La situation contemporaine
|
L’allégorie est limpide: celui qui, à la lumière de la
raison, distingue les vraies réalités derrière l’apparence
des choses ne peut recevoir un bon accueil de ses
contemporains.
Ainsi, celui qui
aujourd’hui dénonce la prolifération tentaculaire des lois
qui, progressivement, ne font plus la distinction entre
privé et public, se fait traiter d’hystérique (et/ou de)
paranoïaque. Et pourtant, la loi submerge tout et ne laisse
subsister aucun comportement privé car il n’en est aucun qui
ne puisse agir sur l’intérêt général. C’est donc dans tous
les détails que se manifeste le Nouvel Esprit des Lois.
Les exemples sont
innombrables mais tous vont dans le même sens: pénétrer ce
qui jusqu’à présent était de l’ordre de la décision
personnelle. Les interdictions et obligations pullulent
(dans l’intérêt de tous, nous ne le redirons jamais assez).
Certaines sont officielles et se renforcent sans arrêt,
telles les interdictions de construire des cheminées dans
les nouveaux immeubles afin d’éviter l’émission de CO2
ou de particules nuisibles, ou celles de conduire en
téléphonant avec un cellulaire.
Mais surtout, certaines
obligations devancent les lois et s’inscrivent
« naturellement » dans les comportements. Ainsi les citoyens
se sentent dans l’obligation d’utiliser les distributeurs de
désinfectants pour les mains en pénétrant dans certains
lieux publics; il est « recommandé » de dire ou d’écrire
« malvoyant » en lieu et place d’« aveugle », ou de mettre
un « e » à gouverneur s’il s’agit d’une dame, ainsi que la
presse en donne l’exemple; etc.
Enfin, ce qui échappe à
la loi ou aux moeurs peut faire l’objet de sanctions
légales. En voici un exemple amusant: l’interdiction
prononcée par un tribunal italien d’utiliser le « rouge
Ferrari » (alors même que Ferrari n’a jamais breveté cette
couleur. Voir Le Figaro Économie du 26 novembre 2009)
sur les modèles réduits ou quelque objet que ce soit qui
puisse être identifié à la marque de voiture.
Les esprits forts ne
distinguent rien d’inquiétant dans ces « détails » qu’ils
minimisent pour mieux nier la confusion du privé et du
public (au profit du public) et la perte progressive des
libertés. Ils retrouvent enfin leur bien-aimée caverne et la
servitude chérie au terme de bien des siècles de
« progrès ».
Fin de la révolution permanente
et essor du procès permanent |
La confusion se manifeste parfois quand le privé, privé de
repères, tend à se prendre pour le public. Par exemple,
lorsque des grands magasins décident d’imposer leurs options
civiques à leurs clients (suppression
des sacs en plastique, etc.), ou lorsque des recruteurs
jouent les inquisiteurs sur Facebook et rejettent des
candidats non pour défaut de compétence, mais sur la base de
faits étalés sur la Toile, même si ces faits n’ont fait
l’objet d’aucune condamnation et ont pu être commis bien
avant la majorité légale de leurs auteurs.
Il est amusant de
rappeler que, dans le même temps, dans un souci
antidiscriminatoire l’OFII (qui remplace l’Office des
Migrations Internationales, ou OMI) recommande de ne pas
faire mention de son âge sur un CV, ce qui correspondrait
aux usages canadiens. Ainsi, de mille façons, a été instauré
le Procès (prophétie kafkaïenne) permanent intenté par tous
contre tous.
Kafka est encore présent
lorsqu’on examine dans le détail l’application de principes
« universels ». Un gouvernement démocratique se doit
aujourd’hui d’offrir toit, nourriture et soins aux
itinérants, toxicos, illégaux, etc., par souci de la
« dignité » humaine. Éviter l’exclusion est un mot d’ordre
généralisé. Dans les faits, ce sont cautères sur jambe de
bois, dont le mode d’emploi est lui aussi écrit en langue de
bois. Pourtant l’exclusion s’effectue désormais elle aussi
au nom de la « dignité », puisque c’est le même souci de
« dignité » humaine qui juge bon de pousser les vieux à
l’euthanasie consentie. La liste de ceux qui pourraient
bénéficier de la même sollicitude n’est pas ici exhaustive.
Cette marée montante de
légifération dans laquelle disparaît l’espace privé, cette
chose qu’on a connue à plusieurs reprises au cours de
l’histoire et qui a nié le citoyen au profit du collectif,
s’appelle barbarie. Et ce phénomène a toujours été nié par
ceux-là même qui en pâtissaient, par nos amis de la caverne,
qui toujours ont fait payer cher leur lucidité aux
Cassandre.
Nous pouvons maintenant
parler à bon droit de « marée du siècle ».
|