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Mozart était un rouge (Version imprimée) |
par
Murray Rothbard (1926-1995)*
Le Québécois Libre, 15
septembre
2009, No 270.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/09/090915-2.htm
Cette pièce de Murray Rothbard est une attaque contre la
romancière et philosophe américaine d'origine russe Ayn Rand (CARSON
SAND dans la pièce). Elle est la figure de proue du mouvement qu'elle a
créé et qu'elle a développé avec Nathaniel Branden (JONATHAN) et Barbara
Branden (GRETA), avant de rompre avec ceux-ci et de désigner Leonard
Peikoff comme son héritier intellectuel et son légataire
testamentaire.
Rothbard s'était
rapproché d'Ayn Rand dont il avait apprécié le roman Atlas
Shrugged, une défense passionnée de l'individualisme et des
entrepreneurs (l'idée du roman est de montrer ce qui se passerait si
les créateurs-entrepreneurs faisaient la grève dans un monde
décadent qui les exploite). Il fit la connaissance de Rand et lui
fit connaître ses amis du « Cercle Bastiat », dont George Reisman
(voir la préface du traité Capitalism de ce dernier). Peu
après, il rompit avec Rand.
Je connais deux versions
de l'origine de cette rupture: l'une selon laquelle Rothbard était
accusé d'avoir plagié un travail de Barbara Branden (histoire
rapportée par Chris Sciabarra), l'autre selon laquelle Rand
(militante athée) avait demandé à Rothbard de quitter sa femme, car
celle-ci refusait d'abandonner la religion chrétienne (histoire
racontée par Jerome Tucille dans It Usually Begins with Ayn Rand).
Hervé
de Quengo (traducteur) ----------------------------------------------------------------------------------------------------
LA SCÈNE
La salle de séjour d'un luxueux appartement moderne de la partie Nord-Est de
New York. Les murs sont d'un vert luxuriant et tropical. Le sofa, plusieurs
fauteuils et chaises pliantes sont tous surdimensionnés, conçus pour que
personne ne puisse s'y asseoir confortablement. Assis au fond, aucune personne
de moins de huit pieds ne pourrait toucher le sol avec ses pieds. C'est
pourquoi, pour tous ceux qui se trouvent dans la pièce, il n'y a qu'une
alternative: (a) s'asseoir perché de manière précaire sur le bord du sofa ou de
la chaise, en s'accrochant à un des bras pour se tenir, ou (b) se pelotonner,
les pieds contre les cuisses et le rembourrage.
Pour CARSON SAND, propriétaire de l'appartement, ce choix ne présente aucun
problème. Elle est actuellement pelotonnée dans un des pliants, le
porte-cigarette levé en l'air. Ceci pour symboliser le mépris railleur et
l'hostilité envers les hommes, et par conséquent la rationalité et des standards
très romantiques.
CARSON est une petite femme avec des cheveux droits tombant sur un côté de son
visage. Sa figure ne peut être décrite que comme protoplasmique, amorphe; son
âge est également indéterminé, probablement autour de la cinquantaine. Elle
porte un costume sans forme avec des épaulettes militaires, à la pointe de la
mode (Moscou, 1925). Elle a des yeux de fouine attentifs, et quand elle parle,
elle est toujours en boule, prête à frapper.
CARSON avait acquis la gloire comme auteur, à partir d'un roman acheté avidement
pour sa pittoresque scène de viol. Elle croyait que sa popularité démontrait une
dévotion de masse pour son message philosophique.
Assis à droite, également en boule, se trouvent deux disciples JONATHAN et
GRETA. Ils ont la vingtaine mais possèdent déjà l'arrogance de leur patronne. Le
nez de JONATHAN est constamment penché à 45 degrés de l'horizontale et ses
cheveux bruns et droits sont rehaussés sur le devant par du blond oxygéné. GRETA
est une jolie blonde, avec une peau sombre et un air félin. Bien que ne
ressemblant physiquement en rien à CARSON, elle utilise le même type de
porte-cigarette et la même marque de petites allumettes que cette dernière. Elle
ne tient pas encore le porte-cigarette avec les mêmes grands gestes.
Sur le sofa, à l'extrême droite, se trouve GEORGE KELLY endormi. GEORGE est
grand et mince, son visage autrefois élégant figé de manière permanente en une
expression de grande douceur, de langueur et d'ennui. GEORGE est le mari de
CARSON. Un radio-phonographe-téléviseur de luxe est au fond de la pièce. En
boule devant le poste se trouve un chat gris et noir de luxe, ALFONSO III.
Au-dessus de la cheminée, à côté du téléviseur, on peut voir la double
photographie de JONATHAN et GRETA, dédicacée à CARSON. GRETA a écrit: « Merci,
CARSON, de me donner un univers rond ». JONATHAN a écrit malicieusement: « A la
femme au beau chat ».
Entre: KEITH HACKLEY, un jeune homme de 25 ans, agréable, sérieux et bien
habillé. HACKLEY, étudiant en Histoire, s'avance depuis la gauche de manière
hésitante. GEORGE, réveillé, saute sur ses pieds et s'approche.
GEORGE: Par ici, s'il vous plait.
GEORGE conduit KEITH vers la pièce.
GEORGE: Keith Hackley – Jonathan, Greta, et... Carson Sand.
JONATHAN et GRETA saluent de la tête de façon imperceptible. CARSON tend son
bras en guise de bienvenue et montre le sofa où KEITH va s'asseoir. GEORGE finit
son somme à droite.
CARSON (parlant avec un fort accent russe, par exemple, elle prononce ses « t »
comme des « s »): Bien, M. Hackley, Je suis heureuse que vous ayez pu venir.
KEITH: Merci, ah (hésitant sur le fait de savoir si elle était Madame et
Mademoiselle...?)... Mademoiselle Sand. (Après un silence.) Je voudrais vous
dire combien de suis content que vous vouliez me voir.
CARSON: Oh, Keith, comment ne pourrais-je pas vous demander de venir après que
vous m'avez envoyé une si splendide lettre à propos de mon roman?
KEITH: Oh, ce n'était rien.
CARSON (contrariée): Oh?
KEITH (un peu perplexe): Je voulais dire, Miss Sand, que votre livre était une
source d'inspiration. Le Front de Zeus est un des plus beaux romans que j'ai lus
ces dernières années.
Exclamations de consternation et d'incrédulité de JONATHAN et GRETA. JONATHAN
et GRETA, par ailleurs, parlent solennellement en choeur avec une trace d'accent
Russo-canadien.
GRETA (sévèrement): M. Hackley, avez-vous dit un des plus beaux romans?
KEITH (perplexe): Pourquoi... oui.
JONATHAN (avec une rancoeur soigneusement contrôlée): Pourriez-vous nous donner
le nom d'un autre roman que vous auriez lu qui pourrait être comparé, même de
loin au Front de Zeus?
KEITH (transpirant): Eh bien – je – ne voulais pas...
JONATHAN: S'il est une chose que nous ne pouvons tolérer, M. Hackley, c'est le
manque de précision du langage. Vous avez dit un des plus beaux romans – quels
sont les autres?
KEITH: Euh, je – Hemingway était assez impress...
JONATHAN et GRETA (à l'unisson): Hemingway! Bon Dieu! (puis rapidement):
JONATHAN (dans un lent, puis rapide grommellement rituel): Bien sûr, vous savez
que lorsque nous disons « Dieu », nous ne voulons pas dire que nous acceptons le
concept. Nous utilisons simplement le terme comme une forte métaphore populaire.
CARSON (contenant sa fureur intérieure): Oh, Keith, ne pouvez-vous pas voir les
prémisses de la mort chez Hemingway à chaque ligne qu'il écrit?
KEITH: Euh, le combat de l'homme contre le taureau, le moment de...
JONATHAN: Hemingway est anti-vie, anti-esprit, anti-réalité.
CARSON (regardant tendrement JONATHAN): Jonathan, Greta. Allons, je pense que
nous devons donner à M. Hackley une autre chance. Après tout, il est un
admirateur du Front de Zeus et c'est un gros plus.
GRETA: Oui, vous avez raison, Carson.
JONATHAN: Bien sûr, Carson.
CARSON (se tournant vers KEITH): Keith, voulez-vous une cigarette? C'est une
marque particulièrement rationnelle.
KEITH (un peu hébété): « Rationnelle...? » (Après un petit silence) Oh, je suis
désolé, merci, je ne fume pas.
Exclamations de désapprobation de JONATHAN et GRETA.
GRETA (violemment): Vous ne fumez pas! Pourquoi?
KEITH (surpris): Eh bien, euh... parce que je n'aime pas ça.
CARSON (avec une fureur à peine contrôlée): Vous n'aimez pas! Vous permettez à
vos caprices subjectifs, vos sensations (ce mot était prononcé avec avec le plus
grand mépris) de se mettre sur le chemin de la raison et de la réalité?
KEITH (transpirant à nouveau): Mais, Mademoiselle Sand, quelles autres raisons
peuvent exister pour fumer en dehors d'aimer simplement ça? (Expressions de
fureur, de consternation de la part de GRETA, JONATHAN, et CARSON, « Oh! »,
« Ah! », etc.)
JONATHAN (bondissant): M. Hackley, Carson Sand ne fait jamais, jamais rien
d'après ses sensations subjectives; uniquement d'après la raison, ce qui veut
dire: la nature objective de la réalité. Vous avez grossièrement insulté cette
grande dame, Carson Sand, vous avez abusé de sa courtoisie et de son
hospitalité. (se rassoit)
KEITH: Mais. .. mais... quelle raison peut exister...?
CARSON: M. Hackley, pourquoi fuyez-vous les faits évidents? Fumer est un symbole
du feu de l'esprit, du feu des idées. Celui qui refuse de fumer est par
conséquent un ennemi des idées et de l'esprit.
KEITH: Symbole? Mais une allumette est encore plus un symbole...
Nouvelles expressions de fureur, de colère, d'exaspération.
JONATHAN (bondissant, se dirigeant vers KEITH): Assez! Comment pouvez-vous vous
moquer de Carson Sand de cette manière de voyou? Vous ne vous moqueriez pas de
Dieu!
CARSON (se contrôlant encore une fois): Attendez, Jonathan, attendons avant de
prononcer le jugement final. Son problème est peut-être à un niveau plus
profond.
JONATHAN: Bien sûr, Carson. (JONATHAN recule, se rassied)
CARSON (se tournant vers un KEITH très irrité): Maintenant, Keith, et ceci est
très important, êtes-vous un rationaliste?
KEITH (à nouveau perplexe): Eh bien, je – je, c'est très difficile...
CARSON: Allons, allons, considérez-vous la raison comme votre absolu?
KEITH: Eh bien, oui, mais je – cela dépend de la façon dont vous définissez le
rationalisme. Je pensais...
JONATHAN (bondissant, balançant ses longs cheveux en l'air, et faisant les cent
pas): Un rationaliste est un homme qui vit exclusivement par sa raison, ce qui
signifie: par le pouvoir de son esprit à saisir la réalité, ce qui signifie: par
le pouvoir de son esprit à penser, ce qui signifie: par son propre pouvoir de
penser, ce qui signifie...
CARSON: Attendez, Jonathan. (Jonathan arrête de marcher, s'assied à nouveau.)
Bien, Keith êtes-vous un rationaliste?
KEITH: Eh bien, J'approuve la raison, et – et réfléchissant, bien sûr, mais je
ne suis pas sûr que...
CARSON (l'humeur montant): M. Hackley, nous sommes très patients avec vous parce
que nous offrons la plus grande courtoisie et la plus grande liberté d'action à
un amateur du Front de Zeus. Je vais vous poser la question sous cette forme:
êtes-vous un mystique? (Cette question sortait avec des yeux plein d'éclat, de
la haine dans la voix).
KEITH: Un mystique? Pourquoi, non, je ne crois pas à ces histoires de Bouddhisme
Zen, ou...
CARSON (se tortillant indignée): Oh! Vraiment, Keith, j'essaie d'avoir une
conversation sérieuse avec vous.
KEITH: Eh bien, oui, mais...
CARSON: S'il vous plait, ayez la courtoisie de ne pas m'interrompre au milieu
d'une réflexion.
KEITH: Désolé, je...
CARSON: Bien entendu, vous devriez comprendre que je ne parle pas de cette
camelote asiatique tordue et lépreuse qui se trouve quelque part dans des
couches – ce n'est que le type le plus évident et le plus criant de la mystique.
KEITH: Je sais; Los Angeles est plein de de pédés...
JONATHAN: M. Hackley, pourquoi continuez-vous, encore et encore, à éviter de
manière consciente et délibérée les questions franches et ouvertes de
Mademoiselle Sand? Nous savons tous les deux que votre comportement est
infernal.
KEITH: Ecoutez, je ne sais de quoi vous parlez...
CARSON: Keith, pour parler simplement, un mystique est quelqu'un qui permet à
quelque chose d'autre de se mettre entre sa raison et sa réalité, qui met
quelque chose au-dessus de la raison. Voyez-vous?
Il y a un silence inconfortable.
GEORGE (doucement, levant un sa tête du sofa vers la droite): Etes-vous
religieux, Keith?
KEITH (jetant un regard reconnaissant dans la direction de George): Oh, si je
suis religieux? Je vois – eh bien, pas terriblement. Je vais à l'église deux
fois par an, à Noël et à Pâques, vous voyez –, mais la religion ne joue qu'un
très faible rôle dans ma vie.
Dès lors le silence se fait plus profond, plus sinistre. Un son sifflant arrive
de la direction de GRETA.
GRETA: Seulement deux fois par an, dit-il.
GRETA se tourne vers JONATHAN.
GRETA: Vous voyez d'où ça vient...
JONATHAN: Bien sûr. Il y a un passage, page 236, paragraphe 2 de Zeus qui
explique parfaitement ce syndrome.
GRETA: Oui. Et notez comme il essaie de gagner notre faveur et celle des
mystiques.
JONATHAN: Bien sûr.
KEITH: Ecoutez, je ne savais pas que vous ressentiez la religion de manière si
amère.
CARSON: Keith, nos sentiments ne comptent pas du tout. Notre raison nous dit que
la religion est mauvaise.
JONATHAN (bondissant et faisant les cent pas): La religion est mauvaise, ce qui
signifie anti-esprit, ce qui signifie anti-vie, ce qui signifie anti-raison, ce
qui signifie anti-réalité. (Il rejoint son siège.)
CARSON (regardant tendrement vers JONATHAN): Bien dit, camarade.
KEITH: Bien, écoutez, je vous ai dit que je ne prenais pas la religion très au
sérieux.
Le silence qui s'instaure dans la pièce est mortel.
CARSON (explose, agitée. Elle se lève): Mon Dieu, nous vous parlons d'affaires
qui concernent la vie et la mort et il ne... Oh!!
CARSON se rassied sur son siège, se cachant la tête en colère.
GRETA (avec une voix de lente menace): M. Hackley, prenez-vous quelque chose au
sérieux?
Après un long silence, KEITH se lève pour partir. CARSON fait appel aux
dernières réserves de sa patience et l'arrête.
CARSON: Attendez, M. Hackley, peut-être que nous pouvons approcher votre
problème à travers l'esthétique. Quels compositeurs aimez-vous, par exemple?
KEITH (un peu soulagé, se sentant à tort sur un terrain plus sûr): Eh bien, les
classiques, vous savez. Je ne suis pas vraiment musicien...
CARSON (rapidement): Très bien. Ce n'est pas grave. Vos goûts révèlent vos
prémisses musicales.
KEITH (perplexe): Oh? Bien, j'aime Beethoven, Bach, Mozart, les classiques...
GRETA: Oh!
CARSON: Keith, comment pouvez-vous? Moi, qui connaît le degré de dépravation
vers lequel la plupart des gens tendent, même moi je dois me demander, comment
peuvent-ils? Beethoven, Mozart, qui puent le naturalisme, dont toute l'oeuvre
bafouent les valeurs, dont toute note expose la prémisse malveillante de
l'univers.
KEITH (étonné): Malv...?
CARSON: Oh, Keith, ne voyez-vous pas la haine de la vie dans chaque mesure de
leur musique?
JONATHAN: M. Hackley, vous avez dit à Carson dans votre lettre que vous aimiez
Le Front de Zeus parce qu'il s'opposait au collectivisme et au totalitarisme.
KEITH (s'éclairant): Oui, oui, exactement. Je...
JONATHAN: Eh bien, comment, au nom de la raison ne voyez-vous pas qu'un
compositeur comme Mozart, avec la prémisse d'un univers malveillant, part de la
même prémisse que les collectivistes que vous méprisez? Ils font tous partie de
l'Ennemi anti-esprit, anti-vie.
KEITH (à nouveau abasourdi): Vous, vous voulez dire que Mo-Mozart était un
collectiviste?
CARSON: Oh, pas de cette façon très primitive. Mais les systèmes des prémisses
se rejoignent, à un niveau plus profond, et par conséquent plus important.
Voyez-vous?
KEITH, de plus en plus convaincu qu'il doit sortir rapidement de cet endroit,
commence à se lever à nouveau. GEORGE KELLY se lève, et l'intercepte d'un ton
amical.
GEORGE: Keith, nous demandons toujours à toute nouvelle personne que nous
rencontrons quel est son personnage favori du Front de Zeus. Quel était le
vôtre?
KEITH: Oh, j'aimais Joey Fontana.
CARSON, GRETA, JONATHAN (à l'unisson): Joey Fontana!!!
KEITH: Oui, pourquoi?
CARSON (en se contrôlant): Pourquoi le préférez-vous, Keith?
KEITH: Eh bien, il était du bon côté, pour la liberté, et il était un gars bien,
intelligent, facile à vivre, gentil.
CARSON: Ohhhh!! (Incapable de résister à la réunion plus longtemps, CARSON se
lève rapidement, sort de la scène par la droite.)
GRETA (avec un ton de menace mortelle): Joey Fontana! L'image parfaite du bon
gars, de troisième zone, l'homme ordinaire. Et vous le préférez à un héros comme
Kyle Crane ou Sebastian del Rey!
KEITH: Eh bien, ils sont très bien; ils me semblent juste un peu inexpressifs et
manquer de relief. Ils...
JONATHAN (se lève sur ses pieds, vient au centre et déclare à KEITH): Assez!
Keith Hackley, vous avez eu le rare privilège de passer une soirée avec les plus
grands esprits que vous puissiez jamais espérer rencontrer: Carson Sand, Greta
Landsdowne, et moi-même. Et de plus, vous avez rencontré Carson Sand, l'esprit
le plus grand, le plus original de notre temps et de tous les temps, le plus
grand être humain qui ai jamais vécu et qui vivra jamais. Et qu'avez-vous fait
de ce privilège? Surtout, comment avez-vous traité Carson Sand? Je suis resté
assis ici pendant que vous commettiez des séries de péchés irrationnels,
impardonnables à l'encontre de Carson Sand. Vous l'avez interrompue sans arrêt,
en lui donnant à peine une chance de parler; vous avez ouvertement fui toute
question que Carson ou moi vous posions. Vous avez essayé de faire des
courbettes devant nous et devant les mystiques, devant nous et devant Mozart,
devant nous et devant toutes les dépravations de la société. Vous avez critiqué,
au lieu de poser des questions. Vous vous êtes moqué comme un voyou, au lieu de
montrer une révérence convenable. Et à qui? À cette femme qui a permis au monde
de savoir que A est A, et que 2 et 2 font 4. Et enfin, après que votre insolence
ait fait fuir hors de cette pièce cette femme qui possède la patience de Job, vous
avez couronné vos crimes en disant que votre personnage favori est Joey Fontana,
le médiocre, le brave gars (avec un mépris absolu), le personnage de deuxième
main. C'est pourquoi, Keith Hackley, vous vous êtes condamné vous-même pour
toujours. Vous avez fait votre choix, Keith Hackley, et c'est pourquoi vous ne
me laissez qu'une possibilité: vous demander de partir de cette maison et de ne
jamais y revenir.
KEITH se lève titubant, pale, secoué. Se dirige vers la porte. Là, GEORGE
KELLY vient tendre à Keith son chapeau et son manteau.
KEITH: M. Kelly, excusez-moi, mais vous semblez être un brave gars. Comment
pouvez-vous accepter tout cela?
GEORGE (doucement): Oh, ce genre de chose se produit presque chaque soir. On en
prend l'habitude.
KEITH: Mais comment pouvez-vous...?
GEORGE: Oh, après quelques années vous l'oubliez. Vous l'acceptez, vous dormez
sur le canapé, dites « Oui » de temps en temps. C'est la vie.
Le rideau tombe.
FIN
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Pièce écrite par Murray Rothbard et traduite par
Hervé
de Quengo. |