Le libéralisme a
montré qui faisait les frais de cette politique. D'abord, ce sont les
ouvriers qui sont touchés, forcés de se contenter d'un salaire peu
élevé, en des endroits où les conditions de production sont moins
favorables et où la productivité-limite est moindre. Ensuite ce sont les
propriétaires des moyens de production assurant des conditions plus
favorables, qui ne peuvent atteindre le résultat qu'ils pourraient
obtenir s'ils embauchaient un plus grand nombre d'ouvriers. Mais cette
politique produit encore d'autres effets. Un système qui protège les
intérêts particuliers immédiats de différents groupements entrave la
production générale et nuit en définitive à tous, y compris ceux qu'elle
favorise en première ligne. Quel sera le résultat final pour l'individu,
gagnera-t-il ou perdra-t-il avec le système de protection,
comparativement au bénéfice que lui procurerait la pleine liberté de
mouvement économique? Cela dépend du degré de protection qui lui est
assuré à lui et à d'autres. Sans doute le résultat total de la
production avec le système protectionniste est inférieur à celui obtenu
avec l'économie libre et la moyenne du revenu y est moindre. Mais il est
fort possible qu'avec le système protectionniste, certains individus s'en
tirent plus avantageusement qu'avec l'économie libre. Plus la protection
des intérêts particuliers sera appliquée d'une manière rigoureuse, et
plus grande sera la perte générale pour la collectivité et il sera
d'autant moins vraisemblable qu'il puisse y avoir des individus qui à ce
régime gagnent plus qu'ils ne perdent.
Du reste, dès qu'existe,
en principe, la possibilité de sauvegarder des intérêts particuliers et
des privilèges, la lutte s'engage entre les intéressés pour savoir qui
passera avant l'autre. Chacun cherche à devancer son voisin et à
acquérir plus de privilèges que les autres, pour pouvoir encaisser plus
d'avantages. L'idée d'une protection égale, sans aucune lacune, de tous
les intérêts n'est qu'un mirage issu d'une théorie superficielle.
Car si tous les intérêts
particuliers étaient également protégés, personne ne retireraient un
avantage de cette protection. Tous sentiraient également les
désavantages d'une productivité diminuée. Chaque individu a l'espoir
d'obtenir pour lui-même une protection plus forte qui lui donnera
l'avantage sur ceux qui sont moins protégés, et c'est cela seulement qui
l'attire vers le système protectionniste. Chacun demande à ceux qui ont
le pouvoir, de lui accorder et maintenir des privilèges particuliers.
En dévoilant les effets
de la politique protectionniste, le libéralisme a brisé les forces qui
combattaient pour l'obtention de privilèges. On s'était enfin rendu
compte, qu'en mettant les choses au mieux il n'y aurait que très peu de
personnes pouvant retirer du système protectionniste un véritable
bénéfice, et que la grande majorité y perdrait. Cette constatation priva
les champions du système protectionniste de l'adhésion de la masse; les
privilèges disparurent, parce qu'ils avaient perdu leur popularité.
Pour rappeler à la vie le
système protectionniste, il fallait d'abord anéantir le libéralisme.
L'attaque fut menée de deux côtés. Du point de vue nationaliste, et du
point de vue des intérêts des ouvriers et de la classe moyenne compromis
par le capitalisme. Le point de vue nationaliste a abouti à un effort en
vue de fermer les frontières, le second point de vue à accorder des
privilèges aux chefs d'entreprises et ouvriers qui n'étaient pas assez
forts pour soutenir la concurrence. Mais une fois que le libéralisme est
complètement surmonté et que le système protectionniste n'a plus à
redouter de lui aucune atteinte, rien ne s'oppose plus à l'élargissement
du domaine des privilèges particuliers. On a cru longtemps que les
mesures de protection territoriale efficaces étaient liées aux
frontières nationales et politiques, de sorte que l'on ne saurait plus
songer au rétablissement de douanes intérieures, à la suppression de la
liberté de circulation et aux mesures de cette sorte. Sans doute l'on ne
pouvait penser à de telles mesures, aussi longtemps qu'on tenait encore
compte de ce qui restait des conceptions libérales. Lorsque, en
Allemagne et en Autriche, on s'en fut entièrement débarrassé, dans
l'économie des années de guerre, on vit s'introduire du jour au
lendemain toute sorte de mesures d'isolement locales. Les districts de
population agricole surabondante, pour assurer à leur population le bon
marché des aliments se groupèrent pour s'isoler des districts qui ne
peuvent nourrir leur population qu'en important des vivres. Les villes
et les régions industrielles rendirent l'immigration plus difficile pour
empêcher la hausse des vivres et des loyers. Les intérêts particuliers
des régions brisèrent l'unité du territoire économique, sur laquelle le
néomercantilisme étatique avait fondé tous ses plans.
En admettant que le
socialisme puisse jamais être réalisé, de grandes difficultés
s'opposeraient à une réalisation homogène du socialisme mondial. Il se
pourrait – et l'on ne peut négliger cette éventualité – que les ouvriers
des différents pays, districts, communes, entreprises, industries,
estimassent que les moyens de production qui se trouvent dans leur
domaine sont leur propriété dont aucun « forain » ne doit tirer profit.
Alors le socialisme se décomposerait en de nombreuses communautés
socialistes indépendantes, si même il n'arrivait à se réduire
complètement en syndicalisme. Le syndicalisme n'est pas autre chose que
la réalisation logique du principe décentralisateur.
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