Premièrement, expliquons
de quoi il s’agit. Les entreprises recevront au départ le droit d’émettre une
certaine quantité de CO2. Ensuite, si elles sont en
situation de surplus, elles pourront vendre ces droits sur un marché prévu à
cette fin à d’autres entreprises qui elles, sont en situation de déficit. En
théorie, cela doit récompenser les entreprises qui émettent moins et punir les
entreprises qui émettent trop de carbone, les forçant ainsi à investir dans des
technologies plus propres lorsque le coût de cet investissement devient moins
élevé que le coût d’émission d’une quantité correspondante de carbone.
De plus, pour garantir le succès de l’opération, il est prévu que la limite
d’émission baisse régulièrement, jusqu’à atteindre des émissions globales qui
seront jugées tolérables. Actuellement, en Europe, il est obligatoire de
procéder ainsi pour les installations fixes (excluant les moyens de transport)
ayant besoin d’une puissance supérieure à 20MWh(1).
Déjà, plusieurs problèmes
surgissent. Premièrement, pourquoi seulement les installations fixes? En effet,
celles-ci ne produisent qu’environ 40% des gaz à effet de serre. Compte tenu que
l’objectif ultime est de réduire de 75 à 80% les émissions d’ici 2050, il faudra
non seulement que ces installations cessent d’utiliser de l’énergie, mais en
plus qu’elles en absorbent autant qu’elles en émettaient avant. Passons.
Ensuite, pourquoi fixer
un seuil uniforme de 20MW? (Et pourquoi à ce niveau justement?) En effet, rien
ne dit qu’une entreprise d’une puissance de 21MW n’est pas plus efficace avec
son énergie qu’une entreprise de 19MW.
Ce système présume que
les entreprises gaspillent systématiquement l’énergie et ne l’utilisent pas à
bon escient, et donc qu’il y a une large place à l’amélioration du côté de la
consommation d’énergie. Pourtant, économiquement parlant, cela n’a aucun sens.
Les entreprises, en plus de devoir se mesurer à la concurrence, doivent
s’organiser pour faire des profits. Une consommation d’énergie sans modération
va à l’encontre de ces deux objectifs. Dans les faits, les entreprises utilisent
raisonnablement bien leurs ressources, et les réelles possibilités d’économies
sont de l’ordre – au mieux – de quelques points de pourcentage.
L’économie est
fondamentalement basée sur un arbitrage entre différents types de ressources:
humaines (qui utilisent leur salaire pour consommer toutes sortes de choses,
dont de l’énergie), matérielles (qui ont un contenu en énergie certain), et
temporelles. L’argent n’est qu’un intermédiaire visant à faciliter l’arbitrage.
Or pour réduire la consommation d’énergie, tout en continuant de faire la même
chose qu’avant, il faut utiliser d’autres ressources, ce qui limite d’autant la
réduction.
Et cela n’est pas
nécessairement une preuve qu’il y aura moins d’énergie consommée ou moins
d’autres formes de pollution. En effet, deux systèmes réduisant les coûts de
production de manière identique dans deux pays différents peuvent avoir des
contenus énergétiques très différents parce que les
salaires sont plus bas dans l’un des deux pays par exemple.
Ce marché du carbone
risque donc de devenir rapidement un marché d’acheteurs où il n’y a rien à
vendre et où les prix ne font que grimper. Cela peut sembler une bonne idée,
mais on néglige complètement l’aspect dynamique de l’économie. Ce système ne
prend en compte que deux possibilités: soit a) réduire sa consommation d’énergie
par des mesures dans ce sens, soit b) payer pour des droits d’émissions
supplémentaires. Or, il y a d’autres possibilités qui permettent de contourner
les restrictions imposées.
On pourra par exemple
scinder une entreprise en 2, 3… ou 10 pour passer sous le seuil d’obligation de
faire le commerce de carbone. Cela peut se faire de différentes manières. La
première, en changeant la structure légale d’une entreprise ou en sous-traitant
différents éléments à des entreprises n’ayant pas atteint leur limite
d’émission. Et même si, par une série de lois, les gouvernements parvenaient à
empêcher les entreprises de procéder ainsi, cela ne ferait qu’ouvrir la porte à
des concurrents plus petits qui pourront alors remplacer progressivement la
plupart des grandes entreprises, sans qu’il y ait garantie d’économie d’énergie.
Selon le prix du carbone,
une entreprise de 25 MW pourrait être remplacée par 2 de 15MW chacune ou 40 de
0,9MW, dépendamment du prix et du niveau maximal d’émissions admissible. En
plus, il faudra s’attendre dans l’avenir à voir de plus en plus d’entreprises
multiplier les établissements de manière à ne pas dépasser les seuils admis. |