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Face à cette double objection, trois types de réponse sont possibles. 1/ On peut tout d’abord accepter ces deux affirmations et néanmoins maintenir l’idéal d’une société libre, parce qu’elle est seule conforme au principe primum non nocere(1), c’est-à-dire au principe moral selon lequel il y a une différence entre le Bien et le Mal, le Mal consiste à agresser autrui, et aucun individu ne devrait jamais Mal agir.
En termes
plus concrets, cette réponse revient à dire: certes, une société
libre ne garantit pas l’« égalité des chances » en matière
d’éducation; mais ne pas aider autrui ne revient pas à l’agresser.
Au contraire, le simple financement obligatoire d’un système
d’éducation public implique bien une telle violence. Certes, il se
pourrait que cela implique une perte de productivité relativement à
un système dans lequel l’État finance par la taxation une éducation
non exclusive; mais une société libre serait préférable même dans ce
cas, car elle l’est en termes de liberté individuelle, et non en
raison de ses effets sociaux. 2/ Une deuxième réponse serait, pour paraphraser à nouveau Ayn Rand: « Tous ceux qui désirent aider les enfants pauvres à s’éduquer seront libres de le faire. »
De fait, une
société libre est une société dans laquelle chacun est en droit
d’employer sa propriété privée comme il le préfère – y compris par
des actes de charité. 3/ Cette seconde réponse, cependant, ne répond pas à la critique selon laquelle l’absence d’éducation publique est économiquement contre-productive.
Pour
simplifier, disons que, lorsque l’État taxe l’ensemble des parents
pour éduquer l’ensemble des enfants, il taxe en fait uniquement ceux
qui pourraient éduquer leurs enfants dans une société libre pour
subventionner ceux qui ne le pourraient pas. Si une telle action
publique cessait, les premiers pourraient éduquer leurs enfants,
mais les seconds ne le pourraient, semble-t-il, que par la charité
des premiers. Mais celle-ci serait déterminée par la valeur
sentimentale que les premiers donnent au fait que les enfants
défavorisés soient éduqués, et non par la valeur économique de leur
éducation (en termes de capital humain et de gains de productivité). |
« Objecter à une société libre le fait qu’elle ne garantirait pas l’éducation des enfants pauvres, c’est lui objecter qu’elle ne rendrait pas son financement obligatoire. Mais, si cette fin (l’éducation des enfants "défavorisés") a de la valeur pour les membres de la société, alors il est inutile de le rendre obligatoire – sinon à de tout autres fins. » |
Ce que ne
voit pas une telle critique, premièrement, c’est que, par un tel
contrat, l’enfant gagnera (hypothétiquement) 3 500 $, et non pas
seulement 1000 $, par mois, comme cela serait le cas sans éducation.
Dans ce salaire, on peut distinguer la part produite par ses seules
capacités (1000 $), et la part produite par sa formation, ou plus
exactement sa contribution à cette dernière (2 500 $). Dans notre
exemple, le capitaliste reçoit aussi 2 500 $, parce qu’il a aussi
contribué à 50% de cette formation. Les 40% en question sont le
fruit de son épargne, et non du travail (passé ou présent) de celui
qu’il a éduqué. Quant à l’enfant, son éducation ne lui coûte donc
pas 40% de son salaire futur, mais uniquement le temps et les
efforts qu’il y investit au cours de son enfance et de son
adolescence – dont il recevra tous les fruits. Loin d'être un
exemple d’exploitation, il s'agit ici de coopération entre
l’éducateur et l’éduqué, tout comme entre deux partenaires
investissant leurs capitaux dans une même entreprise. |
1. Grossièrement: « Règle numéro
un: ne pas recourir à la violence. » |