Inconsciemment sans doute, les créateurs du célèbre personnage de Disney, Karl
Barks puis Don Rosa, lui ont attribué toutes les vertus de l’ethos protestant
telles qu’elles apparaissent dans L'Éthique protestante et l'esprit du
capitalisme, de Max Weber: hostilité aux traditions, à la magie, à la
sentimentalité, au luxe, à tout ce qui est « irrationnel », car inefficace,
inutile à la naissance de l'« esprit du capitalisme moderne ». Rappelons que
dans la démonstration de Max Weber, l’accumulation de richesses par le
travail honnête constituait chez les calvinistes une preuve indirecte de la
Grâce divine.
De fait, les aventures de Picsou illustrent toutes les étapes de la réussite du
self-made man à l’américaine: naissance dans une famille misérable en
Écosse, accumulation d’un premier pécule lors de la ruée vers l’or dans le
Klondike au prix de privations inhumaines attestant d’une volonté et d’un
courage hors normes, investissements progressifs dans les activités en plein
essor (navigation, mines, exploitations forestières, recherche de trésors
engloutis, industries de transformation de toutes sortes, etc.). Picsou réalise
à lui seul toutes les entreprises capitalistes pour le seul plaisir d’entreprendre.
Et ce sans jamais faire appel aux fonds publics!
Et son
fabuleux coffre plein d’or?(1)
Eh
bien, ce coffre ne représente que la cerise sur le gâteau de la fortune de
Picsou (laquelle consiste plutôt en usines, biens immobiliers, compagnies
multiples, etc.), et surtout la source de son inspiration. Cette piscine privée
sert principalement à stocker des souvenirs(2)
dans lesquels notre canard se plaît à barboter dans ses rares moments de
détente.
Venons-en maintenant à l’esprit du capitalisme rationnel de Picsou. Notre héros
ne spécule que sur des « fondamentaux » et se refuse à tout délire sur la valeur
du symbolique, laquelle dépend exclusivement d’un consensus social auquel notre
solitaire est imperméable et qu’il méprise ainsi qu’en atteste l’histoire
suivante.
Il est
bien connu des lecteurs que, tout au long de la bande dessinées, le rapace
Picsou exploite son neveu Donald pour un salaire de misère.
Le
travail de base de Donald, sous-qualifié chronique, est d’entretenir l’argent de
Picsou à la manière dont une ménagère fait briller l’argenterie. Travail long,
fastidieux, répétitif. Certains incidents éveillent parfois Donald de sa torpeur
mécanique. Il remarque un jour que la pièce qu’il est en train d’astiquer
possède une double face et s’amuse à l’idée que: « Ah! Ah! Oncle Picsou s’est
fait refiler une fausse pièce! » Mais ses neveux, Riri, Fifi et Loulou, toujours
munis du manuel des Castors juniors, remarquent aussitôt qu’il s’agit d’une
pièce rare que « …les collectionneurs sont prêts à payer une centaine de
dollars! »
|