En bref, certaines de ces fausses questions ne concernent que deux parties à un
arrangement privé et pas la population en général. D'autres deviennent d'intérêt
public parce que le conflit potentiel prend place dans des secteurs nationalisés
par l'État, alors que le problème se réglerait si on les privatisait. En
nationalisant un secteur de l'économie et en érigeant la production de services
en « droit », on a transporté sur la place publique tous les problèmes qui se
règleraient à l'amiable entre un client et un commerçant dans une situation de
concurrence, où l'on peut toujours aller ailleurs si on n'est pas satisfait à un
endroit donné.
Dans la mesure où l'on garde un État avec certaines fonctions, il resterait bien
sûr un espace public – que faire avec les fonctionnaires qui travaillent pour le
ministère de la Justice à Québec par exemple? – pour un petit nombre d'employés.
Il s'agirait de la seule décision politique à prendre nécessitant un débat
public, qui aurait une ampleur beaucoup plus limitée que le débat actuel.
Il est clair qu'une forte majorité des Québécois ne veulent pas faire de
compromis sur certaines questions pour s'adapter à leurs concitoyens, surtout
des immigrants, qui souhaiteraient qu'on les accommode. Ce qui est tout à fait
légitime. Nous avons tous nos limites et nous estimons à juste titre que ce sont
les nouveaux arrivants qui doivent d'abord s'adapter à nous, et non le
contraire. Personnellement, je ne suis prêt à faire aucun compromis dans ma vie
pour accommoder une femme portant une burqa et je n'ai même pas envie de
simplement voir des personnes costumées de la sorte dans mon environnement.
La question est plutôt de savoir si la volonté des uns doit être imposée à tous,
et la réponse est – dans une société libre – évidemment non. Pour prendre un
exemple caricatural, même si 99% des Québécois pensent qu'on ne devrait pas
laisser des musulmans exiger le retrait de tous les crucifix sur les murs avant
d'entrer dans une maison, si moi je veux me plier à cette demande en recevant
des visiteurs musulmans chez moi, c'est mon affaire. Et ce qui se passe chez moi
ne regarde absolument pas les 99% de mes concitoyens qui ne sont pas d'accord.
La même règle s'applique à tous les endroits privés. On se souviendra que dans
la
fameuse histoire des cabanes à sucre servant de la soupe aux pois sans
jambon et permettant à leurs clients musulmans de prier sur la piste de danse,
qui avait lancé toute une controverse il y a deux ans, il n'y avait eu en fait
aucun conflit. Les propriétaires des établissements avaient volontiers accepté
de répondre aux demandes spéciales de leurs clients. Tous les xénophobes
professionnels de la province en avaient malgré tout fait tout un plat.
Plus fondamentalement, on en revient au débat de fond sur l'immigration.
Pourquoi laisse-t-on entrer sur ce territoire, avec tous les « privilèges » dont
peuvent se prévaloir les citoyens (en particulier des services publics
gratuits), des étrangers dont les valeurs et les coutumes sont si différentes de
celles de la majorité? Les libertariens sont évidemment en faveur de la liberté
de circuler et ne proposent pas l'adoption d'une politique d'immigration plus
restrictive. Sauf que dans une société libertarienne, où l'État ne contrôlerait
plus l'entrée et les sorties sur un territoire national, il y aurait d'autres
formes de contrôle reflétant non pas des critères politiques et bureaucratiques,
mais la volonté de la population s'exprimant dans un marché libre.
L'une de ces formes de contrôle serait le droit de décider quoi faire avec sa
personne et sa propriété et donc de
pratiquer une discrimination envers certaines personnes. Ce droit
fondamental – qu'on nous a enlevé dans de nombreuses situations – enverrait un
message clair à ceux qui ne sont pas les bienvenus ici. On ne devrait pas
pouvoir expulser une femme portant une burqa, ni la forcer à l'enlever. Sauf que
si personne ne souhaite transiger avec elle – ni lui acheter ou lui vendre
quelque chose, ni la soigner, ni éduquer ses enfants (la santé et l'éducation
sont devenus des services privés), ni lui louer un appartement, ni l'embaucher –
eh bien, cette femme aura le choix de s'habiller comme une personne civilisée ou
bien de retourner vivre dans sa société d'origine.
On verra également si un simple hijab – qui, personnellement, ne me cause pas
plus de problème qu'un chapeau dans la majorité des situations – provoque les
mêmes réactions et comment les gens et les institutions s'y adaptent ou non.
Ceux qui le veulent le feront, les autres ne seront pas forcés de le faire. Les
femmes portant des hijabs décideront alors si elles peuvent vivre d'une façon
qui leur convient compte tenu des restrictions auxquelles elles doivent se
conformer dans leurs rapports avec les autres membres de la société.
Cela obligerait toutes les personnes concernées (et il n'y en a pas tant que ça) à
s'adapter et à évaluer chaque situation au lieu de s'en remettre à des règles
édictées par l'État. Mais la liberté, c'est justement de laisser chacun faire
ses propres choix dans le respect des droits fondamentaux des autres, même si le
portrait collectif que ça donne est plus embrouillé, au lieu d'imposer à tous
les règles de la majorité – ou de la minorité qui crie le plus fort. Comme ce
n'est pas demain la veille que ces principes libertariens seront appliqués, on
peut prévoir que bien d'autres reportages nous annonceront que la question des
accommodements raisonnables n'est toujours pas réglée au cours des années à
venir...
|