L’institution réalise son objectif par une démarche qui
ressemble à l’estimation du coût/bénéfice. C’est en filtrant
certains traitements ou certaines références aux
spécialistes et aussi en substituant progressivement la
capitation ou la participation au profit à la rémunération à
l’acte que ce nouvel aménagement institutionnel contribue à
susciter des économies. En imposant des limites au nombre de
tests, au nombre de visites aux spécialistes, souvent en
modifiant le mode de rémunération des médecins et en
acquérant le pouvoir de négocier avec les médecins, avec les
compagnies pharmaceutiques et avec les hôpitaux, les
organisations de managed care sont parvenues à
circonscrire les abus, et des patients et des offreurs. Ce
régime réalise des économies variant de 10 à 40%
relativement aux plans d’assurances traditionnels, et il le
fait sans compromettre la qualité des soins. Après sa
généralisation durant les années 90, la montée annuelle des
budgets privés de santé n’a pas dépassé les 5%, alors que
les experts prédisaient une poussée annuelle de 10%. En
effet en 1993, le Congressional Budget Office prédisait que
les dépenses de santé atteindraient les 18,9% du PIB en l’an
2000; en fait, elles n’atteignaient pas 14%(2).
Les budgets de Medicare croissaient à un rythme deux fois
plus élevé que celui du secteur privé.
La formule des soins
administrés est peu répandue chez nous. C’est plus au niveau
macro qu’elle s’insère dans notre régime, par où l’appareil
public fixe entre autres la capacité globale du système.
Comme dans les autres régimes d’assurance publique, ce sont
les macro contraintes, celles qui affectent la capacité
globale du système, que privilégie la bureaucratie pour
contenir les coûts. C’est par la file d’attente et le retard
technologique que l’État freine chez nous la poussée des
dépenses.
L’enquête de la Rand
révélait que, dans les organisations de managed care
qui prévoient la rémunération fixe des médecins, le budget
de dépenses de santé par patient diminue de 28%,
relativement au régime de rémunération à l’acte. Le nombre
d’admissions à l’hôpital et de jours d’hospitalisation
baisse de 40%. Même le nombre de chirurgies n’est pas
insensible au mode de rémunération (hystérectomies
multipliées par cinq). Et sans impact notable sur la santé
respective des patients de chacun des régimes. En général,
le nombre d’actes médicaux est proportionnel au nombre de
médecins dans un milieu. Pour être parvenu à intégrer dans
une même démarche la production de services et l’assurance
santé, le théoricien Richard Epstein qualifie les HMO de
plus grande révolution institutionnelle du XXe siècle dans
le domaine médical(3).
L’évolution récente
enseigne cependant que la formule seule ne réussit plus
aussi bien à freiner la monté des coûts. On observe même
aujourd’hui que 45% des patients inscrits ont une opinion
défavorable de cette structure, même si 80% se disent
satisfaits des soins reçus. La réaction hostile des
consommateurs aux contraintes imposées par la formule a
amené les employeurs à relâcher certaines d’entre elles.
La contribution des caisses
d’épargne santé |
C’est dans ce contexte que s’inscrit la contribution des
caisses d’assurance santé à la correction des lacunes du
système. Comment concilier l’accessibilité à la
responsabilité de tous les agents, y compris des usagers?
Comment sauvegarder les avantages de cette forme
d’organisation qu’est le HMO, tout en atténuant les
inconvénients qu’implique la perte partielle d’autonomie des
usagers et sans pour autant donner lieu à l’envahissement
étatiste du secteur? L’analyse et l’expérience exposées par
Zycher suggèrent qu’il existe un moyen privilégié de
restaurer le choix et l’accessibilité: rendre à chacun la
responsabilité des décisions qui le concernent en permettant
l’accumulation par les individus de fonds personnels
d’épargne santé non imposables. Les données empiriques
présentées par Zycher établissent que cette formule diminue
sensiblement le recours aux services de santé, sans affecter
de façon adverse l’état de santé des gens.
La formule replace
l’usager au coeur du processus de décision. À l’occasion
d’une dépense de santé, l’individu (ou l’employé) puise
d’abord dans le fonds personnel qu’il s’est constitué et
réservé strictement aux services de santé. Advenant le cas
où le fonds s’épuise, c’est l’individu qui assume l’excédent
jusqu’à concurrence d’un plafond, dès lors pris en charge
par l’assurance catastrophe. Le surplus inutilisé à la fin
de l’année s’accumule dans le fonds en prévision de
déboursés ultérieurs ou devient transférable à un fonds
d’épargne retraite. Tous les offreurs de services, dont les
médecins, ainsi que les hôpitaux et les cliniques, reçoivent
leur financement des patients plutôt que du gouvernement.
La dimension essentielle
de cet aménagement est que le fonds appartient à l’individu
et qu’il est ainsi le bénéficiaire ultime de la parcimonie
avec laquelle il aura géré son fonds de santé. Même avant
l’étude de Zycher, le dossier Rand garantissait que,
contrairement aux craintes des critiques, le souci
d’économiser par les consommateurs ne suscite pas la
sous-utilisation des services, mais plutôt son optimisation.
La formule a été
appliquée à Singapour, en Chine et en Afrique du Sud. Même
avant 2003 aux États-Unis, un grand nombre de compagnies
avaient adopté la formule au bénéfice de leurs employés. La
compagnie verse alors l’allocation santé dans un compte
Medisave au crédit de son employé. Si le fond est épuisé,
alors l’assurance groupe prend l’excédent totalement à sa
charge. Mais s’il y a surplus en fin d’année, l’assuré peut
l’encaisser en totalité. Les sociétés qui ont eu recours à
cette formule ont connu la stabilisation, souvent même la
compression, de leurs frais d’assurance, à la différence de
leurs voisines régies par l’assurance conventionnelle.
Mais c’est par le
Medicare Reform Act de 2003 que les caisses privées
d’épargne santé (Health Savings Account, HSA)
devenaient accessibles à l’ensemble de la population, à
moindre coût et aux mêmes avantages fiscaux. Les Américains
sont ainsi passés en grand nombre depuis 2003 de la
traditionnelle assurance santé exhaustive à une formule de
mise de côté d’épargne non imposable et à franchise élevée
pour les dépenses médicales routinières. C’est plus de 6
millions de personnes qui optent maintenant pour cette
formule. Et leur part des budgets d’assurance santé ne cesse
de s’accroître, en dépit du fait que les sondages révèlent
que la formule reste peu familière aux Américains.
Leur signification
première: La formule est moins coûteuse parce que la
responsabilisation de l’assuré est restaurée, la couverture
moins étendue, et elle offre l’avantage de l’exonération
fiscale. À la distinction du régime antérieur, les
adhérents, employés ou pas, peuvent affecter une portion de
leur revenu annuel à ces comptes sans avoir à payer d’impôt
sur le revenu. Les fonds ainsi déposés peuvent servir à
acquitter les comptes de services de santé non couverts par
l’assurance, dont les soins préventifs et chroniques. Pour
se qualifier aux yeux du ministère du Revenu, les fonds
doivent comporter de fortes franchises (1150 $ au minimum en
2009 pour les individus, 2300 $ pour les familles). En fait,
la franchise applicable aux caisses d’épargne santé est de
1,2 fois à 4,7 fois plus élevée que celle qui s’applique aux
autres régimes d’assurance. La contrepartie en est que les
primes associées à ce régime sont de beaucoup inférieures
aux primes des polices d’assurance traditionnelle.
De nombreux avantages
découlent de cette formule, le premier étant que les
non-assurés actuels peuvent accéder à l’assurance
catastrophe à un prix abordable. Les primes versées par les
participants s’avèrent de 10 à 40% inférieures à celles des
autres régimes d’assurance. Le deuxième est de susciter chez
les participants une plus grande discipline dans
l’affectation du budget discrétionnaire de santé, par
exemple par la substitution de médicaments génériques (qui
comptent déjà pour plus de la moitié aux États-Unis) aux
médicaments d’ordonnance. Les fonds peuvent ainsi
s’accumuler et s’apprécier d’année en année jusqu’au jour où
une grave maladie ou un grave accident (catastrophe)
survient. En 2007, c’est moins de la moitié des sommes
accumulées dans les fonds d’épargne santé qui étaient
absorbés par les soins de santé. Ces comptes devenaient
ainsi des véhicules d’épargne. La caisse d’épargne santé
résout en même temps le problème de l’hétérogénéité des
préférences de la population que nie la vision égalitariste.
En tant qu'individus, nous différons les uns des autres dans
nos dispositions à prendre des risques avec notre santé.
L'immense variété des styles de vie qu'adopte chacun
témoigne de cette diversité. Nous connaissons tous les
dangers de la cigarette et d'autres activités, ainsi que les
bienfaits de l'exercice régulier, du port de la ceinture, de
l'alimentation faible en gras. Et pourtant nombreux sont
ceux qui se montrent disposés à prendre des risques pour
connaitre les plaisirs et le confort d'activités
« malsaines », quitte à le regretter plus tard. Chacun reste
libre d’abuser de sa santé…mais pas aux dépens des autres.
Dans le but de favoriser
davantage la généralisation des caisses d’épargne santé,
Benjamin Zycher recommande les réformes suivantes: il
suggère d’abolir les taxes sur la masse salariale (payroll
taxes) qui s'appliquent aux sommes que les employés
affectent à leur caisse d’épargne santé. Les contributions
maximales que les patients peuvent affecter à leur caisse
devraient être haussées de façon à atteindre la limite de
leurs dépenses directes de santé. Les primes d’assurance
devraient pouvoir être réglées à même les fonds déposés dans
leur caisse. Les fortes franchises applicables aux soins
hospitaliers et chroniques devraient de leur côté être
abaissées. La notion de soins préventifs devrait être
élargie aux médicaments d’ordonnance.
Caisses d’épargne santé
financées par l’État? |
Une dimension du régime de caisses de retraite suscitera
peut-être l’intérêt des nostalgiques de l’étatisme médical.
La caisse d’épargne santé peut s’avérer conciliable avec le
financement par l’État. Le Consumer Policy Institute(4)
et d’autres proposent donc aux décideurs des régimes
socialisés de substituer au financement par les
contributions des assurés eux-mêmes, l’octroi par le
gouvernement aux individus et aux familles d’allocations
publiques de santé (vouchers) que chacun pourrait
affecter aux soins et qui varieraient suivant l’âge, le sexe
et l’état de santé. Le fonds individuel d’épargne santé
ainsi créé se financerait à même les fonds publics tout en
appartenant à chaque individu. Chacun gèrerait son budget de
santé comme il l’entend. Les premiers dollars de frais
effectifs (la franchise) seraient assumés par les individus
ou les familles. Les coûts suivants (au-delà de la
franchise) seraient couverts par la caisse d’épargne,
jusqu’à un niveau à déterminer, au-delà duquel l’assurance
catastrophe, publique ou privée, entrerait en jeu. Avec le
temps et grâce aux incitations qui s’exerceraient sur les
usagers, chacun réaliserait un solde positif à son compte,
particulièrement ceux qui y trouveraient une raison
supplémentaire de prendre meilleur soin de leur santé. Ce
surplus serait reporté aux années postérieures ou porté au
fond d’épargne retraite. Même dans les régimes socialistes,
la formule offrirait l’avantage d’injecter une dose de
concurrence grandement souhaitable et en même temps de
susciter l’avènement des bonnes incitations chez tous les
agents en cause.
Une réserve s’impose à
l’optimisme exprimé par l’auteur de l’étude: dans son
discours d’acceptation, le président Obama exprimait l’avis
que le coût des services de santé suscitait une faillite
« toutes les 30 secondes » et que le budget proposé ne
constituait qu’un acompte à l’instauration d’un régime
« exhaustif » d’assurance santé. Si l’esprit qui transpire
de son message se transpose à l’assurance santé, les caisses
d’épargne santé privées n’occuperont guère de place. Les
lacunes du passé, loin de s’atténuer, rapprocheront le
régime américain de la formule étatiste de l’Europe et du
Canada.
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