« Toute cette information suscite-t-elle l'inquiétude au sein de la
population? Bien sûr que oui, d’écrire M. Pratte. Et c'est une
excellente chose. Si la peur est parfois mauvaise conseillère, elle est
aussi un puissant motivateur. » Motivés par la peur, que vont réclamer
les citoyens – par « porte-parole » interposés? L’intervention de leurs
élus, c’est sûr. Les médias – courroie de transmission des pouvoirs
publics – veulent bien vendre des copies, mais ils veulent aussi que les
choses aillent dans le sens de ce à quoi ils adhèrent.
« Si nous voulons que l'épidémie soit contenue, aucune mesure – ni la
surveillance des voyageurs ni l'administration massive de médicaments –
ne sera plus efficace que la sensibilisation de la population et du
personnel du réseau de la santé. […] Si toute l'information diffusée par
les médias depuis quelques jours pouvait seulement inciter davantage de
gens à adopter ces mesures élémentaires d'hygiène, leur contribution
aurait été d'une utilité considérable. » (Variante du fameux: « Si une
vie peut être sauvée, cette [insérer un mot ici] aura valu le coup ».)
On avait bien besoin que les bonzes de la santé publique viennent nous
dire qu’il est important de se laver les mains le plus souvent possible,
d’éternuer dans le creux de son bras ou dans sa chemise – et non comme
nous le dictait jadis la politesse, dans sa main – et de rester à la
maison si on est malade… On avait encore plus besoin que Québec mette
sur pied un site dédié à la grippe –
Pandémie Québec, où le visiteur est accueilli avec un message en
grosses lettres: « IL N’Y A PAS DE PANDÉMIE AU QUÉBEC ». Rassurant. – et
qu’Ottawa lance une vaste campagne d'information publique from coast
to coast to coast en plus de créer des cellules de crise sur ses
sites de
Santé Canada et de l’Agence
de la santé publique du Canada. Quand l’argent coule à flot…
Irritabilité / indifférence |
Quand ce n’est pas l’indignation ou la peur qui nous assiègent lorsque
nous consommons de la nouvelle, c’est l’irritabilité (grincement de
dents: Grrrr) ou l’indifférence (encore une fois, bâillement). Ainsi,
les médias nous servent année après année les mêmes histoires. Seuls les
noms – quelquefois – changent.
Le 5 mai dernier, La Presse nous servait un autre grand dossier
sur le décrochage scolaire. Puis un autre sur la pénurie d’infirmières
dans le secteur de la santé. N’a-t-on pas tout dit sur ces
sujets?! Que reste-t-il à rajouter? Ça me rappelle les documentaires sur
les Égyptiens à la télé. Vous remarquerez qu’ils ont toujours des titres
comme: « Les mystères des pharaons », ou « Les secrets des grandes
pyramides », ou encore « L’énigmatique Néfertiti ». Comment expliquer
qu’il reste encore des mystères, secrets ou énigmes en matière
d’égyptologie avec tous les livres publiés sur le sujet, tous les
documentaires réalisés?
Mais les médias
continuent de faire le tour de ces questions. C'est
rassurant et, surtout, facile. Ils interrogent les mêmes
porte-parole politiques, les mêmes porte-parole syndicaux,
les mêmes universitaires et hop!, le tour est joué. Les
journalistes ne pensent pas, ils relatent. On a beau leur
raconter des bourres: c'est une vérité si cela vient d'une
« personne autorisée ». Quelques fois, ils vont même jusqu'à
dénicher une « victime » – histoire de faire plus people
et de fournir la possibilité aux lecteurs/spectateurs de
mieux s'identifier à la problématique. Plus ça pleure,
meilleur c'est. On en vient à se demander s'ils ne suivent
pas une sorte de calendrier dans lequel tous les sujets à
traiter dans une année sont déjà répertoriés, à la date
près.
Le problème en lisant ou en écoutant ces nouvelles, c’est que les
solutions avancées par nos grands étatistes de journalistes sont
toujours les mêmes: des interventions des pouvoirs publics (« Le
gouvernement doit mettre ses culottes et… »); un resserrement de la
réglementation (« L’État doit faire en sorte que personne ne puisse… »);
la création d’une nouvelle taxe ou un investissement (« Le gouvernement
doit débloquer des fonds pour… »). Et comme ils ne veulent tout de même
pas passer pour des communistes, ils mentionnent souvent au passage que
le secteur privé devra aussi être mis à contribution, mais bon,
l'impulsion vient encore d'en haut…
Quoi faire alors? Difficile de garder la tête froide lorsqu’on
lit/entend ces nouvelles en boucle et qu’on voit son chèque de paie
rétrécir comme peau de chagrin sous le poids des ponctions fiscales
visant à payer pour tout ça. On enrage. On en vient à vivre, nous aussi,
« dans un état de colère quasi permanent ». À quand un grand dossier sur
le décrochage social?!
Il ne s’agit pas de nier la réalité et de vivre béatement en vase clos
tel le bovin qui n’a d’autre activité dans la vie que de regarder les
voitures passer. Ni de se dire que « ce qu’on ne sait pas ne nous
fait pas mal ». Mais comme la très grande majorité des nouvelles qu’on
nous sert ne sont en fait pas des nouvelles mais du bruit sur
lequel nous n’avons aucune emprise (à moins de descendre dans la rue),
un bon moyen d’améliorer sa tranquilité d’esprit est de réduire sa
consommation d’informations. C’est ce que j’ai décidé de faire en ne
renouvelant pas mon abonnement à La Presse.
Assez de tous ces articles et dossiers sur les phénomènes bidon de
société, la dernière « crise », le dernier « scandale » politique, les
détails scabreux du meurtre de l’heure, etc., en buvant mon café le
matin. Toutes ces nouvelles qui ne visent qu’une chose: nous secouer.
J’ai cessé de regarder les bulletins de nouvelles du soir il y a
plusieurs années pour les mêmes raisons. Je suis certain que les
nouvelles pertinentes se rendront jusqu’à moi d’une façon ou d’une
autre.
Les grands médias se demandent pourquoi leur lectorat/audimat est en
constante chute depuis des années. Au lieu de rejeter la faute sur la
gratuité et le Net, ils devraient s’interroger à savoir s’ils ne sont
pas allés un peu trop loin dans le sensationnalisme et
l’anecdote-élevée-au-rang-de-nouvelle. Si la peur est un puissant
motivateur, elle est aussi une sensation bien désagréable.
Ce n’est pas pour rien si le consommateur se fait de plus en plus son
propre journal, avec flux RSS, agrégateurs et tout le reste, et si les
sources de nouvelles les plus spécialisées sont souvent les plus
populaires. C’est que l’offre généraliste est rendue à ce point médiocre
que même Monsieur et Madame Tout-le-monde commencent à en avoir
ras-le-bol. La bonne nouvelle, c’est qu’Internet existe. Pour le
meilleur et pour le pire.
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