Pourtant l’anticapitalisme progresse sur cette
méconnaissance arrogante de notre condition économique,
elle-même profondément liée à l’insupportable condition
humaine. La montée de l’anticapitalisme en France a de quoi
laisser perplexe. C’est à croire que la gauche n’a jamais
été au pouvoir. Si un projet anticapitaliste était possible,
il existerait déjà car le capitalisme ne date pas
d’aujourd’hui et son effondrement imminent est annoncé
depuis que le capitalisme existe. Tous les pays qui ont
tenté une expérience anticapitaliste l’ont payé au prix
fort. Certes, le chômage est un mal terrible qu’il nous faut
combattre; mais non seulement le chômage n’existait pas dans
les pays communistes, mais de surcroit, il était interdit.
Dans les pays communistes, on travaille toujours pour l’État
et pour la Révolution, jamais pour soi (car l’individualisme
est condamné). Ne pas travailler était donc considéré comme
un crime contre l’État, comme une attitude réactionnaire et
antirévolutionnaire: il n’y avait donc pas de chômage dans
les pays anticapitalistes, il y avait des camps de travail.
Il ne s’agit aucunement
de nier l’importance des problèmes de l’économie de marché
mais ils sont d’une autre nature que les solutions
totalitaires mises en oeuvre par les pays qui condamnent le
marché. Aucun pays ne prospère sur les ruines de l’économie
capitaliste.
D’ailleurs, l’expression
« économie capitaliste » est un pléonasme car le moteur de
l’évolution économique est fondé sur l’accumulation du
capital, ce qui est la définition technique du capitalisme.
Il faut donc être clair avec ses idées quand on mène un
combat politique en cessant de mentir aux gens. Le discours
anticapitaliste se nourrit chez nous de la haine viscérale
qu’inspirent le libéralisme et toutes ses déclinaisons.
Pourtant, quelle est cette alternative? Que nous
propose-t-on pour sortir de l’enfer capitaliste? Pour le
savoir, il faut remonter aux écrits de Marx car les idées ne
sont pas nouvelles et n’ont jamais été renouvelées. Tous
ceux qui se réclament de l’anticapitalisme se réfèrent
implicitement ou explicitement au marxisme.
Pour sortir du
capitalisme, il faut collectiviser les moyens de production,
supprimer la propriété privée (et donc la liberté dont elle
est le support) et sortir de la démocratie pour confier le
pouvoir à un parti unique (animé par une pensée unique) qui
mettra en oeuvre une dictature – la dictature du prolétariat
– seul instrument pour concrétiser le projet
anticapitaliste. Tant que les discours et les concepts ne
seront pas clarifiés, nous serons perpétuellement en
campagne avec le risque de réinventer indéfiniment le fil à
couper le beurre.
Car la France
est perpétuellement en campagne électorale et les Français sont
perpétuellement engagés ou empêtrés dans les conflits sociaux. Sur
les plateaux de télévision, on se plaît à discuter de l’imminence
d’une révolution et à imaginer le monde post-capitaliste. Au lieu de
laisser les gouvernements en place agir et gouverner comme s’ils
s’étaient retrouvés au pouvoir par le fait du hasard, de la chance
ou de la force brute, les Français regrettent les anciens
gouvernants (alors qu’ils les détestaient quand ils étaient en
fonction) ou se prêtent à rêver d’un homme – ou d’une femme –
providentiel subitement révélé à la prochaine échéance. De son côté,
au lieu de laisser librement les Français travailler, entreprendre,
étudier selon leurs besoins ou leurs objectifs, le gouvernement
légifère, réglemente, taxe, empêche puis aide, soutien, encourage ou
protège…
Quand un fumeur prétend
qu’il arrêtera de fumer demain, c’est qu’il n’arrêtera jamais. Notre
pays a tellement reporté des réformes que d’autres pays ont
affrontées dès les années 1980 que l’on est en droit de se demander
si elles se feront un jour. Et à force de ne pas faire les choses en
leur temps, on prend aussi le risque de faire tout à la va-vite,
dans la précipitation et l’incompréhension générale. Peut-on
sérieusement penser que le gouvernement actuel a décidé de détruire
le meilleur système d’enseignement supérieur au monde? Tout le monde
s’accorde à observer la catastrophe en cours dans l’éducation
nationale et l’université qui se produit depuis des décennies sous
l’effet de la massification de l’enseignement et du dogme égalitaire
– qui est tout sauf équitable – imposé par la gauche depuis 1968. Et
il ne faudrait rien faire au nom du sacro-saint statu quo, de la
dictature du consensus qui aboutit à l’immobilisme, et donc au
déclin français dans un monde en perpétuelle évolution. Et l’on peut
faire le même constat dans le système de santé, dans la police ou
l’administration en général.
Mais si les responsables
politiques ne font rien, on leur reprochera leur passivité. Après
tout les fonctionnaires sont aux ordres des ministres et non
l’inverse; mais s’ils agissent et quand ils agissent, alors c’est la
coalition des mécontents qui s’agite en criant à la conspiration
bruxelloise ou au complot mondialiste. Peut-on toujours incriminer
la classe politique, ce qui semble être le sport préféré de ceux qui
ont le monopole de la parole médiatique, et en particulier de ceux
qui se pensent intelligents? Le fonctionnement de la démocratie
implique l’existence de partis politiques. C’est incontournable. Si
on exècre à ce point les responsables politiques, alors il faut
vivre dans une dictature gouvernée par des militaires, des
technocrates ou un superordinateur. Ou alors il faut installer des
régimes communistes qui ne tolèrent aucun débat.
Ne croyez pas cependant
que je voue une dévotion subite et aveugle au personnel politique
français pétri dans l’ensemble d’étatisme et de dirigisme. Mais je
crois (sans m’en réjouir) à la loi du marché et celle-ci fonctionne
aussi dans le monde politique quoi qu’en pensent ses pourfendeurs.
Comme la plupart des gens sont demandeurs de toujours plus de
droits, plus de revenus et moins de contraintes, moins de devoirs et
moins d’efforts, alors les hommes et femmes politiques développeront
des discours politiques toujours plus démagogiques – façonnés à
l’audimat des bons sentiments – pour coller au mieux à la demande de
la majorité des électeurs en tentant de rassembler les éternels
mécontents. Comme les gens n’aiment pas entendre le discours libéral
(qu’ils connaissent à peine), les rares hommes politiques qui ont
osés afficher leur sensibilité libérale ont été exclus du marché
politique français. Et c’est ainsi que les Français se retrouvent
face à une classe politique qu’ils ont contribué à façonner et
qu’ils exècrent dans le même temps. Ils plébiscitent la
« malbouffe » pour la vilipender ensuite.
Il convient donc sans
doute de retrouver le sens profond de termes comme « république »,
« citoyen », « démocratie », « nation », « peuple » ou « État ». Car
au nom d’une conception dévoyée de la démocratie et de la
« solidarité citoyenne », on se dirige vers une société peuplée
d’individus totalement asservis à un État qui leur proposera un
« contrat social » funeste: en échange de sa providentielle
protection, nous devrons lui accorder un jour notre plus totale
soumission.
C’est ainsi que les
peuples s’enchaînent eux-mêmes et se condamnent dans le même temps
tout en célébrant leur propre abdication.
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