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Harper et le QL (Version imprimée) |
par
Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15 juin 2009, No 268.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/09/090615-11.htm
L'un de mes chroniqueurs préférés dans la
mouvance autrichienne, Gary North, publiait cette semaine un
commentaire fascinant sur la stratégie de l'Institut Mises de rendre
tout son contenu, y compris les livres, accessible gratuitement sur son
site Web. C'est selon lui cette stratégie, que d'autres instituts
similaires tels que Foundation for Economic Education n'ont pas voulu
suivre parce qu'ils s'accrochaient à la béquille du copyright, qui
explique que Lew Rockwell (qui dirige l'Institut Mises et dont le
site
et le
blogue sont parmi les sites libertariens les plus visités dans le
monde) « a pris le contrôle du mouvement libertarien ».
FEE's presidents from 1995 to 2008 never really
understood the power of the World Wide Web. Lew Rockwell did. So did
Jeff Tucker. This is why LewRockwell.com and Mises.org have a large
traffic, and FEE.org doesn't. Rockwell got there first and captured
the libertarian market by giving away everything. You can buy
printed copies of the books Mises.org gives away. Result: Mises
Institute sells more libertarian books than any other organization.
You mean that giving away a download of a book
sells the book? Yes! But why? Because most book lovers suffer from
what I call Picard's syndrome. Like Jean-Luc, they want to hold a
book in their laps. They don't like to read a book in a 3-ring
binder. They can read a chapter on-line. Then they say, "Nuts to
this. I'll click a link and buy it." Print-on-demand technology lets
the Mises Institute list hundreds of books in its on-line catalogue
(free). Inventory problems? Nothing to speak of.
J'ai une anecdote similaire à raconter pour la petite
histoire. J'en avais déjà parlé
ici, à la fin des années 1990, j'ai rencontré Stephen Harper à
quelques reprises à Montréal, alors qu'il dirigeait la
National
Citizens Coalition, un groupe de pression conservateur/libertarien.
La NCC n'avait alors aucune présence au Québec et il m'avait proposé de
mettre sur pied une aile québécoise à partir du site et du réseau de
lecteurs du QL. Comme je l'ai écrit, des divergences stratégiques
et son retour en politique ont fait en sorte que ce projet n'a pas
abouti.
Ces divergences stratégiques tournaient justement autour de la question
de l'accessibilité au contenu écrit de nos organisations. La NCC se
finance par des dons de ses membres pour appuyer diverses campagnes
visant à faire pression sur les gouvernements. Ceux qui paient au-delà
d'un certain montant reçoivent un abonnement à son magazine (c'est
encore le cas aujourd'hui: ceux qui donnent plus de 135$ par année
reçoivent la National Citizens Review, ce qui est l'un des
« privilèges » d'être membre comme le site le précise). Harper voulait
que le QL fasse la même chose au Québec, c'est-à-dire que nous
rendions le contenu du QL accessible uniquement à ceux qui
s'abonneraient et financeraient l'organisation.
Comme je lui avais répliqué à l'époque, cette stratégie pouvait avoir un
sens dans le cas d'un mouvement déjà bien établi et qui cherche à offrir
une sorte de bonus pour motiver ses membres à financer ses activités. Le
point fort de la NCC n'a en effet jamais été sa production
intellectuelle, mais plutôt ses campagnes de publicité.
Au contraire, l'objectif du QL était – surtout à ce moment, alors
que nous débutions – de faire connaître les idées libertariennes et de
créer un mouvement qui n'existait pas encore en attirant des curieux et
des lecteurs, d'accord ou non, intéressés par les débats d'idée. En
faisant disparaître le contenu du Web pour ne le rendre accessible qu'en
version imprimée à ceux qui sont déjà convaincus et prêts à payer pour
l'obtenir, on contredisait tout à fait cet objectif. Personne n'aurait
payé pour lire des analyses avec lesquelles ils étaient en désaccord ou
dont ils ignoraient l'existence.
Comme ni moi ni Harper n'étaient prêts à changer de stratégie, le projet
n'est jamais allé plus loin. Il a d'ailleurs quitté la NCC peu après
pour se lancer dans la course à la chefferie de l'Alliance canadienne en
2001. On connaît la suite...
Je me félicite certainement aujourd'hui d'avoir maintenu ma position. Au
fil de la dernière décennie, des dizaines de milliers de gens qui ne
partagent pas nos idées sont venus sur notre site. Plusieurs de ces
lecteurs sont eux-mêmes devenus libertariens, d'autres ont pu
démystifier nos idées et au moins en accepter la pertinence et
la légitimité, même s'ils ne sont pas entièrement d'accord. D'autres
encore y sont farouchement opposés mais constatent qu'elles ont une
influence et sentent le besoin de les attaquer.
Sans cette accessibilité, nous n'aurions jamais pu contribuer au
développement du mouvement libertarien tel qu'il existe aujourd'hui au
Québec et dans la francophonie. Quant à la NCC, on entend très peu
parler d'elle aujourd'hui, surtout depuis qu'elle a perdu son dynamique
vice-président
Gerry Nichols. Elle continue de mettre l'accent sur des campagnes de
publicité traditionnelles, des pétitions et autres moyens de pression de
l'ère pré-Internet. Si elle cessait ses activités demain matin, elle ne
laisserait rien en héritage, à part de vieux magazines jaunis
introuvables.
Parmi les nombreuses erreurs que Stephen Harper aura commises dans sa
carrière, on pourra rajouter celle de rester accroché à cette stratégie
de non-accessibilité des idées au lieu d'être plus avant-gardiste, ce
qui n'aura heureusement pas eu de conséquences dans le cas du QL.
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Martin Masse
est directeur du Québécois Libre. |