Le Québécois Libre, 15 décembre 2009, No 273. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/091215-2.htm Tel qu'annoncé dans une vidéo reprise sur le blogue du QL par Jeff Plante, son principal organisateur, le Mouvement Nouveau Québec a tenu ses premières assises le 28 novembre dernier au cégep Maisonneuve à Montréal. Une cinquantaine de participants étaient présents, comme individus ne représentant qu'eux-mêmes ou associés à divers groupes considérés comme étant « à droite ». Plusieurs d'entre eux étaient des ex-adéquistes déçus. L'un des objectifs de Jeff était justement de rassembler ces différents mouvements de droite autour d'une plate-forme idéologique plus cohérente en faveur de la liberté individuelle et d'une réduction du rôle de l'État. C'est pourquoi il m'a invité à prononcer l'une des trois conférences de la journée, avec Richard Décarie de l'Action conservatrice traditionnelle et lui-même. Comme les lecteurs du QL le savent, je ne considère pas le libertarianisme comme une philosophie « de droite ». La gauche et la droite se définissent un peu arbitrairement par des valeurs et des intérêts différents, mais se rejoignent bien souvent dans la volonté d'utiliser l'État pour imposer ces valeurs et intérêts. Être libertarien, c'est rejeter l'étatisme, autant celui de droite que celui de gauche. Cela étant dit, il est clair que dans le discours à tout le moins, les mouvements de droite sont en général plus ouverts à une diminution du rôle de l'État et à un discours plus économiquement libéral que les mouvements de gauche, dont la position par défaut est de préconiser une intervention de l'État pour régler tous les problèmes de l'univers. Et les personnes présentes samedi dernier qui se décrivent comme étant à droite n'étaient pas les mêmes droitistes plus clairement étatistes que j'ai déjà dénoncés il y a quelques années. Ma présentation s'est articulée autour de cette réalité: dans nos sociétés démocratiques, la politique est essentiellement un jeu visant à acheter des clientèles électorales pour se faire élire et pour obtenir la capacité de parasiter la société dans son ensemble au moyen du pouvoir de taxation et de coercition de l'État. C'est pour cette raison que depuis l'avènement de la démocratie au 19e siècle, l'État n'a cessé de grossir. Les incitations mises en place par la dynamique politique mènent toutes à un accroissement de l'État. Des partis de droite qui rassemblent différents mouvements cherchant vaguement à réduire le rôle de l'État dans certains domaines mais à le maintenir ou l'accroître dans d'autres ne peuvent qu'échouer. Si un groupe obtient un privilège étatique, d'autres voudront la même chose. Et pour maintenir cette coalition, il devient nécessaire de donner un morceau à chacun, contredisant ainsi l'objectif de réduire la taille de l'État. Si le marchandage interne ne réussit pas, le parti implose, comme cela a été le cas de l'ADQ. S'il réussit et que le parti parvient à acheter suffisamment de clientèles électorales pour accéder au pouvoir, le gouvernement qui en est issu devient nécessairement un gouvernement étatiste qui grossit l'État, parfois plus encore que son prédécesseur de gauche, comme nous l'avons observé avec George W. Bush ou Stephen Harper. La seule façon de maintenir une telle coalition autour de l'objectif de réduire le rôle de l'État est de s'imposer une sorte de cadre contraignant: la seule position officielle du mouvement ou du parti doit être de réduire le pouvoir de l'État et le redonner aux citoyens, à divers degrés ou vitesse selon le domaine, mais il ne doit jamais préconiser l'intervention de l'État ou le maintien de privilèges pour certains. Si des individus ou des groupes au sein de la coalition croient que l'intervention de l'État est nécessaire dans un domaine ou un autre, ils doivent défendre cette idée à l'extérieur du mouvement et ne pas chercher à la faire accepter au sein de celui-ci. Sinon, au lieu de débattre et de lutter contre nos opposants étatistes, nous débattons et nous nous disputons entre nous. Chacun doit donc faire des compromis, autant les conservateurs étatistes sur certains points que les libertariens devant tempérer leur vision plus radicale pour composer avec la réalité d'une coalition. Voilà, de manière très succincte, l'essentiel du message que j'avais à donner aux participants. J'ai également parlé des différents mouvements de droite, de choix stratégiques pour mettre à exécution ces idées si un jour un parti fondé sur cette base réussissait à prendre le pouvoir, etc. Ma proposition semble avoir été très bien accueillie, autant lors de ma présentation qu'en atelier plus tard. Même si le mouvement n'a pas vraiment de structure formelle pour l'instant ni de procédure d'adoption de résolution, il semble bien que le modèle de cadre contraignant que j'ai présenté ait été accepté comme une règle fondamentale qui définira le groupe. Reste à voir si la règle sera suivie plus longtemps que pendant une rencontre où elle a été proposée, et comprise et acceptée par ceux qui se joindront plus tard au Mouvement. Pour le moment, il s'agit bel et bien d'un simple mouvement de réseautage et d'échange. Une autre rencontre est prévue à Québec vers le mois de février. La gestion du Mouvement sera assurée par Jeff, Martin Otis et un petit groupe de leur entourage. Même si ma présentation a été focalisée sur la stratégie propre à un parti, il est beaucoup trop tôt pour parler d'en fonder un à ce stade-ci. Comme l'a dit Jeff Plante, avant de parler de parti et de chef, il faudrait savoir où l'on veut aller et quelles idées on veut défendre. J'ai été agréablement surpris par la rencontre, les discussions qui ont eu lieu et par la volonté exprimée de ne pas répéter les erreurs de l'ADQ et d'autres partis « de droite ». Je suis certainement prêt à donner la chance au coureur et à m'impliquer dans la mesure de mes moyens pour aider ce Mouvement à croître et à fédérer le plus de gens possible, mais uniquement dans la mesure où le cadre contraignant qui impose un ralliement autour des notions de moins d'État/plus de liberté est maintenu. Après avoir dénoncé la droite étatiste et parlé de l'inutilité de l'engagement politique depuis plusieurs années, je n'ai strictement aucune intention de perdre mon temps dans une autre aventure sans lendemain. Il ne faut pas se conter d'histoire, ce sera difficile. Chez les non-libertariens, les réflexes étatistes reviennent rapidement à la surface dès qu'on sort du sujet de prédilection où ils en ont contre les gauchistes et les interventionnistes. D'ailleurs, dans mon esprit, un tel mouvement devrait logiquement chercher à obtenir également l'appui de gens de gauche qui militent pour une réduction du rôle de l'État, par exemple ceux qui luttent pour les libertés civiles et contre l'État-espion répressif qui se développe rapidement depuis les attentats du 11 septembre, ceux qui militent pour la légalisation des drogues et de la prostitution, ou encore ceux qui souhaitent l'élimination des subventions aux entreprises, même si c'est pour des motifs anticapitalistes. C'est pourquoi j'invite les participants de samedi dernier, et tous ceux qui s'intéressent au Mouvement et qui pourraient vouloir s'y joindre, à bien garder en tête ce cadre contraignant s'ils veulent assurer le succès de cette entreprise. Ce n'est pas une menace, simplement un constant: ni moi, ni je pense la plupart des libertariens, ne voudront contribuer à l'avancement d'un autre mouvement étatiste de droite. Pour des explications plus élaborées de tout ce qui précède, je vous invite à regarder la vidéo de ma conférence (et celles des autres conférenciers sur le site du Mouvement) qui dure une heure avec la période de questions, en m'excusant pour mes médiocres talents d'orateur. Je pense que les notions stratégiques que je propose sont pertinentes et importantes pour tout groupe qui veut réussir à faire avancer de telles idées. J'espère qu'elles contribueront à approfondir la réflexion autour de cet objectif, que le Mouvement Nouveau Québec réussisse ou non à se structurer et se développer au cours des prochains mois. ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Martin Masse est directeur du Québécois Libre. |