Le Québécois Libre, 15 novembre 2009, No 272. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/091115-9.htm L’actuel débat sur la réduction de l’émission de CO2 fait une place de choix au marché d’échange de crédits sur le carbone. D’ailleurs, si tout se met en place selon le vœu des militants environnementalistes, ce marché est destiné à devenir le fondement de tout le système visant à forcer la réduction d’émission de gaz à effets de serre. Si a priori ce procédé est séduisant, il n’en comporte pourtant pas moins une faille majeure: il ne peut en aucun cas mener à une réduction de l’émission de CO2. Il pourrait même, selon certains scénarios, mener à une augmentation de ce gaz. Voici pourquoi. Des réductions forcées Premièrement, expliquons de quoi il s’agit. Les entreprises recevront au départ le droit d’émettre une certaine quantité de CO2. Ensuite, si elles sont en situation de surplus, elles pourront vendre ces droits sur un marché prévu à cette fin à d’autres entreprises qui elles, sont en situation de déficit. En théorie, cela doit récompenser les entreprises qui émettent moins et punir les entreprises qui émettent trop de carbone, les forçant ainsi à investir dans des technologies plus propres lorsque le coût de cet investissement devient moins élevé que le coût d’émission d’une quantité correspondante de carbone. De plus, pour garantir le succès de l’opération, il est prévu que la limite d’émission baisse régulièrement, jusqu’à atteindre des émissions globales qui seront jugées tolérables. Actuellement, en Europe, il est obligatoire de procéder ainsi pour les installations fixes (excluant les moyens de transport) ayant besoin d’une puissance supérieure à 20MWh(1). Déjà, plusieurs problèmes surgissent. Premièrement, pourquoi seulement les installations fixes? En effet, celles-ci ne produisent qu’environ 40% des gaz à effet de serre. Compte tenu que l’objectif ultime est de réduire de 75 à 80% les émissions d’ici 2050, il faudra non seulement que ces installations cessent d’utiliser de l’énergie, mais en plus qu’elles en absorbent autant qu’elles en émettaient avant. Passons. Ensuite, pourquoi fixer un seuil uniforme de 20MW? (Et pourquoi à ce niveau justement?) En effet, rien ne dit qu’une entreprise d’une puissance de 21MW n’est pas plus efficace avec son énergie qu’une entreprise de 19MW. Ce système présume que les entreprises gaspillent systématiquement l’énergie et ne l’utilisent pas à bon escient, et donc qu’il y a une large place à l’amélioration du côté de la consommation d’énergie. Pourtant, économiquement parlant, cela n’a aucun sens. Les entreprises, en plus de devoir se mesurer à la concurrence, doivent s’organiser pour faire des profits. Une consommation d’énergie sans modération va à l’encontre de ces deux objectifs. Dans les faits, les entreprises utilisent raisonnablement bien leurs ressources, et les réelles possibilités d’économies sont de l’ordre – au mieux – de quelques points de pourcentage. L’économie est fondamentalement basée sur un arbitrage entre différents types de ressources: humaines (qui utilisent leur salaire pour consommer toutes sortes de choses, dont de l’énergie), matérielles (qui ont un contenu en énergie certain), et temporelles. L’argent n’est qu’un intermédiaire visant à faciliter l’arbitrage. Or pour réduire la consommation d’énergie, tout en continuant de faire la même chose qu’avant, il faut utiliser d’autres ressources, ce qui limite d’autant la réduction. Et cela n’est pas nécessairement une preuve qu’il y aura moins d’énergie consommée ou moins d’autres formes de pollution. En effet, deux systèmes réduisant les coûts de production de manière identique dans deux pays différents peuvent avoir des contenus énergétiques très différents parce que les salaires sont plus bas dans l’un des deux pays par exemple. Ce marché du carbone risque donc de devenir rapidement un marché d’acheteurs où il n’y a rien à vendre et où les prix ne font que grimper. Cela peut sembler une bonne idée, mais on néglige complètement l’aspect dynamique de l’économie. Ce système ne prend en compte que deux possibilités: soit a) réduire sa consommation d’énergie par des mesures dans ce sens, soit b) payer pour des droits d’émissions supplémentaires. Or, il y a d’autres possibilités qui permettent de contourner les restrictions imposées. Conséquences imprévues On pourra par exemple scinder une entreprise en 2, 3… ou 10 pour passer sous le seuil d’obligation de faire le commerce de carbone. Cela peut se faire de différentes manières. La première, en changeant la structure légale d’une entreprise ou en sous-traitant différents éléments à des entreprises n’ayant pas atteint leur limite d’émission. Et même si, par une série de lois, les gouvernements parvenaient à empêcher les entreprises de procéder ainsi, cela ne ferait qu’ouvrir la porte à des concurrents plus petits qui pourront alors remplacer progressivement la plupart des grandes entreprises, sans qu’il y ait garantie d’économie d’énergie. Selon le prix du carbone, une entreprise de 25 MW pourrait être remplacée par 2 de 15MW chacune ou 40 de 0,9MW, dépendamment du prix et du niveau maximal d’émissions admissible. En plus, il faudra s’attendre dans l’avenir à voir de plus en plus d’entreprises multiplier les établissements de manière à ne pas dépasser les seuils admis. D’autres problèmes pourraient survenir:
Le cas des pays les plus pauvres est aussi
problématique, car ils se sont (généralement) converti à l’économie
industrielle depuis seulement quelques années et cela a des
répercussions sur leurs émissions de carbone. Étant donné que bon nombre
d’entre eux produisent des biens pour les pays riches, certains croient
que leurs émissions devraient être presque complètement facturées aux
pays riches, ce qui ne sera pas facile à faire. (Pourquoi? Comment? Par
quelle méthode? Mystère…) Quoi qu’il en soit, la Commission européenne
estime à 100 milliards d’euros(7)
la somme annuelle que devraient donner les pays riches d’ici 2020. Le
Brésil estime quant à lui que la somme devrait être de 350 milliards
d’euros, payés par les pays riches. Si l’on accepte le principe que
l’économie est fondamentalement un arbitrage, il faudra dégager la même
quantité de CO2 que précédemment pour produire ce
100 ou 350 milliards, ne faisant au mieux que transférer les émissions
d’une place à l’autre, comme les technologies dites vertes actuelles,
hautement subventionnées pour donner à ses acheteurs l’illusion qu’ils
sont plus verts que les autres. |