JONATHAN (bondissant, balançant ses longs cheveux en l'air, et faisant les cent
pas): Un rationaliste est un homme qui vit exclusivement par sa raison, ce qui
signifie: par le pouvoir de son esprit à saisir la réalité, ce qui signifie: par
le pouvoir de son esprit à penser, ce qui signifie: par son propre pouvoir de
penser, ce qui signifie...
CARSON: Attendez, Jonathan. (Jonathan arrête de marcher, s'assied à nouveau.)
Bien, Keith êtes-vous un rationaliste?
KEITH: Eh bien, J'approuve la raison, et – et réfléchissant, bien sûr, mais je
ne suis pas sûr que...
CARSON (l'humeur montant): M. Hackley, nous sommes très patients avec vous parce
que nous offrons la plus grande courtoisie et la plus grande liberté d'action à
un amateur du Front de Zeus. Je vais vous poser la question sous cette forme:
êtes-vous un mystique? (Cette question sortait avec des yeux plein d'éclat, de
la haine dans la voix).
KEITH: Un mystique? Pourquoi, non, je ne crois pas à ces histoires de Bouddhisme
Zen, ou...
CARSON (se tortillant indignée): Oh! Vraiment, Keith, j'essaie d'avoir une
conversation sérieuse avec vous.
KEITH: Eh bien, oui, mais...
CARSON: S'il vous plait, ayez la courtoisie de ne pas m'interrompre au milieu
d'une réflexion.
KEITH: Désolé, je...
CARSON: Bien entendu, vous devriez comprendre que je ne parle pas de cette
camelote asiatique tordue et lépreuse qui se trouve quelque part dans des
couches – ce n'est que le type le plus évident et le plus criant de la mystique.
KEITH: Je sais; Los Angeles est plein de de pédés...
JONATHAN: M. Hackley, pourquoi continuez-vous, encore et encore, à éviter de
manière consciente et délibérée les questions franches et ouvertes de
Mademoiselle Sand? Nous savons tous les deux que votre comportement est
infernal.
KEITH: Ecoutez, je ne sais de quoi vous parlez...
CARSON: Keith, pour parler simplement, un mystique est quelqu'un qui permet à
quelque chose d'autre de se mettre entre sa raison et sa réalité, qui met
quelque chose au-dessus de la raison. Voyez-vous?
Il y a un silence inconfortable.
GEORGE (doucement, levant un sa tête du sofa vers la droite): Etes-vous
religieux, Keith?
KEITH (jetant un regard reconnaissant dans la direction de George): Oh, si je
suis religieux? Je vois – eh bien, pas terriblement. Je vais à l'église deux
fois par an, à Noël et à Pâques, vous voyez –, mais la religion ne joue qu'un
très faible rôle dans ma vie.
Dès lors le silence se fait plus profond, plus sinistre. Un son sifflant arrive
de la direction de GRETA.
GRETA: Seulement deux fois par an, dit-il.
GRETA se tourne vers JONATHAN.
GRETA: Vous voyez d'où ça vient...
JONATHAN: Bien sûr. Il y a un passage, page 236, paragraphe 2 de Zeus qui
explique parfaitement ce syndrome.
GRETA: Oui. Et notez comme il essaie de gagner notre faveur et celle des
mystiques.
JONATHAN: Bien sûr.
KEITH: Ecoutez, je ne savais pas que vous ressentiez la religion de manière si
amère.
CARSON: Keith, nos sentiments ne comptent pas du tout. Notre raison nous dit que
la religion est mauvaise.
JONATHAN (bondissant et faisant les cent pas): La religion est mauvaise, ce qui
signifie anti-esprit, ce qui signifie anti-vie, ce qui signifie anti-raison, ce
qui signifie anti-réalité. (Il rejoint son siège.)
CARSON (regardant tendrement vers JONATHAN): Bien dit, camarade.
KEITH: Bien, écoutez, je vous ai dit que je ne prenais pas la religion très au
sérieux.
Le silence qui s'instaure dans la pièce est mortel.
CARSON (explose, agitée. Elle se lève): Mon Dieu, nous vous parlons d'affaires
qui concernent la vie et la mort et il ne... Oh!!
CARSON se rassied sur son siège, se cachant la tête en colère.
GRETA (avec une voix de lente menace): M. Hackley, prenez-vous quelque chose au
sérieux?
Après un long silence, KEITH se lève pour partir. CARSON fait appel aux
dernières réserves de sa patience et l'arrête.
CARSON: Attendez, M. Hackley, peut-être que nous pouvons approcher votre
problème à travers l'esthétique. Quels compositeurs aimez-vous, par exemple?
KEITH (un peu soulagé, se sentant à tort sur un terrain plus sûr): Eh bien, les
classiques, vous savez. Je ne suis pas vraiment musicien...
CARSON (rapidement): Très bien. Ce n'est pas grave. Vos goûts révèlent vos
prémisses musicales.
KEITH (perplexe): Oh? Bien, j'aime Beethoven, Bach, Mozart, les classiques...
GRETA: Oh!
CARSON: Keith, comment pouvez-vous? Moi, qui connaît le degré de dépravation
vers lequel la plupart des gens tendent, même moi je dois me demander, comment
peuvent-ils? Beethoven, Mozart, qui puent le naturalisme, dont toute l'oeuvre
bafouent les valeurs, dont toute note expose la prémisse malveillante de
l'univers.
KEITH (étonné): Malv...?
CARSON: Oh, Keith, ne voyez-vous pas la haine de la vie dans chaque mesure de
leur musique?
JONATHAN: M. Hackley, vous avez dit à Carson dans votre lettre que vous aimiez
Le Front de Zeus parce qu'il s'opposait au collectivisme et au totalitarisme.
KEITH (s'éclairant): Oui, oui, exactement. Je...
JONATHAN: Eh bien, comment, au nom de la raison ne voyez-vous pas qu'un
compositeur comme Mozart, avec la prémisse d'un univers malveillant, part de la
même prémisse que les collectivistes que vous méprisez? Ils font tous partie de
l'Ennemi anti-esprit, anti-vie.
KEITH (à nouveau abasourdi): Vous, vous voulez dire que Mo-Mozart était un
collectiviste?
CARSON: Oh, pas de cette façon très primitive. Mais les systèmes des prémisses
se rejoignent, à un niveau plus profond, et par conséquent plus important.
Voyez-vous?
KEITH, de plus en plus convaincu qu'il doit sortir rapidement de cet endroit,
commence à se lever à nouveau. GEORGE KELLY se lève, et l'intercepte d'un ton
amical.
GEORGE: Keith, nous demandons toujours à toute nouvelle personne que nous
rencontrons quel est son personnage favori du Front de Zeus. Quel était le
vôtre?
KEITH: Oh, j'aimais Joey Fontana.
CARSON, GRETA, JONATHAN (à l'unisson): Joey Fontana!!!
KEITH: Oui, pourquoi?
CARSON (en se contrôlant): Pourquoi le préférez-vous, Keith?
KEITH: Eh bien, il était du bon côté, pour la liberté, et il était un gars bien,
intelligent, facile à vivre, gentil.
CARSON: Ohhhh!! (Incapable de résister à la réunion plus longtemps, CARSON se
lève rapidement, sort de la scène par la droite.)
GRETA (avec un ton de menace mortelle): Joey Fontana! L'image parfaite du bon
gars, de troisième zone, l'homme ordinaire. Et vous le préférez à un héros comme
Kyle Crane ou Sebastian del Rey!
KEITH: Eh bien, ils sont très bien; ils me semblent juste un peu inexpressifs et
manquer de relief. Ils...
JONATHAN (se lève sur ses pieds, vient au centre et déclare à KEITH): Assez!
Keith Hackley, vous avez eu le rare privilège de passer une soirée avec les plus
grands esprits que vous puissiez jamais espérer rencontrer: Carson Sand, Greta
Landsdowne, et moi-même. Et de plus, vous avez rencontré Carson Sand, l'esprit
le plus grand, le plus original de notre temps et de tous les temps, le plus
grand être humain qui ai jamais vécu et qui vivra jamais. Et qu'avez-vous fait
de ce privilège? Surtout, comment avez-vous traité Carson Sand? Je suis resté
assis ici pendant que vous commettiez des séries de péchés irrationnels,
impardonnables à l'encontre de Carson Sand. Vous l'avez interrompue sans arrêt,
en lui donnant à peine une chance de parler; vous avez ouvertement fui toute
question que Carson ou moi vous posions. Vous avez essayé de faire des
courbettes devant nous et devant les mystiques, devant nous et devant Mozart,
devant nous et devant toutes les dépravations de la société. Vous avez critiqué,
au lieu de poser des questions. Vous vous êtes moqué comme un voyou, au lieu de
montrer une révérence convenable. Et à qui? À cette femme qui a permis au monde
de savoir que A est A, et que 2 et 2 font 4. Et enfin, après que votre insolence
ait fait fuir hors de cette pièce cette femme qui possède la patience de Job, vous
avez couronné vos crimes en disant que votre personnage favori est Joey Fontana,
le médiocre, le brave gars (avec un mépris absolu), le personnage de deuxième
main. C'est pourquoi, Keith Hackley, vous vous êtes condamné vous-même pour
toujours. Vous avez fait votre choix, Keith Hackley, et c'est pourquoi vous ne
me laissez qu'une possibilité: vous demander de partir de cette maison et de ne
jamais y revenir.
KEITH se lève titubant, pale, secoué. Se dirige vers la porte. Là, GEORGE
KELLY vient tendre à Keith son chapeau et son manteau.
KEITH: M. Kelly, excusez-moi, mais vous semblez être un brave gars. Comment
pouvez-vous accepter tout cela?
GEORGE (doucement): Oh, ce genre de chose se produit presque chaque soir. On en
prend l'habitude.
KEITH: Mais comment pouvez-vous...?
GEORGE: Oh, après quelques années vous l'oubliez. Vous l'acceptez, vous dormez
sur le canapé, dites « Oui » de temps en temps. C'est la vie.
Le rideau tombe.
FIN
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