Que
devrait-on faire lorsque ce château de cartes commence à
s'effondrer, soit à cause d'une série de faillites ou parce
que la banque centrale craint de perdre le contrôle de
l'inflation et met un frein à la croissance monétaire? Il
est évident que le crédit artificiellement gonflé va
s'amenuiser, puisque tout le monde voudra se retirer des
projets trop risqués, demandera le remboursement des prêts
ou placera ses fonds dans des endroits plus sécuritaires. On
n'en sort pas: les malinvestissements doivent être liquidés;
les prix doivent retomber à des niveaux plus réalistes; et
les ressources engagées dans des projets improductifs
doivent être libérées et transférées à des secteurs où il
existe une demande réelle. Ce n'est qu'à ce moment que les
capitaux redeviendront de nouveau disponibles pour des
investissements profitables.
Selon les économistes
autrichiens, il est inutile de tenter d'empêcher ce
réajustement de la production. Les entreprises autant que
les individus et les gouvernements doivent cesser de
dépenser de l'argent qu'ils n'ont pas, arrêter de s'endetter
et rembourser leurs dettes, recommencer à épargner et
investir dans des processus de production qui correspondent
à une demande réelle et non à une demande artificielle
gonflée par le crédit facile.
Les dogmes keynésiens et
monétaristes favorables à l'inflationnisme sont toutefois
presque universellement acceptés aujourd'hui et au lieu de
laisser cette purge se poursuivre, les gouvernements et la
majorité des économistes considèrent qu'il faut à tout prix
empêcher une contraction du crédit et de la demande.
La justification pour
intervenir semble toujours s'appuyer sur la peur de revivre
la Grande Dépression. Si nous laissons trop d'institutions
s'effondrer pour cause d'insolvabilité, nous dit-on, il y a
risque d'un effondrement généralisé des marchés financiers,
ce qui entraînerait un assèchement complet des flux de
crédit et des effets catastrophiques sur tous les secteurs
de la production. Cette opinion, que partagent Ben Bernanke,
Henry Paulson, et une bonne partie de l'establishment
politique et économique de droite, se fonde sur la thèse de
Milton Friedman selon laquelle la Réserve fédérale aurait
provoqué la Dépression en n'injectant pas suffisamment
d'argent dans le système financier suite au krach de 1929.
Même si l'analyse des
causes n'est pas exactement la même, les solutions proposées
par les monétaristes sont très semblables à celles des
keynésiens. Dans une telle situation de crise, les deux
principales écoles de pensée économique de la « gauche » et
de la « droite » s'entendent pour appuyer des interventions
des gouvernements dans le but de « soutenir la demande » –
un objectif totalement absurde du point de vue autrichien,
selon lequel il est inutile de soutenir artificiellement la
demande si les processus de production existants ne
correspondent pas à une demande réelle et ne sont pas
rentables. Pourquoi devrait-on par exemple soutenir la
demande pour des maisons dont les prix ont gonflé à des
niveaux astronomiques et dont les acheteurs non solvables
ont été subventionnés? Les prix doivent au contraire
redescendre à des niveaux normaux et les contribuables n'ont
pas à payer pour ceux qui ont pris des décisions trop
risquées, individus ou institutions financières.
Depuis le déclenchement
de la crise, les gouvernements ont toutefois suivi les
recommandations interventionnistes de la presque totalité
des économistes, qu'ils soient de gauche ou de droite. Ils
procèdent donc à des injections de «liquidités» dans le
secteur bancaire et lancent divers plans de sauvetage des
banques en difficulté et du secteur financier en général,
dont le rôle crucial dans la transmission et l'allocation du
crédit ne doit pas être compromis. Maintenant qu'il s'est
avéré que ces mesures sont insuffisantes pour empêcher la
contraction du crédit, parce que les investisseurs échaudés
se retirent du marché et que les institutions financières
refusent de s'exposer davantage et accumulent des réserves
au lieu de faire des prêts risqués dans un contexte
d'incertitude, les gouvernements cherchent à intervenir plus
directement.
À l'automne 2008, pour
faire suite au plan Paulson voté par le Congrès de 700
milliards de dollars de soutien au secteur financier et à de
nombreux plans de sauvetage ciblés comme celui de Bear
Sterns et Citigroup, le gouvernement américain et la Fed ont
ainsi annoncé un autre plan de 800 milliards de dollars,
celui-là pour soutenir directement le crédit à la
consommation. La Fed ne joue plus simplement le rôle
traditionnel d'un prêteur de dernier recours pour les
banques; elle achète maintenant directement des obligations
adossées à des hypothèques et d'autres types de dettes de
divers prêteurs institutionnels pour leur permettre de se
débarrasser de ces prêts et d'obtenir en échange des fonds
qu'ils pourront prêter de nouveau.
Ce faisant, elle injecte
encore des quantités gigantesques de faux crédit dans
l'économie. Elle force les taux d'intérêt à se maintenir
artificiellement bas, alors qu'ils devraient remontrer pour
refléter la rareté relative du crédit depuis le début de la
crise. Et elle ralentit le processus de normalisation des
prix et de liquidation des malinvestissements qui est
nécessaire pour que l'économie retrouve un certain
équilibre.
Logiquement, le crédit
des uns doit nécessairement être l'épargne – c'est-à-dire un
report à plus tard de la consommation permettant de rendre
des ressources disponibles – des autres. Et ce crédit doit
être alloué à ceux qui ont une capacité de le rembourser,
pas simplement pour soutenir une consommation irresponsable.
Sinon, tout ce qu'on crée avec ce faux crédit, c'est de
l'inflation monétaire.
Cette logique économique
de base ne tient toutefois plus dans la situation actuelle
d'hystérie politique. La source même du problème – le crédit
surabondant – est fallacieusement considérée comme sa
solution. Les gouvernements tiennent absolument à faire
quelque chose, et ils ont décidé de tenter futilement de
prolonger le boom artificiel des dernières années. Ils ne
font ainsi que continuer de creuser plus profondément le
trou dans lequel nous nous trouvons. Le réajustement
nécessaire n'en sera que plus prolongé et dévastateur pour
plus de gens, comme l'a été la Grande Dépression à cause
d'interventions semblables du gouvernement Roosevelt.
Les partisans de Milton
Friedman, qui sont généralement considérés comme des
défenseurs radicaux du libre marché, sont en fait, d'un
point de vue autrichien, des étatistes au même titre que les
keynésiens lorsqu'il est question de monnaie et de cycles
économiques. Contrairement aux Autrichiens, ils n'ont jamais
développé de notion de malinvestissement. Ils ne soulèvent
jamais de préoccupations pendant le boom – on les entend
plutôt célébrer la grandeur du capitalisme à ce moment – et
ne comprennent pas non plus pourquoi il mène inévitablement
à un krach. Ils ne voient que l'assèchement du crédit et
blâment la Fed de ne pas avoir suffisamment injecté de
liquidités pour le prévenir.
Friedman – qui,
contrairement à sa réputation, n'était pas un ennemi acharné
de l'inflation monétaire, mais proposait simplement une
façon de mieux la contrôler en temps normal – avait non
seulement une compréhension déficiente des cycles
économiques, mais il avait tort en affirmant que la Fed
n'était pas suffisamment intervenue durant la Dépression.
Elle a tenté à plusieurs reprises de gonfler la quantité de
crédit, mais celle-ci a tout de même diminué pour
différentes raisons. Il s'agit là d'une différence
d'interprétation cruciale entre les écoles autrichienne et
de Chicago.
Comme Friedrich Hayek l'a
écrit en 1932, « au lieu d'encourager la liquidation
inévitable des malinvestissements provoqués par le boom au
cours des trois dernières années, tous les moyens
concevables ont été utilisés pour empêcher que ce
réajustement se fasse; et l'un de ces moyens, qui a été
essayé à plusieurs reprises bien que sans succès, des
premières jusqu'aux plus récentes phases de la dépression,
est celui d'une politique délibérée d'expansion du crédit.
[...] Tenter de combattre la dépression par une expansion
forcée du crédit équivaut à tenter de résoudre le problème
en ayant recours aux méthodes qui l'ont créé...(2) »
Les étatistes de gauche
et de droite dominent presque totalement le débat sur les
solutions à apporter à cette crise. Les seules différences
ont trait à la vitesse avec laquelle les gouvernements
doivent intervenir et l'ampleur des interventions: grosses,
énormes ou gigantesques. Il revient donc aux seuls adhérents
de l'école d'économie autrichienne aujourd'hui de défendre
de manière cohérente le capitalisme et les vertus du libre
marché.
À l'encontre de toutes
les autres écoles, ils prétendent que ce n'est pas le
capitalisme qui est instable, mais plutôt
l'interventionnisme. Ils sont les seuls à pointer vers les
banques centrales – dont on oublie qu'elles sont des
organismes bureaucratiques de planification centralisée d'un
secteur de l'économie, celui qui concerne la monnaie – comme
source de cette instabilité. Et ils sont les seuls à dire
que la solution aux crises provoquées par un gonflement
artificiel du crédit n'est pas d'intervenir davantage pour
maintenir le crédit gonflé et soutenir la demande, mais
plutôt de permettre la liquidation des malinvestissements et
de laisser les marchés se réajuster.
L'évolution de notre
civilisation vers le capitalisme n'est certainement pas une
fatalité. Au contraire, l'interventionnisme semble se
nourrir de sa propre instabilité. Les crises qu'il provoque
sont autant de justifications pour les gouvernements
d'intervenir davantage. Il est clair que la crise actuelle,
comme celle des années 1930, ajoutera à nos vies une
nouvelle couche de structures bureaucratiques et de
restrictions de toutes sortes qui demanderont peut-être des
décennies à déconstruire. Mais si nous voulons sortir de ce
cercle vicieux et retrouver une prospérité stable et
durable, seul le capitalisme pourra nous y mener.
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