Ludwig von Mises. Vie, oeuvres, concepts |
Introduction |
Il est assez étonnant de constater au premier abord que la plupart des écrits de
Ludwig von Mises n'ont pas encore été traduits en langue française, et que
plusieurs de ceux qui l'ont été sont depuis longtemps épuisés(1). Ainsi son
premier grand livre en 1912 sur la théorie de la monnaie et du crédit, en dépit
des vues nouvelles qu'il apporte, demeure superbement méconnu du public
français. Mais l'étonnement s'accroît si l'on considère que son magnum opus,
Human Action, dont la version originale a été publiée en langue anglaise en
1949, ne fut l'objet d'une traduction française qu'en 1985. Cet ouvrage, qui
synthétise un ambitieux programme théorique et qui rappelle par le fait même
l'actualité des thèses de l'école autrichienne, aurait pourtant mérité un
accueil plus chaleureux. Du reste, Pascal Salin faisait remarquer en 1983 que
les travaux de Ludwig von Mises étaient « mal connus en France »(2).
Les choses ont peu changé depuis ce constat. Ainsi, jusqu'à ce jour, aucune
monographie de langue française n'a encore été entièrement consacrée à l'oeuvre
de Mises. À la différence de Friedrich A. Hayek, qui paraît nettement mieux
installé dans le marché des idées en France, Mises semble être l'un de ces
précurseurs dont on salue le mérite et les qualités de courage, mais dont on ne
connaît la contribution que superficiellement. Les raisons de cette indifférence
tiennent peut-être à l'architecture même de l'oeuvre. Il faut dire que la pensée
de Mises, même si elle est écrite dans une prose relativement simple, est d'une
grande complexité, au point où elle paraît parfois sinueuse et abstraite. Hayek
disait du reste que les arguments de Mises n'étaient pas toujours faciles à
saisir.
Non conformiste, il arrive parfois à Mises d'être ironique, et, à l'occasion, de
provoquer la polémique, dans la mesure où il n'hésite pas à pousser les idées,
les siennes et celles des autres, jusqu'à leurs dernières conséquences. Mises
n'a rien, il est vrai, d'un chercheur de popularité. À le lire, on voit tout de
suite qu'il vit dans la compagnie d'auteurs étrangers à son époque. Quand il
combat le socialisme, c'est à Karl Marx qu'il réserve ses attaques les plus
féroces; quand il repousse le positivisme, c'est à Auguste Comte qu'il adresse
ses reproches les plus sérieux.
La vie de Mises se déroule essentiellement dans un siècle, le XXe, qui a été
semble-t-il peu favorable à son dessein et à ses idées. Lui qui chérissait tant
la liberté, a été bien malgré lui le témoin privilégié du grossissement
exponentiel de la taille de l'État, de la montée du totalitarisme, autant de
gauche que de droite; lui qui avait horreur du bruit, du bruit des armes
surtout, a dû assister au spectacle de deux grandes guerres.
Sa très longue vie, qui s'étend sur 92 ans, donne l'impression d'éternité.
Figure centrale de l'école autrichienne, à la fois au sens chronologique et
intellectuel, Mises a pris le relais des mains de Böhm-Bawerk qui, lui, l'avait
pris de Carl Menger, pour le donner ensuite à Friedrich A. Hayek puis à Murray
N. Rothbard. C'est maintenant aux États-Unis, et non en Autriche où il n'y pas
aujourd'hui pour ainsi dire d'économistes autrichiens au sens de Menger et de
ses successeurs, que la pensée de Mises trouve le plus d'écho favorable.
La « science de l'action humaine » que Mises a patiemment édifiée au cours de
longues années de recherche et de méditation se déploie à travers une vingtaine
de livres et plus de deux cents articles, dont il est évidemment impossible de
rendre compte dans le cadre du présent travail.
Mises a donc beaucoup écrit. Mais, et cela ne pouvait en être autrement, il
s'est aussi beaucoup répété, parfois inlassablement; à travers de nombreux
articles et des recueils, dont plusieurs ont été publiés à titre posthume, il se
reprend, se corrige, affine son propos. Si l'on veut donc suivre le cheminement
de son oeuvre, il faut se tourner vers les textes les plus importants et les
plus représentatifs de son programme de recherche. Une telle démarche, il
importe de le répéter, ne prétend pas à l'exhaustivité(3).
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