Un
député se lève et dit:
Si
vous tolérez ces échanges, l'étranger vous inondera de ses produits,
l'Anglais de tissus, le Belge de houilles, l'Espagnol de laines, l'Italien
de soies, le Suisse de bestiaux, le Suédois de fer, le Prussien de blé, en
sorte qu'aucune industrie ne sera plus possible chez nous.
Un
autre répond:
Si
vous prohibez ces échanges, les bienfaits divers que la nature a prodigués à
chaque climat seront, pour vous, comme s'ils n'étaient pas. Vous ne
participerez pas à l'habileté mécanique des Anglais, à la richesse des mines
belges, à la fertilité du sol polonais, à la fécondité des pâturages
suisses, au bon marché du travail espagnol, à la chaleur du climat italien,
et il vous faudra demander à une production rebelle ce que par l'échange
vous eussiez obtenu d'une production facile.
Assurément, l'un de ces députés se trompe. Mais lequel? Il vaut pourtant la
peine de s'en assurer, car il ne s'agit pas seulement d'opinions. Vous êtes en
présence de deux routes, il faut choisir, et l'une mène nécessairement à la
misère.
Pour sortir d'embarras,
on dit: Il n'y a point de principes absolus.
Cet axiome, si à la mode
de nos jours, outre qu'il doit sourire à la paresse, convient aussi à
l'ambition.
Si la théorie de la
prohibition venait à prévaloir, ou bien si la doctrine de la liberté venait à
triompher, une toute petite loi ferait tout notre code économique. Dans le
premier cas, elle porterait: tout échange au dehors est interdit; dans le
second: tout échange avec l'étranger est libre, et bien des gros
personnages perdraient de leur importance.
Mais si l'échange n'a pas
une nature qui lui soit propre, s'il n'est gouverné par aucune loi naturelle,
s'il est capricieusement utile ou funeste, s'il ne trouve pas son aiguillon dans
le bien qu'il fait, sa limite dans le bien qu'il cesse de faire, si ses effets
ne peuvent être appréciés par ceux qui l'exécutent; en un mot, s'il n'y a pas de
principes absolus, oh! alors il faut pondérer, équilibrer, réglementer les
transactions, il faut égaliser les conditions du travail, chercher le niveau des
profits, tâche colossale, bien propre à donner à ceux qui s'en chargent de gros
traitements, et une haute influence.
En entrant dans Paris,
que je suis venu visiter, je me disais: Il y a là un million d'êtres humains,
qui mourraient tous en peu de jours si des approvisionnements de toute nature
n'affluaient vers cette vaste métropole. L'imagination s'effraie quand elle veut
apprécier l'immense multiplicité d'objets qui doivent entrer demain par ses
barrières, sous peine que la vie de ses habitants ne s'éteigne dans les
convulsions de la famine, de l'émeute et du pillage. Et cependant tous dorment
en ce moment sans que leur paisible sommeil soit troublé un seul instant par
l'idée d'une aussi effroyable perspective. D'un autre côté, quatre-vingts
départements ont travaillé aujourd'hui, sans se concerter, sans s'entendre, à
l'approvisionnement de Paris.
Comment chaque jour
amène-t-il ce qu'il faut, rien de plus, rien de moins, sur ce gigantesque
marché? Quelle est donc l'ingénieuse et secrète puissance qui préside à
l'étonnante régularité de mouvements si compliqués, régularité en laquelle
chacun a une foi si insouciante, quoiqu'il y aille du bien-être et de la vie?
Cette puissance, c'est un principe absolu, le principe de la liberté des
transactions.
Nous avons foi en cette
lumière intime que la Providence a placée au cœur de tous les hommes, à qui elle
a confié la conservation et l'amélioration indéfinie de notre espèce, l'intérêt,
puisqu'il faut l'appeler par son nom, si actif, si vigilant, si prévoyant, quand
il est libre dans son action.
Où en seriez-vous,
habitants de Paris, si un ministre s'avisait de substituer à cette puissance les
combinaisons de son génie, quelque supérieur qu'on le suppose? s'il imaginait de
soumettre à sa direction suprême ce prodigieux mécanisme, d'en réunir tous les
ressorts en ses mains, de décider par qui, où, comment, à quelles conditions
chaque chose doit être produite, transportée, échangée et consommée? Oh!
quoiqu'il y ait bien des souffrances dans votre enceinte, quoique la misère, le
désespoir, et peut-être l'inanition, y fassent couler plus de larmes que votre
ardente charité n'en peut sécher, il est probable, il est certain, j'ose le
dire, que l'intervention arbitraire du gouvernement multiplierait à l'infini ces
souffrances, et étendrait sur vous tous les maux qui ne frappent qu'un petit
nombre de vos concitoyens.
Eh bien! cette foi que
nous avons tous dans un principe, quand il s'agit de nos transactions
intérieures, pourquoi ne l'aurions-nous pas, dans le même principe appliqué à
nos transactions internationales, assurément moins nombreuses, moins délicates
et moins compliquées? Et s'il n'est pas nécessaire que la préfecture de Paris
réglemente nos industries, pondère nos chances, nos profits et nos pertes, se
préoccupe de l'épuisement du numéraire, égalise les conditions de notre travail
dans le commerce intérieur, pourquoi est-il nécessaire que la douane, sortant de
sa mission fiscale, prétende exercer une action protectrice sur notre commerce
extérieur(1)?
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