L'un des objectifs de Jeff était justement
de rassembler ces différents mouvements de
droite autour d'une plate-forme idéologique
plus cohérente en faveur de la liberté
individuelle et d'une réduction du rôle de
l'État. C'est pourquoi il m'a invité à
prononcer l'une des trois conférences de la
journée, avec Richard Décarie de l'Action
conservatrice traditionnelle et lui-même.
Comme les lecteurs du QL le savent,
je ne considère pas le libertarianisme comme
une philosophie « de droite ». La gauche et
la droite se définissent un peu
arbitrairement par des valeurs et des
intérêts différents, mais se rejoignent bien
souvent dans la volonté d'utiliser l'État
pour imposer ces valeurs et intérêts. Être
libertarien, c'est rejeter l'étatisme,
autant celui de droite que celui de gauche.
Cela étant dit, il est clair que dans le
discours à tout le moins, les mouvements de
droite sont en général plus ouverts à une
diminution du rôle de l'État et à un
discours plus économiquement libéral que les
mouvements de gauche, dont la position par
défaut est de préconiser une intervention de
l'État pour régler tous les problèmes de
l'univers. Et les personnes présentes samedi
dernier qui se décrivent comme étant à
droite n'étaient pas les mêmes droitistes
plus clairement étatistes que
j'ai déjà dénoncés il y a quelques
années.
Ma présentation s'est articulée autour de
cette réalité:
dans nos sociétés démocratiques, la
politique est essentiellement un jeu visant
à acheter des clientèles électorales pour se
faire élire et pour obtenir la capacité de
parasiter la société dans son ensemble au
moyen du pouvoir de taxation et de
coercition de l'État. C'est pour cette
raison que depuis l'avènement de la
démocratie au 19e siècle, l'État n'a cessé
de grossir. Les incitations mises en place
par la dynamique politique mènent toutes à
un accroissement de l'État.
Des partis de droite qui rassemblent
différents mouvements cherchant vaguement à
réduire le rôle de l'État dans certains
domaines mais à le maintenir ou l'accroître
dans d'autres ne peuvent qu'échouer. Si un
groupe obtient un privilège étatique,
d'autres voudront la même chose. Et pour
maintenir cette coalition, il devient
nécessaire de donner un morceau à chacun,
contredisant ainsi l'objectif de réduire la
taille de l'État.
Si le marchandage interne ne réussit pas, le
parti implose, comme cela a été le cas de l'ADQ.
S'il réussit et que le parti parvient à
acheter suffisamment de clientèles
électorales pour accéder au pouvoir, le
gouvernement qui en est issu devient
nécessairement un gouvernement étatiste qui
grossit l'État, parfois plus encore que son
prédécesseur de gauche, comme nous l'avons
observé avec George W. Bush ou Stephen
Harper.
La seule façon de maintenir une telle
coalition autour de l'objectif de réduire le
rôle de l'État est de s'imposer une sorte de
cadre contraignant: la seule position
officielle du mouvement ou du parti doit
être de réduire le pouvoir de l'État et le
redonner aux citoyens, à divers degrés ou
vitesse selon le domaine, mais il ne doit
jamais préconiser l'intervention de
l'État ou le maintien de privilèges pour
certains. Si des individus ou des groupes au
sein de la coalition croient que
l'intervention de l'État est nécessaire dans
un domaine ou un autre, ils doivent défendre
cette idée à l'extérieur du mouvement et ne
pas chercher à la faire accepter au sein de
celui-ci. Sinon, au lieu de débattre et de
lutter contre nos opposants étatistes, nous
débattons et nous nous disputons entre nous.
Chacun doit donc faire des compromis, autant
les conservateurs étatistes sur certains
points que les libertariens devant tempérer
leur vision plus radicale pour composer avec
la réalité d'une coalition.