu'à ses sources cachées dans l'âme de chaque individu; on s'efforce de la comprendre en tant que phénomène de masses. On étudie ses prolongements dans la religion et la philosophie, l'art et la littérature. On s'efforce de démontrer dans quelles relations il se trouve avec les sciences naturelles et les sciences morales de son temps. On le considère en tant que style de vie, extériorisation de l'état d'âme, expression de conceptions éthiques et esthétiques. C'est la voie psychologico-historique. Voie très fréquentée avec production de livres et articles très nombreux.

          On ne peut jamais juger a priori une méthode scientifique. Une seule pierre de touche vérifie sa valeur: le succès. Il est fort possible que la méthode psychologique historique puisse contribuer à la solution des problèmes posés à la science par le socialisme. Jusqu'à présent ses résultats sont peu satisfaisants. Cela est dû non seulement à l'insuffisance et aux préjugés politiques de ceux qui l'ont employée, mais avant tout au fait que l'étude des problèmes doit être entreprise d'abord du point de vue de la sociologie et de l'économie politique et seulement après du point de vue de la psychologie et de l'histoire culturelle. En effet, le socialisme a pour programme la transformation de la constitution sociale et économique selon un certain idéal. Si l'on veut se rendre compte de l'influence qu'il exerce dans les autres domaines de la vie intellectuelle et culturelle, il faut d'abord avoir mis en pleine clarté son importance sociale et économique. Tant qu'il subsiste là-dessus quelque doute, il serait puéril d'aborder son interprétation historique, culturelle et psychologique. On ne peut rien écrire d'exact au sujet de ses répercussions sur la religion et sur la vie publique, tant qu'on a une image indécise de sa véritable essence. Il n'est pas admissible de discourir sur le socialisme avant d'avoir d'abord étudié à fond le mécanisme d'un ordre économique reposant sur la propriété collective des moyens de production.

          On s'en aperçoit clairement pour chacun des points où intervient l'examen psychologique culturel historique. On admet que le socialisme est la dernière conséquence du concept d'égalité démocratique sans avoir réfléchi à ce que signifient exactement: démocratie et égalité et quels sont leurs rapports, sans avoir approfondi si le socialisme se rattache en première ligne, ou pas du tout, à l'idée d'égalité. Tantôt l'on dit que le socialisme est une réaction du sentiment contre la dévastation des âmes produite par le rationalisme inséparable du capitalisme, tantôt l'on dit que son but est de réaliser dans la vie publique le parfait rationalisme que le capitalisme est impuissant à jamais atteindre(10). Inutile de parler de ceux qui enveloppent leurs déductions culturelles sur le socialisme dans une mystique confuse et des phrases obscures.

          Les enquêtes menées dans cet ouvrage seront consacrées aux problèmes du socialisme touchant la sociologie et l'économie politique. Ils doivent être examinés avant les problèmes de psychologie culturelle. C'est seulement d'après les résultats d'un pareil travail que l'on peut entreprendre une enquête sur la psychologie culturelle du socialisme. C'est seulement grâce à ces enquêtes que l'on trouvera une base solide pour des écrits, plus agréables évidemment au grand public, sur la valeur générale, humaine, du système intellectuel socialiste.

 

1. « Dès aujourd'hui, l'on est en droit d'affirmer que la philosophie socialiste moderne n'est pas autre chose que la reconnaissance consciente et catégorique de principes sociaux, auxquels pour la plupart on se conformait déjà inconsciemment. L'histoire économique de ce siècle est une énumération presque ininterrompue des progrès du socialisme. » Cf. Sidney Webb: Die historische Evolution (Collection des Réformateurs socialistes anglais. Fabian Essays, édition Grundwald, Leipzig, 1897), p. 44.
2. Fr. W. Foerster fait remarquer que le mouvement a fêté son véritable triomphe « dans les coeurs des classes possédantes »; et c'est « ce qui enlève à ces classes la force morale nécessaire pour résister ». (Cf. Foerster, Christentum und Klassenkampf, Zürich, 1908, pp. 11 et suiv.) – Dès 1869 Prince-Smith constatait que les idées socialistes avaient trouvé des adhérents dans les milieux des chefs d'entreprise. Il écrit que parmi les hommes d'affaires, quelque singulier que cela paraisse, il y en a qui ont une notion si confuse de leur propre action au sein de l'économie nationale, qu'ils tiennent pour plus ou moins fondées les conceptions socialistes. Ne se rendant pas compte de tout ce qui milite contre elles, ils n'ont pas la conscience tranquille, comme s'ils étaient contraints d'avouer que leurs gains sont réalisés au détriment de leurs ouvriers. D'où leurs hésitations et leur embarras croissant. Et cela est le pire. Notre civilisation économique sera singulièrement menacée si ses représentants les plus autorisés ne puisaient plus dans le sentiment de leur parfait bon droit le courage nécessaire pour en défendre les bases avec la plus opiniâtre énergie. (Cf. Prince-Smith, OEuvres complètes, t. Ier, Berlin, 1877, p. 362. Prince-Smith n'était point, il est vrai, homme à discuter d'une manière critique les théories socialistes.
3. Le programme officiel des libéraux anglais le montre nettement. Cf. Britain's Industrial Future Being the Report of the Liberal Industrial Inquiry, Londres, 1928.
4. « La science existe seulement dans la tête des savants. Or ceux-ci sont des produits de la société d'où ils ne peuvent sortir et qu'ils ne peuvent dépasser. » Kautsky, Die soziale Revolution, 3e éd., Berlin, 1891, II, p. 39.
5. Cf. Dietzgen, Briefe über Logik, spezielle demokratish-proletarische Logik (Internat. Bibliothek, tome 22, 2e éd., Stuttgart, 1903, II, p. 112): « Enfin la logique mériterait déjà d'épithète de prolétarienne, parce que pour la comprendre, il est indispensable de surmonter tous les préjugés où s'englue le monde bourgeois. »
6. Ibid.
7. Par une ironie piquante de l'histoire, Marx lui-même n'a pas évité ce traitement. Untermann trouve que « la pensée de penseurs prolétariens types de l'observance marxiste » contient encore « des survivances d'époques intellectuelles périmées. Ces survivances seront d'autant plus fortes, que les étapes de la pensée de ces hommes avant leur conversion au marxisme et dans un milieu bourgeois ou aristocratique auront été plus longues, ce qui fut notamment le cas pour Marx, Engels, Plechanow, Kautsky, Méring et autres marxistes éminents. » (Cf. Untermann, Die logischen Mängle des engeren Marxismus, Munich, 1910, p. 125.) – Et dans son ouvrage: Zur Psychologie des Sozialismus, nouvelle édition, Iéna, 1927, p. 17, De Man écrit: pour comprendre « les particularités et les différences de doctrine » il ne faut pas oublier « à côté du fond social général sur lequel un penseur se détache, son destin économique et social, par exemple, le destin bourgeois de Marx, ancien étudiant des universités ».
8. Cf. Cohen, Introduction, avec supplément critique, à la neuvième édition de l'Histoire du Matérialisme (Geschichte des Materialismus) de Friedrich Albert Lange, 3e édition augmentée, Leipzig, 1914, p. 115. – Cf. également Natorp, Sozialpädagogik, 4e édition, Leipzig, 1920, p. 201.
9. Cf. Anton Menger, Neue Sittenlehre, Iéna, 1905, p. 45. pp. 62.
10. Muckle (Das Kulturideal des Sozialismus, Munich, 1919) va même jusqu'à attendre du socialisme l'avènement de la « parfaite rationalisation de la vie économique » et « la libération de la plus terrible des barbaries: le rationalisme capitaliste » (pp. 208 et 213).

 

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