Encore des fausses questions sur les accommodements raisonnables (Version imprimée)
par Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15
novembre 2009, No 272.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/091115-3.htm


La Presse publiait récemment un dossier sur la question des accommodements raisonnables visant à démontrer qu'un an et demi après la publication du rapport Bouchard-Taylor, la question n'est toujours pas résolue. Un sondage indique que 72% des Québécois considèrent que le rapport n'a rien clarifié.

Selon le même sondage, une forte majorité s'oppose à la plupart des accommodements qui sont proposés et 68% estiment qu'il y a trop d'accommodements, même s'ils admettent n'être que rarement ou même jamais exposés dans la vraie vie à une telle situation.

Pas étonnant que la confusion règne, puisqu'on leur demande en fait de donner leur opinion sur une situation qu'ils préfèrent de manière abstraite, même si ça ne les concerne pas. Comme c'est le cas de la presque totalité de nos grands « débats de société », on a nationalisé une problématique qui relève en grande partie de la sphère privée.

Prenons les exemples d'accommodements soulevés dans les questions de ce sondage.

Une femme peut-elle exiger de recevoir des leçons de conduite d'un instructeur automobile féminin? Les sondés répondent non à 81%. Mais en quoi s'agit-il d'un enjeu « public »? Une école de conduite est une entreprise privée et devrait pouvoir instaurer ses propres règles. Si elle veut répondre ou non à cette exigence, et perdre ou gagner des clients en conséquence, c'est son affaire.

Devrait-on installer des locaux de prière à l'école ou sur les lieux de travail? Non à 76%. Mais qu'est-ce que ça peut bien faire à Ti-Coune Tremblay de St-Ephrem si une entreprise de Montréal aménage ou non un tel local pour ses employés? Si nous avions des écoles entièrement privées, le problème serait réglé de la même façon. Certaines écoles pourraient décider de le permettre, d'autres non, selon leur type de clientèle, leurs projets pédagogiques et d'autres facteurs propres à chacune.

Devrait-on pouvoir choisir d'être traité par un médecin du même sexe? Non à 59%. La dynamique est la même que celle pour l'éducation, le gouvernement ayant nationalisé nos corps quand il a nationalisé la santé. Des cliniques et hôpitaux privés devraient pouvoir gérer ce problème à l'interne, sans avoir à en faire chaque fois un débat « national ». Mais comme la santé est devenue un « droit » plutôt qu'un service qu'on s'achète, le gouvernement se permet de s'ingérer dans tous les aspects de l'obtention de ce droit.

Doit-on laisser les garderies offrir un menu différent ou accorder des congés pour des fêtes autres que chrétiennes? Non à 57%. Voilà un débat complètement absurde s'il en est. Pourquoi doit-on décider collectivement ce qu'une garderie de la rue St-Urbain à Montréal sert ce midi à ses poupons? Il revient aux garderies de régler ce genre de problème avec leur clientèle. Ah mais j'oubliais! – les garderies appartiennent maintenant presque toutes à l'État, y compris les garderies prétendument privées mais qui sont forcées d'exiger les mêmes tarifs et de suivre les mêmes consignes que les autres.

Trois Québécois sur quatre s'opposent systématiquement au port de signes religieux, que ce soit à l'école (à 76%), au travail (à 74%) ou dans les hôpitaux (à 70%). Chacun de ces lieux de travail est pourtant soit un endroit privé où la question devrait être réglée à l'interne, soit un endroit public qui devrait être privé – ou au minimum obtenir une certaine autonomie pour régler ce genre de problème tout en restant public.

Doit-on accommoder les jeunes demoiselles prudes dans les piscines publiques? Non à 90%. Même en présumant que ce service reste sous le contrôle d'une municipalité, c'est justement le type de problème qui devrait être réglée localement. Évidemment, dans une ville comme Montréal, les jacobins voudront une seule règle pour toute l'île. C'est là qu'on voit à quel point le morcellement municipal (le contraire des fusions forcées qui ont eu lieu ces dernières années) permettrait non seulement de réduire la bureaucratie et de donner plus de contrôle aux citoyens, mais aussi de désamorcer ces conflits potentiels. Vous n'aimez pas la règle adoptée dans votre quartier? Vous allez dans un autre et ça finit là.

En bref, certaines de ces fausses questions ne concernent que deux parties à un arrangement privé et pas la population en général. D'autres deviennent d'intérêt public parce que le conflit potentiel prend place dans des secteurs nationalisés par l'État, alors que le problème se réglerait si on les privatisait. En nationalisant un secteur de l'économie et en érigeant la production de services en « droit », on a transporté sur la place publique tous les problèmes qui se règleraient à l'amiable entre un client et un commerçant dans une situation de concurrence, où l'on peut toujours aller ailleurs si on n'est pas satisfait à un endroit donné.

Dans la mesure où l'on garde un État avec certaines fonctions, il resterait bien sûr un espace public – que faire avec les fonctionnaires qui travaillent pour le ministère de la Justice à Québec par exemple? – pour un petit nombre d'employés. Il s'agirait de la seule décision politique à prendre nécessitant un débat public, qui aurait une ampleur beaucoup plus limitée que le débat actuel.

Il est clair qu'une forte majorité des Québécois ne veulent pas faire de compromis sur certaines questions pour s'adapter à leurs concitoyens, surtout des immigrants, qui souhaiteraient qu'on les accommode. Ce qui est tout à fait légitime. Nous avons tous nos limites et nous estimons à juste titre que ce sont les nouveaux arrivants qui doivent d'abord s'adapter à nous, et non le contraire. Personnellement, je ne suis prêt à faire aucun compromis dans ma vie pour accommoder une femme portant une burqa et je n'ai même pas envie de simplement voir des personnes costumées de la sorte dans mon environnement.

La question est plutôt de savoir si la volonté des uns doit être imposée à tous, et la réponse est – dans une société libre – évidemment non. Pour prendre un exemple caricatural, même si 99% des Québécois pensent qu'on ne devrait pas laisser des musulmans exiger le retrait de tous les crucifix sur les murs avant d'entrer dans une maison, si moi je veux me plier à cette demande en recevant des visiteurs musulmans chez moi, c'est mon affaire. Et ce qui se passe chez moi ne regarde absolument pas les 99% de mes concitoyens qui ne sont pas d'accord.

La même règle s'applique à tous les endroits privés. On se souviendra que dans la fameuse histoire des cabanes à sucre servant de la soupe aux pois sans jambon et permettant à leurs clients musulmans de prier sur la piste de danse, qui avait lancé toute une controverse il y a deux ans, il n'y avait eu en fait aucun conflit. Les propriétaires des établissements avaient volontiers accepté de répondre aux demandes spéciales de leurs clients. Tous les xénophobes professionnels de la province en avaient malgré tout fait tout un plat.

Plus fondamentalement, on en revient au débat de fond sur l'immigration. Pourquoi laisse-t-on entrer sur ce territoire, avec tous les « privilèges » dont peuvent se prévaloir les citoyens (en particulier des services publics gratuits), des étrangers dont les valeurs et les coutumes sont si différentes de celles de la majorité? Les libertariens sont évidemment en faveur de la liberté de circuler et ne proposent pas l'adoption d'une politique d'immigration plus restrictive. Sauf que dans une société libertarienne, où l'État ne contrôlerait plus l'entrée et les sorties sur un territoire national, il y aurait d'autres formes de contrôle reflétant non pas des critères politiques et bureaucratiques, mais la volonté de la population s'exprimant dans un marché libre.

L'une de ces formes de contrôle serait le droit de décider quoi faire avec sa personne et sa propriété et donc de pratiquer une discrimination envers certaines personnes. Ce droit fondamental – qu'on nous a enlevé dans de nombreuses situations – enverrait un message clair à ceux qui ne sont pas les bienvenus ici. On ne devrait pas pouvoir expulser une femme portant une burqa, ni la forcer à l'enlever. Sauf que si personne ne souhaite transiger avec elle – ni lui acheter ou lui vendre quelque chose, ni la soigner, ni éduquer ses enfants (la santé et l'éducation sont devenus des services privés), ni lui louer un appartement, ni l'embaucher – eh bien, cette femme aura le choix de s'habiller comme une personne civilisée ou bien de retourner vivre dans sa société d'origine.

On verra également si un simple hijab – qui, personnellement, ne me cause pas plus de problème qu'un chapeau dans la majorité des situations – provoque les mêmes réactions et comment les gens et les institutions s'y adaptent ou non. Ceux qui le veulent le feront, les autres ne seront pas forcés de le faire. Les femmes portant des hijabs décideront alors si elles peuvent vivre d'une façon qui leur convient compte tenu des restrictions auxquelles elles doivent se conformer dans leurs rapports avec les autres membres de la société.

Cela obligerait toutes les personnes concernées (et il n'y en a pas tant que ça) à s'adapter et à évaluer chaque situation au lieu de s'en remettre à des règles édictées par l'État. Mais la liberté, c'est justement de laisser chacun faire ses propres choix dans le respect des droits fondamentaux des autres, même si le portrait collectif que ça donne est plus embrouillé, au lieu d'imposer à tous les règles de la majorité – ou de la minorité qui crie le plus fort. Comme ce n'est pas demain la veille que ces principes libertariens seront appliqués, on peut prévoir que bien d'autres reportages nous annonceront que la question des accommodements raisonnables n'est toujours pas réglée au cours des années à venir...

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* Martin Masse est directeur du Québécois Libre.