Encore une fois, on fait du wishful thinking. Si les
productions de l’ONF amassent la poussière sur les tablettes
de la Grande Bibliothèque, imaginez comment elles
doivent en amasser dans les clubs vidéo autochtones! À part
Mme Obomsawin et quelques artistes autochtones qui ont su
bénéficier du système de culture subventionnée (grâce, entre
autres, à leur statut), les membres des Premières Nations
« qui se sont reconnus » dans la dernière production de l’Office
doivent se compter sur les doigts d’une main.
« Hier, c'était une
institution exceptionnelle. Aujourd'hui, c'est une
institution en voie de disparition, s'inquiète pour sa part
le réalisateur-auteur Jacques Godbout dans
sa capsule vidéo. Demain, ce pourrait être tout autre,
mais on est au Canada, où on a l'art de se détruire et de se
tirer dans le pied. » Puis, il ajoute: « Il faut des sous!
Mais on n'a pas besoin de milliards. […] Ce ne serait pas
énorme, ce qu'il faut ajouter au budget de l'Office pour en
faire une institution valable. Mais ça prend des sous. »
En temps de crise, il est
sage de montrer un peu de retenu. M. Godbout – visiblement
nostalgique d’une époque révolue et toujours aussi
pessimiste – évite bien de mentionner combien de sous il
nous faudrait « collectivement » détourner pour faire de l’ONF
« une institution valable ». Un camarade abonde
dans le même sens dans une autre vidéo.
« L’ONF, ça ne coûte même
pas, je dirais, le cinquième d’un avion militaire, souligne
de son côté le producteur Roger Frappier dans sa capsule
vidéo. Alors, c’est pas très cher de garder ça en vie. Mais
ça rapporte tellement plus. Ça a tellement de ramifications
à tous les niveaux. Oui ça prend de l’argent, mais on ne
parle pas de milliards de dollars. Absolument pas. »
Au moins, il ne nous fait
pas le coup du coût de la tasse de café par jour! Comme je l’ai déjà
écrit
sur le Blogue du QL, les artistes utilisent
souvent l’argument militaire pour justifier les subventions
à la culture – surtout lorsque les conservateurs sont au
pouvoir –, comme si les deux avaient un quelconque
rapport... L’argument va comme suit: le Canada dépense des
fortunes en armement, il peut bien utiliser une infime
fraction de ces montants pour financer la culture. Cette
comparaison, vous en conviendrez, est un tantinet
démagogique.
L’auteur (de moins en
moins libertarien) Tyler Cowen, qui se spécialise dans les
arts et leur financement d’un point de vue « free market »,
offre un contre-argument à l’argument militaire dans son
livre Good & Plenty: The Creative Successes of American
Arts Funding. Il y mentionne au passage ce qu’il appelle
la « “What about the Haitians? ” Critic » – ou l’« argument
“Et les Haïtiens, dans tout ça?” »
Imaginons, pour les fins
de l’exercice, qu’il en coûte 2000 $ pour protéger un enfant
d’Haïti (ou d’Inde, ou de n’importe lequel des pays en voie
de développement) contre toutes sortes de maladies
mortelles. Prenons ensuite la somme des fonds publics
investis par Ottawa dans l’ONF et divisons-la par tranches
de 2000 $. On en vient à la conclusion suivante: à l’aide
des 67 millions $ que le Canada engloutit dans l’Office, on
pourrait sauver la vie de 33 500 enfants chaque année. Donc,
le financement de l’ONF par notre gouvernement coûte la vie
à des milliers d’enfants.
L’ONF a peut-être servi à documenter quelques pages de
l’histoire canadienne. Bravo. Mais il l’a fait à une époque
où il n’y avait pas beaucoup d’autres façons à la portée de
la main pour le faire. Aujourd’hui, avec Internet et le coût
toujours plus bas des caméras digitales, ce ne sont pas les
façons de documenter notre histoire qui manquent. De plus,
ces façons de documenter ont l’avantage d’être décentralisée
et de mieux rendre tout l’éventail de points de vue offerts
au pays.
Alors qu’avec l’ONF, on a toujours droit au même: le point de
vue nationalo-gauchiste de la société.
La bonne nouvelle dans
tout cela, c’est que l'appel lancé par les 260 employés et
artisans syndiqués membres du SCFP n'a pas trouvé d'écho à
Ottawa. En date du 1er mars, le bureau du ministre fédéral
de la Culture, James Moore, confirmait qu'aucune hausse des
budgets de l'ONF n'était prévue. « Le budget est suffisant
et adéquat pour les besoins actuels de l'ONF », a dit sa
porte-parole, Deirdre McCracken, à La Presse.
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