Néanmoins, de nos jours le moralisme (et non la morale, qui est précisément une
discipline personnelle s’exerçant dans le secret de la conscience) gangrène la
société et vient dicter nos comportements dans leurs détails les plus intimes.
Chacun devient le censeur de tous à proportion de sa capacité de nuisance.
Ainsi, une des curiosités
les plus aberrantes de notre monde « post-moderne », entendu dans le sens
écologique où il faudrait renoncer aux acquis trop polluants de la modernité,
est précisément la récupération maladroite par le marketing de la peur de la
pollution.
Oubliant leur métier d’origine, qui est de vendre leurs produits aux
consommateurs, les grandes surfaces ont décidé de mettre un peu d’éthique en
guise de bonus dans le panier de la ménagère. D’autorité, ils ont décrété un
effort citoyen en supprimant les sacs en plastique, lesquels, si pratiques,
étaient devenus quasi consubstantiels à l’acte d’achat.
« Supprimés » les sacs?
Pas vraiment. À l’instar de la taxe carbone instaurée en France, grâce à
laquelle le pollueur peut continuer à polluer moyennant une compensation
financière, ces sacs sont toujours disponibles mais ils sont désormais facturés.
C’est la « taxe carbone » du cochon de payant(1).
Toutefois, les
commerçants qui, eux, sont davantage soumis à la loi du marché qu’à celles de la
démagogie ou de leurs consciences, se sont piégés eux-mêmes dans cette
initiative. Comment mettent-ils donc en pratique cette courageuse décision? Qui
va gagner de ceux qui en donnent ou de ceux qui n’en donnent pas? Car la vraie
question qui se pose à eux est de savoir si cette décision, à la fois humiliante
pour les consommateurs et gênante pour emporter ses achats, aura un impact
négatif sur les ventes.
Quelques cas de figure
actuels à Montréal:
• les petits commerçants: ils ne font pas payer le sac,
mais demandent le plus souvent aux clients s’ils en désirent un.
• Les maisons de la presse semblent revenir à la raison et seuls quelques
vendeurs font encore l’erreur de tenter d’arracher en échange d’un sac une
obole pour quelque grande cause, telle la lutte contre le cancer. Il est
aisé de répondre qu’on est libre de donner à qui on désire et quand on veut,
mais qu’on ne veut absolument pas tremper son journal sous la pluie. De
plus, alors que le nombre de lecteurs de journaux est en diminution et que
ces clients deviennent hystériques quand le prix des quotidiens augmente,
une telle initiative ne doit pas rendre service à la presse.
• La Société des alcools du Québec: j’ai eu l’occasion d’exprimer mon
mécontentement au directeur de la SAQ Privilège sur Sainte-Catherine. Et de
lui expliquer que son monopole des alcools ne justifiait pas cet abus de
position dominante. Qu’au demeurant la SAQ n’avait qu’à laisser le client
libre de son choix. Tout client doit être libre de refuser un sac… ou de
l’accepter. Que m’a répondu cet excellent homme? Que les protestataires de
mon genre étaient minoritaires et que la majorité de ses clients se
réjouissaient de son initiative. Je suis demeuré bouche bée, pensant qu’il
disait sans doute, hélas, la vérité. Aujourd’hui j’en doute.
• Les grandes surfaces:
▫ Les « bas de gamme », celles où le prix compte
beaucoup plus que le service (exemple: Costco): ici il n’y a jamais eu
de sacs, et les clients se contentent depuis longtemps des boîtes en
carton éventuellement disponibles près des caisses, qu’ils bennent tels
quels dans les coffres de leurs voitures.
▫ Les autres (IGA, Metro, Provigo, etc.) poursuivent pour l’instant leur
croisade. Cela devrait logiquement les conduire à licencier les petits
vieux ou les handicapés qui aident à l’emballage des achats. Aider la
planète ou aider de pauvres retraités, le choix sera vite fait.
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