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Le monde y savent pus écrire (Version imprimée) |
par
Gilles Guénette*
Le Québécois Libre, 15 mai
2010, No 278.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/10/100515-9.htm
Il suffit de surfer un tant soit peu sur le Net (ou de feuilleter les
hebdomadaires régionaux) pour se rendre compte d’une chose: les
Québécois ne savent plus écrire. Rendez-vous sur Facebook pour constater
l’étendue des dégâts… Comme l’éducation relève du domaine public, pas
besoin de chercher midi à quatorze heures pour trouver un coupable.
Les monopoles ne donnent jamais rien de bien bon; celui de
l’enseignement ne fait pas exception. Le pire, c’est que personne ne
semble s’en offusquer.
Éducassion 101
Une enseignante de français au secondaire me raconte l'enfer où
elle travaille: « C'est pas qu'ils font des devoirs bourrés de
fautes. Ils ne les font pas, tout simplement. Avoir zéro, redoubler,
ils s'en fichent. » Un élève, qu'elle avait réprimandé durement,
s'est jeté tête première contre un mur, pour se blesser et pouvoir
ensuite l'accuser de l'avoir frappé. « Ma crisse, m'a t'avoir! »
Imaginez... C’est tiré d’un article du Devoir publié le 1er
mai dernier. Son auteur, Jean Larose, poursuit:
Indiscipline chronique, insultes, menaces, iPod et téléphone en
classe – « on le confisque, mais le lendemain ils en ont un autre ».
Franche rigolade si elle leur parle de valeurs sociales, d'héritage
culturel du Québec, de nécessité de maîtriser sa langue. Pire:
certains parents, prévenus que leur enfant allait vers l'échec: « Je
respecte son autonomie. C'est la vie qu'il a choisie. » Cette
négligence criminelle (comment appeler autrement le fait de laisser
un garçon de seize ans libre de rater sa vie?) est idéologique au
Québec. Tout l'encourage et la justifie.
Effectivement. Depuis que le Québec est sorti de la soi-disant
« Grande noirceur », les politiciens qui se succèdent nous répètent sur
toutes les tribunes que la langue est importante pour les Québécois;
qu’il est impératif de la protéger; que sans une constante surveillance
et une intervention soutenue de l’État (à grands coups de lois et de
règlements), elle est vouée à disparaître dans la mer anglophone
nord-américaine, et cetera, et cetera.
Depuis qu’ils ont nationalisé l’éducation (un 13 mai 1964), ce sont les
fonctionnaires patentés du ministère de l’Éducation qui, de réforme en
réforme, se chargent de l’enseignement des enfants – que dis-je, des
« personnes en situation d’apprentissage ». Et à force de répéter que la
moitié d’entre eux souffre d’un manque d’attention chronique, tandis que
l’autre éprouve des troubles d’apprentissage, même les parents en sont
venus à jeter la serviette. Résultats: on se retrouve avec des parents
qui disent des atrocités du genre: « Je respecte son autonomie. C'est la
vie qu'il a choisie. » Ces parents sont aussi le résultat de
l’enseignement public.
Tout le monde sait qu’il y a un problème, très peu s’en offusquent.
On engage parfois de mes étudiants pour corriger les « examens du
ministère ». Ils en reviennent scandalisés par les pressions que les
patrons ont exercées sur eux pour qu'ils ne voient pas ce qui crève
les yeux, donnent la note de passage à des copies où il y a cinq
fautes par phrase, pas une phrase française, pas deux phrases de
suite articulées entre elles. « Est-ce qu'il y a une idée
principale? Le nombre de mots obligatoire? Le mot x, le mot y ou le
mot z? Oui? Note de passage. » […]
À l'Université de Montréal, même en lettres, en philosophie ou en
sciences humaines, il n'y a pas 20% des étudiants qui fassent moins
de cinq fautes dans un texte de deux pages. Les échecs seraient si
nombreux si on en tenait compte que les professeurs ferment les
yeux. Pendant quelques années, on a laissé les étudiants qui ne
savaient pas le français croire qu'ils méritaient leurs diplômes.
Maintenant, l'université, la société, l'État même, ont fini par se
le faire accroire. La supercherie arrange tout le monde. Ceux qui se
destinent à l'enseignement auraient les plus mauvais résultats au
test de français d'admission à l'université. Cela ne fait hurler
personne.
L'échec, c'est le succès; l'ignorance, c'est la connaissance;
bafouiller, c'est parler. C’est comme si on nous avait tous transportés
dans un monde parallèle et que personne ne s’en était rendu compte. Un
monde parallèle où la médiocrité et le je-m’en-foutisme sont des
qualités socialement acceptées.
Les enseignants, trop occupés à sensibiliser à tout et à rien – les
inégalités sociales, les dangers de l’hypersexualisation, les méfaits du
tabagisme, les troubles alimentaires, le taxage, etc. – et à produire
des citoyens « responsables » – qui vont recycler, protéger
l’environnement, promouvoir l’équité, encourager la redistribution de la
richesse, parler à leurs ados, payer fièrement leurs taxes, acheter
local, etc. –, ont oublié leur mission première: celle d’enseigner la
grammaire, les mathématiques, les matières de base. C’est sans doute
parce que c’est trop ennuyeux et qu’ils préfèrent dialoguer sur la
condition des femmes ou les menaces envers l’environnement.
Autres temps, autres moeurs
J’ai fait mon école primaire au début des années 1970, quelques années à
peine après la création du ministère de l’Éducation. C’était encore
majoritairement des sœurs qui nous enseignaient. Le curé venait nous
rendre visite de temps à autre. On récitait le Je vous salue Marie
en rangs d’oignon tous les matins avant d’entrer en classe. C’était
avant qu’on se mette à tutoyer les membres de la Sainte Famille…
(N’allez pas croire que je suis nostalgique de cette période de ma vie.)
À cette époque, notre plus grande peur, à mes camarades de classe et moi
(à part se faire tabasser par les plus vieux), c’était de redoubler
notre année. On faisait tout pour ne pas subir cette humiliation – et
surtout avoir à tout recommencer une seconde fois.
Aujourd’hui, on ne redouble plus. On a complètement évacué le concept
d’échec à l’école – comme celui de la compétition ou de l’effort. On dit
que c’est pour protéger la sacro-sainte « estime de soi » des petits.
Sans estime de soi, ils sont désemparés, désorientés. Ils ont tendance à
sombrer dans la délinquance et la drogue.
Vous savez quoi? Plusieurs le sont de toute façon, désemparés, et autant
sombrent dans tout ça. Et cela, malgré (ou à cause de?) la
médecine égalitariste de nos fonctionnaires de l’éducation. Des années
de réformes et de nivellement par le bas auront donné des générations
d’étudiants et d’adultes qui se foutent de tout et qui décrochent de
leurs responsabilités.
Comme je l’ai déjà
écrit, depuis l'avènement ici bas de l'État-Sauveur (grand frère
successeur de Jésus, « ton chum en haut! »), les parents et toute la
société en général en sont venus à se dire: « ceci n'est pas de mon
ressort ». Il y a un problème? L'État s'en occupe. Nos enfants éprouvent
des difficultés à l'école? L'État concocte des programmes et des
campagnes publicitaires. Nos enfants veulent décrocher? L'État met en
place toujours plus de programmes.
Tout cet interventionnisme à la sauce égalitariste d'où la compétition
et l'excellence ont été complètement évacuées ne peut qu’engendrer une
forme de raisonnement, celui qui veut que si tout le monde est égal et
qu'il n'y a plus de différence entrer les « bons » et les « moins
bons », à quoi bon se forcer? On voit ce que ça donne.
Dans un monde libertarien, on privatiserait le ministère de l'Éducation,
du Loisir et du Sport, on abolirait les commissions scolaires et on
mettrait fin à la formule Rand – ce qui ferait en sorte de créer de la
concurrence entre les établissements syndiqués et les non-syndiqués.
Mais comme on est à des années-lumière d’une telle révolution, on
pourrait commencer par retirer les « Loisir et Sport » dans « Ministère
de l'Éducation, du Loisir et du Sport » pour ensuite réintroduire les
notions d’échec, de compétition et d’effort dans le curriculum.
On ne le répétera jamais assez: dans la nouvelle économie du savoir et
de l'information, l'éducation est un must. Ça va prendre plus que
des campagnes de publicités motivantes ou de sensibilisation pour
renverser la présente situation.
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Gilles
Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre. |