Nul
doute que Lévi-Strauss aurait su décrypter dans le scénario
d'Avatar les mythes communs et irréductibles de
l'humanité. Il est d'ailleurs amusant de constater que les
spectateurs se reconnaissent plus facilement dans les
sauvages que dans les envahisseurs venus de la modernité,
pourtant exacts miroirs de nos types humains (brute
soldatesque, scientifique idéaliste, opportuniste sur le
chemin de la prise de conscience, etc.). Leur sympathie se
porte fort naturellement vers ce qui leur paraît « bien » et
la science, impuissante à empêcher l'injustice qui
s'annonce, sort discréditée de l'aventure.
Toutefois, reconnaissons
que subtilement le scénario imagine que l'instrument cynique
destiné à endormir la méfiance des Na'vi, le moderne cheval
de Troie, le double hydroponique du héros, son avatar, sera
aussi l'outil de l'échec de l'expédition. Les dirigeants de
cette dernière ont en effet sous-estimé la capacité
d'insoumission et de révolte du soldat, auquel son
incarnation en Na'vi redonne l'usage immédiat de ce qu'il
désire par dessus tout: l'usage de ses jambes, symbole de
liberté. On peut littéralement dire qu'il en profite pour se
sauver (au sens moral et existentiel) car, contrairement à
l'ethnographe cantonné dans une position d'observateur, le
héros aura le choix de se désolidariser de son groupe et de
troquer sa condition humaine contre celle, enviable, de
happy Na'vi.
Être soi implique parfois
d'être un autre. La « trahison » du héros, bien loin de
choquer le spectateur comme une suprême aliénation, lui
apparaît ici comme une libération. La morale de l'histoire
est claire: les hommes soumis au commandement tyrannique de
leur chef sont les vrais aliénés et les Na'vi incarnent les
vraies valeurs humaines.
Le fait qu'Avatar
doive son succès à la reviviscence de mythes fondateurs
universels et non à un soi-disant plaidoyer écologique
dépasse peut-être les intentions du réalisateur. Toutefois,
il a exaucé les voeux des spectateurs lesquels, depuis
longtemps, n'attendent plus de la science qu'elle les
réalise(1). Il
est certes naïf, ce rêve, et ne peut s'accomplir, comme dans
les films catastrophes, qu'au prix d'une violence triomphant
du « vieux » monde et pour quelques élus au coeur pur
seulement. Mais qui d'entre nous, à l'instar du héros, ne
choisirait la vie, l'amour et l'élévation morale en partage?
J'ai pris connaissance de deux articles libertariens
consacrés au film, ceux de
David Boaz, de l'Institut Cato et de
Stephan Kinsella, de l'Institut Mises. Ces deux auteurs
mettent en évidence le bon droit des Na'vi dans leur combat
pour défendre leurs droits de propriété tout en faisant
observer que cette revendication fondamentalement
libertarienne est la meilleure garantie de la bonne gestion
et de la prospérité d'une nation. On pourrait presque
imaginer, dût l'auteur du film rougir d'indignation, que les
envahisseurs terriens sont moins les représentants du
méchant capitalisme que ceux du collectivisme le plus pur,
lequel n'évoque le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
que pour mieux les asservir. Il n'y a rien d'incompatible
entre ces propos et mon analyse car les mythes originels
partagés par toutes les civilisations semblent considérer
comme inné le droit de propriété, lequel n'exclut nullement
les règles de partage entre les membres d'un groupe. Au
demeurant, la notion de « partage », est logiquement
indissociable de celle de « propriété ». Comment, en effet,
serait concevable le partage de quelque chose qui
n'appartiendrait à personne et pour lequel n'existerait
aucune contrepartie?
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