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Les
tribulations d’un Plastic Bagger (Version imprimée) |
par
Daniel Jagodzinski*
Le Québécois Libre, 15
novembre 2009, No 272.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/09/091115-12.htm
Pour Aristote, dans la cité idéale, la morale se confondait avec le
politique car le bien de chacun ne pouvait raisonnablement se dissocier
du bien de tous.
Cette parfaite symbiose n’a jamais existé. Bien pire, elle a le plus
souvent abouti à des idéologies monstrueuses et à des tyrannies atroces,
dont le communisme illustre l’exemple type. Je ne cite pas le nazisme
car son soubassement nihiliste l’exclut d’emblée de toute morale
possible.
Néanmoins, de nos jours le moralisme (et non la morale, qui est
précisément une discipline personnelle s’exerçant dans le secret de la
conscience) gangrène la société et vient dicter nos comportements dans
leurs détails les plus intimes. Chacun devient le censeur de tous à
proportion de sa capacité de nuisance.
Ainsi, une des curiosités les plus aberrantes de notre monde « post-moderne »,
entendu dans le sens écologique où il faudrait renoncer aux acquis trop
polluants de la modernité, est précisément la récupération maladroite
par le marketing de la peur de la pollution.
Oubliant leur métier d’origine, qui est de vendre leurs produits aux
consommateurs, les grandes surfaces ont décidé de mettre un peu
d’éthique en guise de bonus dans le panier de la ménagère. D’autorité,
ils ont décrété un effort citoyen en supprimant les sacs en plastique,
lesquels, si pratiques, étaient devenus quasi consubstantiels à l’acte
d’achat.
« Supprimés » les sacs? Pas vraiment. À l’instar de la taxe carbone
instaurée en France, grâce à laquelle le pollueur peut continuer à
polluer moyennant une compensation financière, ces sacs sont toujours
disponibles mais ils sont désormais facturés. C’est la « taxe carbone »
du cochon de payant(1).
Toutefois, les commerçants qui, eux, sont davantage soumis à la loi du
marché qu’à celles de la démagogie ou de leurs consciences, se sont
piégés eux-mêmes dans cette initiative. Comment mettent-ils donc en
pratique cette courageuse décision? Qui va gagner de ceux qui en donnent
ou de ceux qui n’en donnent pas? Car la vraie question qui se pose à eux
est de savoir si cette décision, à la fois humiliante pour les
consommateurs et gênante pour emporter ses achats, aura un impact
négatif sur les ventes.
Quelques cas de figure actuels à Montréal:
• les petits commerçants: ils ne font pas payer le
sac, mais demandent le plus souvent aux clients s’ils en désirent
un.
• Les maisons de la presse semblent revenir à la raison et seuls
quelques vendeurs font encore l’erreur de tenter d’arracher en
échange d’un sac une obole pour quelque grande cause, telle la lutte
contre le cancer. Il est aisé de répondre qu’on est libre de donner
à qui on désire et quand on veut, mais qu’on ne veut absolument pas
tremper son journal sous la pluie. De plus, alors que le nombre de
lecteurs de journaux est en diminution et que ces clients deviennent
hystériques quand le prix des quotidiens augmente, une telle
initiative ne doit pas rendre service à la presse.
• La SAQ: j’ai eu l’occasion d’exprimer mon mécontentement au
directeur de la SAQ Privilège sur Sainte-Catherine. Et de lui
expliquer que son monopole des alcools ne justifiait pas cet abus de
position dominante. Qu’au demeurant la SAQ n’avait qu’à laisser le
client libre de son choix. Tout client doit être libre de refuser un
sac… ou de l’accepter. Que m’a répondu cet excellent homme? Que les
protestataires de mon genre étaient minoritaires et que la majorité
de ses clients se réjouissaient de son initiative. Je suis demeuré
bouche bée, pensant qu’il disait sans doute, hélas, la vérité.
Aujourd’hui j’en doute.
• Les grandes surfaces:
▫ Les « bas de gamme », celles où le prix
compte beaucoup plus que le service (exemple Costco): ici il n’y
a jamais eu de sacs, et les clients se contentent depuis
longtemps des boîtes en carton éventuellement disponibles près
des caisses, qu’ils bennent tels quels dans les coffres de leurs
voitures.
▫ Les autres (IGA, Metro, Provigo, etc.) poursuivent pour
l’instant leur croisade. Cela devrait logiquement les conduire à
licencier les petits vieux ou les handicapés qui aident à
l’emballage des achats. Aider la planète ou aider de pauvres
retraités, le choix sera vite fait.
Un point commun à tous les cas évoqués est
l’embrigadement sans arrière-pensée du personnel qui, brainwashé
ou non, soutient sans réserves les décisions du patron et tient avec
conviction un discours militant écologique lorsque le consommateur se
rebiffe. C’est troublant et en dit long sur les facultés critiques des
employés.
Qu’en conclure?
Les différents types de clients constituent des cibles variées. L’avoir
oublié a été l’erreur de la plupart des détaillants de la grande
consommation (moins connus pour la finesse de leur intelligence que pour
leur nom de marque) lorsqu’ils ont décidé de traiter avec arrogance tout
le monde de la même façon. Leur démarche impérative, que rien
n’imposait, tient sans doute à leur conviction d’être davantage
indispensables à leurs clients que le contraire. Il est donc
particulièrement intéressant de surveiller l’évolution de leurs ventes,
pour vérifier l’incidence réelle sur le marché du mécontentement des
Plastic Baggers. Et voir si la vie réelle l’emporte sur l’hypocrisie
de l’alibi écologique. Il restera sans doute de ce combat douteux qu’il
sera désormais systématiquement nécessaire d’exiger ce qui auparavant
s’obtenait sans avoir à le demander.
Un autre fait troublant mérite également attention: comment se fait-il
que ces grandes surfaces aient à l’unanimité pris la même décision?
Quelle mouche a piqué ces commerçants, censés être des rivaux
commerciaux, pour faire front commun dans l’urgence sur un sujet
essentiellement symbolique, c’est-à-dire sans enjeu réel, et engager un
bras de fer avec leurs clients? Y aurait-il donc un profil type et une
psychologie commune des grossistes-détaillants, voire une appartenance
occulte à une gang agressive des supermarchés? Bref, existerait-il un
centre (je n’ose écrire de réflexion) de commandement des grands-surfaciers
qui aurait décidé d’imposer aux consommateurs une loi différente de
celle du marché? Tant de bêtise laisse rêveur.
Enfin, nous pouvons nous interroger sur la puissance du catastrophisme à
la mode, qui pénètre rapidement tous les secteurs des activités et de la
pensée et sur cette haine inconséquente de la modernité qui conduit à
intenter un procès en malfaisance à presque tout ce qui a amélioré nos
conditions d’existence(2):
les médicaments (considérés comme autant de poisons, alors que progresse
l’espérance de vie), la voiture (dangereuse menace communautaire),
l’énergie atomique, l’alimentation et les OGM, les sciences en général,
etc., …sans oublier les sacs en plastique. La Nature apparaît comme un
nouveau mythe, dépourvu de contenu réel, mais justifiant toutes les
angoisses.
Nous traversons vraiment « une saison gâtée » comme l’écrivait
Montaigne.
Notes
1. Il y a longtemps un humoriste se demandait pourquoi le gouvernement
ne taxait pas l’air que nous respirons. Ce n’était pas de l’humour, mais
de l’anticipation. Ne serait-il pas en effet plus rentable de taxer la
consommation (d’air) que l’émission de son rejet?
2. L’écologie se présente comme une religion laïque inversée. Inversée,
car elle a peu à dire sur l’origine du monde, mais tout sur sa fin
prochaine; elle s’enracine non dans le passé, mais dans le futur et non
ailleurs (au ciel), mais ici bas. De la religion elle possède les
attributs de la vérité révélée, incontestable, le prosélytisme et
l’intolérance à toute autre vision. Je ne sais si elle est salutaire
pour la santé, mais elle fait à coup sûr des ravages dans la pensée, au
point que certains parlent de « fascisme vert ».
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Daniel
Jagodzinski est un « vieil et récent immigré (de France) de
62 ans », DJ, médecin spécialiste ainsi que licencié en
philosophie, qui a choisi de s’établir à Montréal avec sa femme
et sa fille. |