C’est au tour des gens de la revue Relations d’y aller d’un dossier fin
du monde intitulé « Culture
sous tension ». La revue
Relations, pour ceux qui ne la connaissent pas, « est publiée par le
Centre justice et foi, un centre d’analyse sociale progressiste fondé et soutenu
par les Jésuites du Québec. Depuis près de 70 ans, Relations oeuvre à la
promotion d’une société juste et solidaire en prenant parti pour les exclus et
les plus démunis. Libre et indépendante, elle pose un regard critique sur les
enjeux sociaux, économiques, politiques et religieux de notre époque ».
Voilà pour la présentation. Mais n’allez pas croire qu’on y parle de Dieu ou de
religion à toutes les pages. Le dossier en question aurait pu être publié dans
n’importe quel média québécois.
Relations a beau prétendre qu’elle « entend contribuer à une lecture
chrétienne des événements qui se produisent dans le monde, et particulièrement
au Québec, tout en s'adressant en même temps à l'ensemble de la société », on a
affaire au discours habituel de la go-gauche culturelle, celle du Plateau.
Ainsi, on ressort de la lecture du dossier avec l’impression que nos
artistes/intellos (ceux qui font preuve de pessimisme en tout cas) vivent
toujours dans un monde assiégé et qu’ils se croient investis d’une mission des
plus spéciales sur Terre: élargir les horizons du monde dans lequel nous vivons
– peut-être est-ce là la dimension chrétienne? Ils croient que la montée du
néolibéralisme se poursuit – mais ça fait plus de 10 ans qu’il monte! Il doit
bien être sur le point d’arriver au sommet! – et que les choses ne font
qu’empirer.
D’entrée de jeu, après avoir souligné quelques décisions politiques qui prouvent
que « le mépris des arts et de la culture a le vent dans les voiles »,
les auteurs
reviennent sur les coupures du gouvernement Harper, « l’incompétence et le
dogme du “libre marché” règnent ». Ces coupures faisant partie selon eux d’une nouvelle réalité, ils
entrevoient des lendemains sombres: « Comment ne pas penser que la crise
économique ne fournira pas l’occasion de passer à nouveau les budgets des arts
dans le collimateur puisque le monde “ordinaire” – Stephen Harper nous l’a dit –
n’en aurait cure des artistes? »
Comme en 1999, les pessimistes de la culture en ont contre la « société du
spectacle », la « pression marchande » et « l’art industriel ». Ils ont
évidemment de sérieuses réserves face au financement privé qui, selon eux, n’est
pas suffisamment stable et vient trop souvent accompagné de conditions… Et ils
souhaitent « le développement d’une vision globale et inclusive, soutenue par
une réelle volonté politique qui ferait de l’appréciation régulière de l’art,
dans toute sa richesse et sa diversité, l’objectif à atteindre – comme une chose
normale de la vie. » Bref, une culture centralisée à l’os et décidée en haut par
les copains.
Seule une vision politique globale et réfléchie, tenant
compte de l’ensemble des composantes de notre paysage artistique, assurera
un développement harmonieux et intelligent de l’art au Québec. Cette vision
ne peut être assurée que par le CALQ [Conseil des arts et des lettres du
Québec] ainsi que par les artistes et responsables d’organismes qui y
gravitent et prennent régulièrement part à son processus décisionnel. Mais
sans une volonté réelle de l’État québécois d’augmenter de manière
substantielle les programmes réguliers du CALQ, cette vision restera vaine.
Le milieu artistique risque alors de consacrer trop d’énergie à sa propre
survie plutôt qu’à son épanouissement.
Aux dires
des auteurs, le philosophe Théodore W. Adorno a misé juste
lorsqu’il a défini « les enjeux réels entre une industrie de divertissement,
conçue pour que des gens d’affaires réalisent d’importants profits, et un art
qui laisse l’artiste entièrement maître d’oeuvre de sa production. » L’arrivée
de l’art industriel viendrait « falsifier une relation stimulante et productive
entre un art populaire, provenant en toute simplicité de l’âme des peuples,
permettant souvent d’exprimer un esprit libre et indocile, et un art dit savant,
portant les oeuvres à un niveau élevé de complexité et de profondeur. »
Sous l’emprise de la « domination de la culture de masse », les oeuvres
« novatrices, dérangeantes et personnelles » verraient de moins en moins le
jour. Ce qui fait que la société s’en trouve appauvrie. Et rien ne semble
indiquer que la situation va s’améliorer dans un avenir rapproché. Nous somme
donc condamnés à la médiocrité...
Bien sûr, lorsqu’il est question d’oeuvres novatrices et dérangeantes, des
images nous viennent tous en tête: la pièce de théâtre expérimentale, les
séries de monochromes dans les musées, la danse contemporaine. Relations
nous en donne un bon exemple dans son numéro de septembre, alors qu’il inaugure
une nouvelle chronique littéraire, La forme du jour, avec l’écrivaine et poète
Élise Turcotte – sans doute est-ce dans le but de ralentir un peu les avancées
de l’art marchand... Voici le premier paragraphe de la première mouture. Ça
s’intitule « Un » :
Le 26 mai en attendant d’être tuée,
en attendant d’être née,
la rage en bouquets de griottes flottant dans l’alcool,
le pot en verre sous mon bras,
j’ai vu une patte de chevreuil dans la rue, la moitié
d’une patte gisant dans le caniveau.
Je marchais, il y avait du vent, et dans ce vent,
les feuilles éparpillées de mon livre non écrit.
Humm… Avouez que c’est novateur et dérangeant! Un texte qui
atteint des niveaux malheureusement trop élevés de complexité et de profondeur
pour moi. Vous avez compris quelque chose, vous? Ça vous a aidé à donner du sens
à votre monde? C’est de ce genre d’oeuvre dont nos pessimistes de l’art
voudraient que les médias discutent, débattent, déblatèrent durant des heures.
Imaginez un monde où l’on décortiquerait tous les jours la dernière oeuvre
hermétique dans les journaux, à la télé, à la radio. Des sections entières
consacrées à des disciplines comme l’art visuel, la poésie, la musique
électroacoustique. Le fantasme.
[Insérer le son d’un ballon qui éclate ici.]
Ce monde parfait n’existe que dans la tête de ces gens qui broient du noir. Et à
voir la popularité de ces disciplines, il n’est pas près de devenir réalité. Les
grands médias ne se mettront pas à parler du jour au lendemain d’un recueil de
poésie qui se vend à
100 exemplaires ou d’un spectacle de danse moderne qui attire 30 personnes. À la
quantité d’oeuvres, de spectacles, de livres, etc., qu'on retrouve sur le marché, ils doivent
faire des choix et plaire au plus grand nombre. En revanche, Internet permet à
tout le monde de discuter de n’importe quoi. La promotion d’oeuvres (aussi
pointues soient-elles) n’a jamais été autant à la portée de tous.
(Mais à quoi peuvent bien référer la patte de chevreuil? Le pot en verre? Les
bouquets de griottes? Aucune idée. Personne ne peut le savoir. L’auteure ne le
sait sans doute même pas…)
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