Dans une situation où il n’y aurait pas de monopole – les monopoles,
faut-il le rappeler, sont toujours publics, des créatures de l’État
favorisées, soutenues et protégées par la loi –, M. Morin pourrait se
tourner vers d’autres associations, d’autres regroupements. Il pourrait
aussi faire affaire avec d’autres réseaux de mise en marché. Mais au
Québec, il ne le peut tout simplement pas. Tout le secteur agricole est
centralisé.
L’autre côté de la médaille |
J. M.: Là, je vous ouvre le Brie du monopole. C’est notre fromage
qui ne sera jamais vendu. C’est un brie, bien sûr, c’est une croute
fleurie. C’est un peu aberrant de mettre de l’énergie et de
l’argent, parce que ces fromages-là sont sur les tablettes
actuellement, ici à l’intérieur de la fromagerie. On a aussi pas mal
d’étiquettes qui étaient prêtes pour lancer ce fromage-là. Mais…
bon. Politique oblige. Pour le moment, on ne joue pas avec la
politique agricole.
L. L.: Vous avez décidé, après ce qui s’est passé cette semaine, de
ne pas le commercialiser.
J. M.: On a choisi d’arrêter la commercialisation parce que, bien
sûr, il y a des gens à la Fédération qui nous ont fortement
conseillé de ne pas braver notre UPA. Alors on a choisi de reculer,
parce qu’à quelque part, il y a un peu de potentialité de dommages
collatéraux. On a des enfants ici qui viennent prendre la relève. On
a aussi une fromagerie qui est jeune, en démarrage. Donc (soupir)
par respect aussi pour les gens de la Fédération qui ont aussi
appuyé notre démarche dans le lancement de la fromagerie. On a
choisi d’arrêter le lancement de notre fromage, mais c’est un sapré
beau coup d’œil à notre Union paysanne qui veut à quelque part
briser ce monopole.
L. L.: Justement, vous ne mettez pas en marché le fromage. Par
contre, vous êtes toujours membre de l’Union paysanne, en même temps
que membre de la Fédération des producteurs de lait du Québec et
donc de l’UPA. Et, pour l’instant, vous restez membre de ces trois
groupes-là?
J. M.: On est membres d’office avec la Fédération parce qu’on est
tenus de l’être. Mais on a choisi de le devenir aussi avec l’Union
paysanne en appui. En appui à leur travail auprès des artisans,
auprès des marginaux […] C’est avec eux que j’ai senti un très bon
appui au niveau de la reconnaissance politique à tout le moins de
nos travaux. Bien sûr, la Fédération aussi nous a appuyés. Je ne
cacherai pas que depuis une dizaine d’années que je côtoie les gens
de la Fédération, on a eu un bon appui aussi avec eux. Mais… c’est
malheureux, mais là aujourd’hui on ne peut pas faire les deux. Alors
on va devoir s’arrêter.
L. L.: Vous avez eu de bons services avec la Fédération, je présume
que vous souhaitez en avoir encore, mais vous estimez quand même que
vous avez le droit d’être membre de l’Union paysanne.
J. M.: Oui. Et ça, on le reconnait. On le reconnait à la Fédération,
on le reconnait à l’UPA, que nous somme membres de l’Union paysanne,
de plein droit. On le fait en appui, mais… effectivement, nous on a
envie de continuer d’avoir l’appui de la Fédération. C’est pour ça
qu’on retire notre fromage. Parce qu’on veut continuer. C’est une
continuité ici l’entreprise. Ce n’est que des démarrages. Et pour
s’assurer d’une bonne relation avec notre Fédération, on est… en
tout cas, on a choisi ça. Certains nous ont traités de peureux. Bon
ben, peut-être qu’on est peureux, mais aussi, à quelque part, on a
assuré notre relève. […] On va continuer de supporter l’Union
paysanne. Ce ne sera pas avec un fromage, mais ça sera autrement.
Personne ne peut accuser M. Morin d’être « un peureux ». Il a beau
avoir des convictions, dans le contexte actuel, il estime devoir faire
preuve de pragmatisme. En effet, lui et sa famille ne seraient pas bien
plus avancés s’ils en venaient à perdre la fromagerie à cause de cette
prise de position.
C’est aussi de cette façon que les monopoles syndicaux se maintiennent
en place. En plus d’être favorisés, soutenus et protégés par la loi, ils
carburent à la peur de leurs membres qui sont forcés d’y adhérer.
Résultat: très peu les remettent en question de peur de faire l’objet de
représailles.
Les libertariens n'ont rien à redire contre les syndicats ou les
associations de travailleurs qui recrutent leurs membres sur une base
volontaire. Si des gens préfèrent se regrouper pour quelque raison
que ce soit, c’est leur affaire. Ce contre quoi nous nous opposons,
c'est qu'on force des gens à faire quelque chose contre leur gré. Si le
« droit d’association » existe, le « droit de désassociation » doit
aussi exister.
Bien sûr, la fin du monopole syndical ne voudrait pas nécessairement
dire la fin de la gestion de l'offre, des quotas de production ou de
toute cette façon de gérer l'agriculture de façon centralisée, ce qu'on
appelle communément la mise en marché collective des produits de
l'agriculture, mais les choses semblent vouloir bouger au Québec.
Plusieurs voix s’élèvent depuis quelques années pour remettre en
question les façons de faire dans le domaine de l’agriculture. Et c’est
tant mieux. Plusieurs se rendent comptent que le monopole syndical ou la
mise en marché collective ne sont pas nécessairement garants d’une plus
grande diversité dans l’offre de produits. Les petits producteurs ne
trouvent manifestement pas leur compte dans une structure qui favorise
avant tout les gros joueurs et les amis.
L’État n’a pas à accorder des privilèges à une organisation syndicale ou
à interdire l’entrée d’autres joueurs dans un secteur. Le secteur (ou
l’ensemble des interactions entre les différents joueurs impliqués) peut
très bien se réglementer lui-même. Pour reprendre une formule de
Brigitte Pellerin: « Si le syndicalisme est aussi bon qu'on le prétend,
pourquoi employer la force pour garder les moutons dans la bergerie? »
Une note positive en terminant. Le Brie du monopole verra le jour, mais
sous un autre nom: le Brie du paysan…
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