Le Québécois Libre, 15 novembre 2009, No 272. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/091115-11.htm C’est dimanche, il est environ 7 h le matin. Je me rends au bureau en ville comme à tous les dimanches. Soudain, un bruit assourdissant retentit dans la voiture. Je m’arrête sur le bord de la route et je débarque, histoire de voir ce qui cloche. C’est mon silencieux, il est tombé et traîne sur le sol. Je viens à peine d’entrer sur l’autoroute 10 en direction de Montréal. Quoi faire? Après réflexion, et quelques coups de fil, je décide d’emprunter la prochaine sortie et de tenter de trouver un garage qui soit ouvert. Tous clignotants en marche, je traîne bruyamment mon silencieux sur quelques kilomètres et je sors à la hauteur de Brossard – pour ceux qui l'ignorent, il s'agit d'une ville située sur la rive-sud de Montréal. Après quelques minutes, je me retrouve dans les rues du Quartier Dix30 à chercher en vain un garage. N’en voyant aucun, j’immobilise mon véhicule sur un coin de rue, devant une boutique de vêtements qui paradoxalement s’appelle Garage. Je suis en train de réfléchir à la suite des choses lorsque j’aperçois dans mon rétroviseur ce qui semble être une voiture de sécurité. Le conducteur du véhicule freine – sans doute en apercevant mes clignotants –, puis se dirige dans ma direction. Il s’agit effectivement d’une voiture de firme de sécurité privée. Un gyrophare installé sur le toit du véhicule lance de petits éclairs jaunes de façon intermittente. L’agent sort de son véhicule, je sors du mien. Je lui explique ma situation. Comme moi, il ne connaît pas la région, il ne sait donc pas où trouver un garage ouvert si tôt. Il me suggère de faire venir une remorqueuse. « Si vous vous promenez comme ça, vous risquez de vous faire coller un ticket par la police », souligne-t-il. C’est vrai, il doit bien exister une loi qui interdit de rouler sur les routes de la province à bord d’un véhicule hors d’état de rouler. « De plus, ça risque de vous coûter un autre muffler plutôt qu’une simple courroie, si vous continuez à trainer ça comme ça. » Right. J’accepte son offre. Il transmet la demande à un collègue – sans doute assis quelque part dans un bureau, au chaud – à l’aide d’un radio CB. « Sur quel coin de rue êtes-vous situés? », demande ce dernier. On a beau regarder sur les quatre coins de la rue, nous ne voyons pas d’affiche. « Il n’y a pas de nom de rue », déclare l’agent de sécurité. « Comment je vais dire à la remorqueuse où vous êtes? », ajoute l’autre. « Ben tu lui expliqueras! Tu nous vois, non?! Regarde le plan des rues. » Effectivement, une caméra de surveillance nous épie. Le collègue en question doit suivre la scène sur un moniteur. Le froid se faisant sentir, nous regagnons chacun notre voiture. L’agent de sécurité parle encore un peu dans son radio CB puis embraye pour venir se garer juste à côté de ma voiture. Abaissant sa vitre, il me souligne que ça pourrait prendre jusqu’à une demi-heure avant que la remorqueuse n’arrivée. « D’accord, je ne bougerai pas. Merci pour tout », lui dis-je. Assis dans ma voiture, à l’intersection de deux rues sans nom, j’observe sans vraiment observer (« Where the streets have no name », chantait Bono avant de se prendre pour Mère Teresa). Des employés de boutique commencent à arriver tranquillement. Des voitures passent sans me voir. Un autobus. Tout me paraît normal, bien qu’il y ait quelque chose qui cloche. Mais j’ai beau me demander quoi, je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Et soudain, ça me saute aux yeux: « Bien sûr! Il n’y a pas de graffitis. Pas de détritus sur les trottoirs, et pas de clochards. Il n’y a même pas de parcomètres! » Avoir été au centre-ville de Montréal, j’aurais vu tout ça à la puissance 10. Quinze minutes s’écoulent. L’agent de sécurité passe à nouveau sur mon coin de rue. Il immobilise son véhicule près du mien et me dit qu’il va relancer la remorqueuse si elle ne se présente pas dans les dix prochaines minutes. Puis s’en retourne patrouiller. La remorqueuse arrive quelques minutes plus tard. Après avoir grimpé ma voiture sur la rampe de son véhicule, et fait quelques appels, le chauffeur m’apprend qu’il n’y a pas de garages d’ouverts dans le coin le dimanche et qu’il ne reste qu’une solution: le Canadian Tire le plus près – en espérant qu’il n’ouvre pas trop tard. Nous nous rendons au centre de l’auto. Une fois arrivés, nous sommes agréablement surpris: il est ouvert. Il est rendu 8 h. Comme nous n’avons pas fait beaucoup de kilométrage, le chauffeur de la remorqueuse me demande: « Avez-vous besoin d’une facture? » Voyant où il voulait en venir, je réponds « Non ». « Habituellement, on charge 75$ en partant. Mais comme on n’a pas été bien loin, je vais vous laisser ça à 60$, pas de taxe. » Une offre que je m’empresse d’accepter. Vive le marché noir! Je paye le type et j’entre au Canadian Tire. Le commis à la réception, après avoir écouté mon récit, déclare que je dois laisser ma voiture sur place et qu’il va tenter de la faire réparer le jour même, sinon le lendemain. « Et comment je vais faire pour me rendre au bureau? Et à la maison ce soir? », lui dis-je. « Ça, ce n’est pas mon problème », me répond-il poliment avant d’ajouter qu’il y a toujours les transports en commun... N’ayant pas vraiment d’autres choix, je lui laisse les clés de ma voiture. Rejoint au cellulaire, un ami me suggère de louer une voiture. Bonne idée! – les transports en commun, un dimanche matin sur la Rive-sud, ça n’est sûrement pas une solution. Après une recherche sur le Web, il m’apprend qu’il y a un concessionnaire situé non loin d’où je me trouve et me donne le numéro de téléphone. J’appelle, il est ouvert. J’embarque dans un taxi et hop!, me voilà en route vers les Boulevard Taschereau – après avoir brisé mes lunettes en les échappant sur le pavé; décidément, ce n’est pas ma journée. En chemin vers le concessionnaire, je remarque que nous sommes entourés de maisons qui doivent bien valoir 500 000 dollars chacune. Le chauffeur de taxi me dit qu’un des joueurs du Canadien habite dans le nouveau développement, et que les maisons valent toutes au moins un million de dollars. Eh ben! De la même façon qu’il n’y a pas si longtemps des villages entiers se construisaient autour des usines, des quartiers résidentiels se sont attachés au Quartier Dix30. En trois ans seulement, le centre-ville a pris forme et des développements domiciliaires s’y sont rattachés. Un développement aux maisons un peu moins dispendieuses s’est construit un peu plus loin. Il me raconte brièvement l’histoire du quartier. Situé sur d'anciennes terres agricoles à l'intersection des autoroutes 10 et 30, il compte plus de 210 magasins auxquels plusieurs autres viendront bientôt s’ajouter. Le chauffeur me dit que des gens viennent de loin pour y magasiner. Comme il y a des boutiques, un hôtel, une salle de spectacle (dont la sono est excellente, dit-on), un complexe de cinémas et plusieurs restaurants, ils y passent plusieurs heures, quand ils ne dorment pas sur place! – comme s’ils y étaient en vacances. Le Quartier Dix30 est en fait un centre-ville privé. Des agents de sécurité de firmes privées sont chargés d’y faire régner l’ordre. Des firmes privées d’entretien sont chargées d’en assurer la propreté. Résultat: l’endroit est sécuritaire et impeccable. Du stationnement gratuit partout. Des poubelles qui ne débordent pas. Des trottoirs et des rues ultra propres. Un environnement sans flâneurs désoeuvrés. La paix. Un tel développement ne peut que connaître une popularité croissante lorsqu’on voit l’état de décrépitude souvent avancé des infrastructures de la grande ville la plus proche: Montréal. Il ne peut que devenir une sérieuse alternative aux embouteillages et aux désagréments de la grande ville. Surtout lorsque les élus de cette ville – beaucoup trop « écologiquement sensibilisés » – persistent à vouloir réduire l’accès par voiture au centre-ville ou menacent de faire payer les automobilistes banlieusards pour entrer sur l’île. Quelques minutes plus tard, à bord de ma voiture louée, en route vers le bureau – avec deux heures de retard et une moitié de paire de lunettes sur le nez –, je me dis que les choses auraient pu être pires. J’aurais pu avoir un vrai accident. Ou j’aurais pu avoir le même pépin au centre-ville de Montréal, où je n’aurais jamais eu la même qualité de service de la part des policiers municipaux, où une agente m’aurait sans doute collé un ticket pour infraction au code de la route et/ou donné un « 48 heures » pour faire réparer mon véhicule, et où je me serais sans doute fait accoster par deux ou trois clochards... Je suis finalement retourné chercher ma voiture le surlendemain. Toute cette aventure m’aura coûté quelques centaines de dollars et m’aura permis de découvrir le Dix30. La prochaine fois que j’aurai besoin de magasiner – activité que je n’affectionne pas particulièrement –, je vais éviter le centre-ville de Montréal. C’est sûr. ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre. |