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Changements climatiques: La Révolution néolithique trouve-t-elle
son impulsion au Manitoba? (Version imprimée) |
par
Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15
octobre 2009, No 271.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/09/091015-5.htm
L'économie comme le climat sont des systèmes extrêmement complexes et il
n'est pas aisé de déterminer les liens de cause à effet entre différents
phénomènes, ni de prédire comment ces systèmes vont évoluer sous
l'impulsion d'un facteur particulier. La science économique et la
climatologie sont de surcroît des domaines d'expertise particulièrement
sujets aux manipulations idéologiques, comme le débat sur le
réchauffement de la planète nous le prouve depuis des années.
On nous a ainsi prédit des étés torrides, la disparition de l'hiver, une
hausse catastrophique du niveau des mers, une recrudescence des ouragans
et autres phénomènes météorologiques violents, et quoi encore. Rien de
tout cela n'est en train de se produire.
Vous vous souvenez par exemple des
annonces de fin de monde par le biologiste Jean Lemire et les autres
membres de sa secte millénariste il y a presque deux ans? Nous étions
entrés, selon eux, dans une spirale incontrôlable qui allait mener à
très court terme à la disparition complète des glaces arctiques en été.
En effet, après la fonte considérable de l'été 2007, les glaces ne
pourraient plus se reconstituer avec assez d'épaisseur l'année suivante
et allaient fondre encore davantage. « Les effets de l'exceptionnelle
fonte de l'année 2007 auront des répercussions à moyen terme. La
banquise, plus mince en raison du court hiver, fondra plus vite lors du
redoux printanier. L'Arctique vient d'entrer dans un inquiétant cercle
vicieux », prédisait le biologiste dans sa page de propagande verte
publiée chaque semaine dans La Presse.
Eh
bien, ce n'est pas arrivé. Il n'y a pas eu de cercle vicieux et la
banquise arctique n'est pas disparue. Au contraire,
elle se maintient légèrement en dessous de sa superficie moyenne des
dernières décennies.
Les données qui étaient censées prouver toutes ces prédictions, comme le
fameux graphique en « bâton de hockey », sont aujourd'hui discréditées.
Qui plus est, le réchauffement, qu'il soit ou non causé par les gaz à
effet de serre, serait peut-être en train de nous faire faux bon. Les
grands médias n'en parlent toujours pas, puisque cela les forcerait à
remettre en question tout ce qu'ils ont écrit depuis une décennie et à
mettre fin aux reportages hystériques qu'ils publient périodiquement.
Mais il apparaît de plus en plus clairement que la hausse des
températures à l'échelle mondiale a pris fin en 1998. Cela fait
maintenant une décennie que la température moyenne de la Terre
n'augmente plus.
Des réchauffistes
nous disent maintenant qu'il s'agit d'un simple plateau temporaire
au sein d'un mouvement irréversible qui reprendra dans les prochaines
années ou décennies. Peut-être bien, mais ce n'est pas ce qu'on
prédisait il n'y a pas longtemps.
Plus je lis sur le sujet et plus je me rends compte que l'une des
raisons qui expliquent toutes ces positions incohérentes sur le climat
est probablement la même que celle que j'observe sur les questions
économiques: la plupart des soi-disant spécialistes sont totalement
confus et ne comprennent que superficiellement le domaine dans lequel
ils travaillent. Je l'ai écrit à plusieurs reprises ici, la plupart des
économistes sont des illettrés économiques qui pensent que l'argent
pousse dans les arbres. Eh bien, il semble que la majorité des
climatologues et autres scientifiques qui s'intéressent au climat soient
aussi des illettrés climatologiques.
Le climat explique-t-il tout?
Je viens de terminer la lecture de The Long Summer: How Climate
Changed Civilization, un volume publié en 2004 par Brian Fagan, un
archéologue de renommée mondiale. M. Fagan relate les conséquences des
changements climatiques survenus depuis la dernière grande glaciation
sur l'évolution de l'humanité et le sort de diverses sociétés tels
Sumer, la Grèce, les Mayas, etc.
Le livre est intéressant et on en retire une compréhension approfondie
du fait que le climat change constamment et que ces changements ont
profondément influencé l'évolution de notre monde. Malheureusement, pour
illustrer sa thèse, M. Fagan pousse souvent la note un peu trop fort et
nous propose des liens de cause à effet on ne peut plus ténus. Sa
technique de narration est de mêler des explications concernant les
changements climatiques avec des informations générales sur l'évolution
d'une société sans qu'il y ait toujours de relation évidente entre les
deux. L'impression qui se dégage est que les changements climatiques
expliquent pratiquement tous les grands développements de la société en
question.
L'histoire est plausible la plupart du temps, au début en tout cas quand
il s'agit d'expliquer les grands mouvements de population provoqués par
le retrait des glaces. Mais plus on avance dans le livre, plus on se
rend compte que l'auteur en met beaucoup plus qu'il n'en faut pour
appuyer son raisonnement et en fin de compte qu'il mélange tout. Vers la
fin, j'ai carrément décroché quand j'ai lu cette explication télescopée
(ces extraits sont dans le même paragraphe, je coupe les explications
superflues):
Climatic stress, when it does not bring complete
collapse, often acts as a spur to social reorganization and
technological innovation. In the fourteenth century, Europe was a
rural continent with only the most rudimentary infrastructure of
roads, harbours, and local mills. [...] But the exigencies of the
Little Ice Age helped bring about an agricultural revolution, which
began during the fifteenth, and sixteenth centuries in the Low
Countries, then spread to England a hundred years later. [...] In
western Europe, only France remained agriculturally backward in an
era when deteriorating climate made bad harvests more frequent. As
it has done throughout the Holocene, increasing hunger led to social
dissolution and a loss of legitimacy for society's rulers. In this
case, civil chaos joined with a philosophical enlightenment to
produce the French Revolution, which in turn influenced the American
ideal of democracy and the rise of the United States as an economic
and industrial power. (p. 249)
Pour résumer: le petit âge glaciaire au Moyen Âge a
entraîné des innovations agricoles, sauf en France où les techniques
sont restées archaïques. Les pénuries alimentaires que cela a entraîné
dans ce pays, couplées avec la philosophie des Lumières, ont provoqué la
Révolution française, qui a elle-même influencé l'idéal démocratique aux
États-Unis et son émergence comme puissance économique.
Ouf !!! Il faut en faire un sacré tas de raccourcis pour passer du petit
âge glaciaire à la prospérité des Américains en un seul paragraphe! Pour
M. Fagan, le climat semble être la cause de tout et même des phénomènes
socio-économiques et politiques complexes comme la Révolution française
et l'industrialisation des États-Unis s'expliquent en bout de ligne par
des changements climatiques survenus des siècles plus tôt.
Une question parmi bien d'autres: Pourquoi une situation de « stress
climatique » serait-elle une motivation plus grande à innover en
agriculture qu'une situation de stabilité, qui permet une meilleure
planification et des investissements à long terme? Ça ressemble à une
explication « ad hoc » typique: le changement climatique mène à un
effondrement social quand les populations ne peuvent s'adapter. Sauf
dans les cas où elles s'adaptent et alors ça mène à des innovations.
Quoi qu'il arrive, le climat détermine tout.
Malgré l'intérêt du livre, on finit par se demander si toutes les
explications et extrapolations concernant ce système complexe qu'est le
climat, et cet autre système complexe qu'est la société, et encore plus
leurs interrelations, ne sont pas en réalité basées sur de mauvais
raccourcis superficiels ou même carrément trompeurs.
Du Manitoba au Proche-Orient
L'une des histoires qui m'a le plus fasciné dans ce livre concerne
l'influence du climat nord-américain sur celui de l'Europe et du
Moyen-Orient et, en bout de ligne, sur l'émergence de l'agriculture – et
donc de notre civilisation – il y a dix mille ans dans le Croissant
fertile.
On sait qu'il y a à peine 20 000 ans, la majeure partie de l'Amérique du
Nord et de l'Europe était couverte de glaciers (Dieu merci il y a eu
réchauffement climatique depuis!). La fonte et le retrait graduel de
l'inlandsis laurentien – l'immense calotte glaciaire qui recouvrait
l'est de notre continent – dans les millénaires qui ont suivi
entraînèrent la création de lacs pro-glaciaires. L'un de ces lacs, le
lac Agassiz, couvrait alors une immense étendue de ce qui est
aujourd'hui le Manitoba, la Saskatchewan, l'Ontario, le Dakota du Nord
et le Minnesota. À son apogée, il était quatre fois plus grand que le
lac Supérieur, lui-même le plus grand lac d'eau douce dans le monde
aujourd'hui. (Voir l'image ci-haut.)
Il y a environ 11 000 ans, le retrait additionnel des glaces vers le
nord a libéré une route pour l'évacuation des eaux du Lac Agassiz vers
l'est, alors qu'elles se jetaient jusque-là dans le Mississippi. Au même
moment, l'infiltration de l'eau de mer à l'autre extrémité de ce
couloir, dans l'actuel Golfe du St-Laurent, a mené à la création de la
Mer de Champlain, qui recouvrira la Vallée du St-Laurent pendant
quelques millénaires (eh oui, pour ceux qui entendent cette histoire
pour la première fois, Montréal était au fond de l'eau et des bélugas
nageaient au-dessus de la rue Ste-Catherine il y a seulement 8000 ans –
moins de deux fois la distance temporelle qui nous sépare de la
construction des pyramides d'Égypte).
Jusque-là, la plupart des scientifiques s'entendent, sauf sur les
détails et les dates. Mais l'histoire se complique lorsqu'on se penche
sur les conséquences de ce déversement gigantesque. Brian Fagan reprend
alors une thèse qui circule depuis plusieurs années selon laquelle
l'apport brusque de ce volume d'eau douce et froide dans l'Atlantique
nord a temporairement enrayé la circulation thermohaline, c'est-à-dire
le courant du Gulf Stream qui permet à l'Europe de bénéficier d'un
climat tempéré malgré sa latitude élevée.
Le refroidissement qui en a résulté, que les climatologues désignent
comme le
Dryas récent, s'est traduit par une sécheresse prolongée au
Proche-Orient. Confrontés à une disparition de leurs sources
traditionnelles de nourriture, les Natoufiens, une population de
chasseurs-cueilleurs, décident alors de se sédentariser et de commencer
à cultiver des grains. Fagan décrit ainsi le processus d'adaptation dans
un village natoufien qui a fait l'objet d'un examen archéologique
intensif:
The drought affected Abu Hureyra almost
immediately. In about 11,000 B.C., people stopped gathering tree
fruit and nuts from the forest fringe, perhaps because the groves
were no longer close to the settlement. [...]
At first, the people adjusted to drier conditions by turning to
small-seeded grasses and other standby foods. In about 10,000 B.C.,
they took the next logical step – attempting to grow grasses to
expand the wild harvest. The first domesticated seeds appear in the
village [...]. (p. 91-92)
And the rest is history, comme ils disent. On
en conviendra, il s'agit d'une histoire intéressante: la température se
réchauffe en Amérique du Nord et fait fondre les glaciers, un immense
lac se déverse dans l'Océan atlantique et arrête le Gulf Stream, ce qui
provoque une sécheresse au Proche-Orient et pousse la population locale
à se décider à cultiver des plantes au lieu de les cueillir dans la
nature comme leurs ancêtres l'avaient fait depuis des millions d'années.
Bref, la Révolution néolithique – que dis-je, la civilisation elle-même
– aurait émergé grâce à un enchaînement de phénomènes ayant débuté
quelque part au Manitoba !
Et si cette explication ne tenait elle aussi qu'à une série de liens de
cause à effet au mieux très mal établis, au pire carrément inexistants?
Mythes et légendes océanographiques
Il suffit de faire quelques recherches sur Internet pour trouver des
voix discordantes. Par exemple, la thèse voulant que la sécheresse et le
manque de nourriture aient poussé les Natoufiens à se tourner vers
l'agriculture n'aurait pas vraiment de fondement, selon
l'anthropologue Natalie D. Munroe de l'Université du Connecticut. Si
on y réfléchit deux minutes, on voit de toute façon à quel point cette
théorie ne tient pas à grand-chose. Le « stress climatique » et le
« stress nutritionnel » (on parle aussi de « stress hydrique » pour
parler du manque d'eau, etc. –, non mais qui invente ce jargon débile?)
ont été des conditions presque permanentes de l'humanité pendant 100 000
ans, si on s'en tient uniquement aux Homo sapiens sapiens. Pourquoi nos
ancêtres n'ont-ils pas pris « the next logical step » en
inventant l'agriculture vingt mille ans plus tôt? Ou dix mille ans plus
tard ? Il doit exister une multitude de facteurs pour expliquer cela. Le
Dryas récent ne peut pas être la cause principale de cette évolution
comme le laisse croire Fagan, il est plutôt une circonstance
contraignante au sein de laquelle elle se produit.
Quant au fait que le Gulf Stream réchauffe l'Europe et qu'il serait
perturbé par l'arrivée d'une quantité massive d'eau douce et froide dans
l'Atlantique, je pensais que cette explication logique faisait
l'unanimité. Ce n'est pas le cas.
Un chercheur québécois qui a étudié un phénomène similaire subséquent
(la disparition finale du lac Agassiz il y a 8 400 ans et son
déversement dans la Baie d'Hudson, entraînant le refroidissement
surnommé le « 8.2k event »), parle d'un « mythe bien répandu ». Selon
Claude Hillaire-Marcel, professeur au Département des sciences de la
Terre et de l'atmosphère de l'UQÀM et titulaire de la Chaire UNESCO,
« C'est complètement faux. Le Gulf Stream est un courant de surface, mû
par les vents. Tant que la Terre tournera, il existera. Il faudrait que
la Terre se mette à tourner dans le sens inverse pour que l'on puisse
envoyer les pelles à neige en France et qu'on se mette, chez nous, à
cultiver les bons vins de Bordeaux! »
(Selon les sources citées sur
Wikipédia, le Gulf Stream en tant que tel serait mû principalement
par les vents, alors que la
dérive nord atlantique, un courant qui le prolonge vers le nord-est,
serait un exemple de
circulation thermohaline engendrée par des écarts de température et
de salinité des masses d'eau.)
Richard Seager, chercheur au Lamont-Doherty Earth Observatory de
l'Université de Columbia à New York, réfute quant à lui l'idée même que
ce soit le Gulf Stream qui réchauffe l'Europe. « ... il ne s'agit là que
d'un mythe, d'une sorte de légende urbaine de la climatologie »,
affirme-t-il. D'autres facteurs expliqueraient selon lui le climat
relativement chaud de l'Europe.
Je n'ai pas suffisamment de connaissances dans ce domaine pour me faire
ma propre opinion sur les thèses en présence. Par contre, l'existence de
ces points de vue diamétralement opposés nous démontre encore une fois
que les experts peuvent être dans l'erreur même sur des questions
centrales touchant leur champ d'expertise.
Depuis deux ans, la presque totalité des économistes – y compris des
économistes prétendument en faveur du libre marché –, qui n'avaient
pourtant rien vu venir, affirment que les banques centrales doivent
gonfler la masse monétaire et que les gouvernements doivent s'endetter
et dépenser des sommes faramineuses pour éviter un effondrement de
l'économie. La logique nous dit pourtant que ces solutions contredisent
les lois fondamentales de l'économie, puisque la richesse ne tombe pas
du ciel mais doit être produite. La création de monnaie et l'endettement
créent uniquement l'illusion d'un enrichissement à court terme.
Depuis des années, on nous répète par ailleurs qu'il existe un consensus
chez les scientifiques sur la réalité du réchauffement climatique et de
ses causes anthropiques. Et qu'à moins de réduire de manière draconienne
notre niveau de vie, nous risquons de provoquer des catastrophes qui
compromettent la survie de la planète.
La leçon à tirer de tout cela est qu'il ne faut jamais présumer que les
explications scientifiques qu'on nous donne sont des vérités solidement
établies, même lorsque les soi-disant experts qui les défendent
constituent une majorité au sein de leur discipline. On doit accorder
encore moins de crédibilités aux extrapolations et prédictions
catastrophistes qui sont faites concernant l'évolution de systèmes
complexes comme l'économie et le climat à partir de modèles aussi
chambranlants et de faits aussi incertains. La logique a ses droits, et
chacun d'entre nous, même sans être spécialiste, peut y recourir pour
qualifier ou rejeter les prétentions des experts. Surtout ceux qui se
trompent constamment comme les économistes et les climatologues qui
dominent ces disciplines aujourd'hui.
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Martin Masse
est directeur du Québécois Libre. |