Quant à moi, je vous dirai où est la perte, et, pour simplifier,
au lieu de parler de cent mille hommes et de cent millions, raisonnons
sur un homme et mille francs.
Nous voici dans le village de A. Les recruteurs font la tournée et y
enlèvent un homme. Les percepteurs font leur tournée aussi et y enlèvent
mille francs. L'homme et la somme sont transportés à Metz, l'une
destinée à faire vivre l'autre, pendant un an, sans rien faire. Si vous
ne regardez que Metz, oh! vous avez cent fois raison, la mesure est très
avantageuse; mais si vos yeux se portent sur le village de A, vous
jugerez autrement, car, à moins d'être aveugle, vous verrez que ce
village a perdu un travailleur et les mille francs qui rémunéraient son
travail, et l'activité que, par la dépense de ces mille francs, il
répandait autour de lui.
Au premier coup d'oeil, il semble qu'il y ait compensation. Le phénomène
qui se passait au village se passe à Metz, et voilà tout.
Mais voici où est la perte. Au village, un homme bêchait et labourait:
c'était un travailleur; à Metz, il fait des tête droite et des tête
gauche: c'est un soldat. L'argent et la circulation sont les mêmes dans
les deux cas; mais, dans l'un, il y avait trois cents journées de
travail productif; dans l'autre, il a trois cents journées de travail
improductif, toujours dans la supposition qu'une partie de l'armée n'est
pas indispensable à la sécurité publique.
Maintenant, vienne le licenciement. Vous me signalez un surcroît de cent
mille travailleurs, la concurrence stimulée et la pression qu'elle
exerce sur le taux des salaires. C'est ce vous voyez.
Mais voici ce que vous ne voyez pas. Vous ne voyez pas que renvoyer cent
mille soldats, ce n'est pas anéantir cent millions, c'est les remettre
aux contribuables. Vous ne voyez pas que jeter ainsi cent mille
travailleurs sur le marché, c'est y jeter, du même coup, les cent
millions destinés à payer leur travail; que, par conséquent, la même
mesure qui augmente l'offre des bras en augmente aussi la
demande; d'où il suit que votre baisse des salaires est illusoire.
Vous ne voyez pas qu'avant, comme après le licenciement, il y a dans le
pays cent millions correspondant à cent mille hommes; que toute la
différence consiste en ceci: avant, le pays livre les cent millions aux
cent mille hommes pour ne rien faire; après, il les leur livre pour
travailler. Vous ne voyez pas, enfin, que lorsqu'un contribuable donne
son argent, soit à un soldat en échange de rien, soit à un travailleur
en échange de quelque chose, toutes les conséquences ultérieures de la
circulation de cet argent sont les mêmes dans les deux cas; seulement,
dans le second cas, le contribuable reçoit quelque chose, dans le
premier, il ne reçoit rien. – Résultat: une perte sèche pour la nation.
Le sophisme que je combats ici ne résiste pas à l'épreuve de la
progression, qui est la pierre de touche des principes. Si, tout
compensé, tous intérêts examinés, il y a profit national à
augmenter l'armée, pourquoi ne pas enrôler sous les drapeaux toute la
population virile du pays?
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