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Il n'y a
pas de principes absolus* (Version imprimée) |
par Frédéric Bastiat (1801-1850) Le Québécois Libre, 15 août
2010, No 280. Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/10/100815-6.htm
On ne peut trop s'étonner de la facilité avec laquelle les
hommes se résignent à ignorer ce qu'il leur importe le plus de savoir,
et l'on peut être sûr qu'ils sont décidés à s'endormir dans leur
ignorance, une fois qu'ils en sont venus à proclamer cet axiome: Il n'y
a pas de principes absolus.
Vous entrez dans l'enceinte législative. Il y est question de savoir si
la loi interdira ou affranchira les échanges internationaux.
Un député se lève et dit:
Si vous tolérez ces échanges, l'étranger vous inondera de ses
produits, l'Anglais de tissus, le Belge de houilles, l'Espagnol de
laines, l'Italien de soies, le Suisse de bestiaux, le Suédois de
fer, le Prussien de blé, en sorte qu'aucune industrie ne sera plus
possible chez nous.
Un autre répond:
Si vous prohibez ces échanges, les bienfaits divers que la nature
a prodigués à chaque climat seront, pour vous, comme s'ils n'étaient
pas. Vous ne participerez pas à l'habileté mécanique des Anglais, à
la richesse des mines belges, à la fertilité du sol polonais, à la
fécondité des pâturages suisses, au bon marché du travail espagnol,
à la chaleur du climat italien, et il vous faudra demander à une
production rebelle ce que par l'échange vous eussiez obtenu d'une
production facile.
Assurément, l'un de ces députés se trompe. Mais lequel? Il vaut
pourtant la peine de s'en assurer, car il ne s'agit pas seulement
d'opinions. Vous êtes en présence de deux routes, il faut choisir, et
l'une mène nécessairement à la misère.
Pour sortir d'embarras, on dit: Il n'y a point de principes absolus.
Cet axiome, si à la mode de nos jours, outre qu'il doit sourire à la
paresse, convient aussi à l'ambition.
Si la théorie de la prohibition venait à prévaloir, ou bien si la
doctrine de la liberté venait à triompher, une toute petite loi ferait
tout notre code économique. Dans le premier cas, elle porterait: tout
échange au dehors est interdit; dans le second: tout échange avec
l'étranger est libre, et bien des gros personnages perdraient de
leur importance.
Mais si l'échange n'a pas une nature qui lui soit propre, s'il n'est
gouverné par aucune loi naturelle, s'il est capricieusement utile ou
funeste, s'il ne trouve pas son aiguillon dans le bien qu'il fait, sa
limite dans le bien qu'il cesse de faire, si ses effets ne peuvent être
appréciés par ceux qui l'exécutent; en un mot, s'il n'y a pas de
principes absolus, oh! alors il faut pondérer, équilibrer, réglementer
les transactions, il faut égaliser les conditions du travail, chercher
le niveau des profits, tâche colossale, bien propre à donner à ceux qui
s'en chargent de gros traitements, et une haute influence.
En entrant dans Paris, que je suis venu visiter, je me disais: Il y a là
un million d'êtres humains, qui mourraient tous en peu de jours si des
approvisionnements de toute nature n'affluaient vers cette vaste
métropole. L'imagination s'effraie quand elle veut apprécier l'immense
multiplicité d'objets qui doivent entrer demain par ses barrières, sous
peine que la vie de ses habitants ne s'éteigne dans les convulsions de
la famine, de l'émeute et du pillage. Et cependant tous dorment en ce
moment sans que leur paisible sommeil soit troublé un seul instant par
l'idée d'une aussi effroyable perspective. D'un autre côté,
quatre-vingts départements ont travaillé aujourd'hui, sans se concerter,
sans s'entendre, à l'approvisionnement de Paris.
Comment chaque jour amène-t-il ce qu'il faut, rien de plus, rien de
moins, sur ce gigantesque marché? Quelle est donc l'ingénieuse et
secrète puissance qui préside à l'étonnante régularité de mouvements si
compliqués, régularité en laquelle chacun a une foi si insouciante,
quoiqu'il y aille du bien-être et de la vie? Cette puissance, c'est un
principe absolu, le principe de la liberté des transactions.
Nous avons foi en cette lumière intime que la Providence a placée au
cœur de tous les hommes, à qui elle a confié la conservation et
l'amélioration indéfinie de notre espèce, l'intérêt, puisqu'il
faut l'appeler par son nom, si actif, si vigilant, si prévoyant, quand
il est libre dans son action.
Où en seriez-vous, habitants de Paris, si un ministre s'avisait de
substituer à cette puissance les combinaisons de son génie, quelque
supérieur qu'on le suppose? s'il imaginait de soumettre à sa direction
suprême ce prodigieux mécanisme, d'en réunir tous les ressorts en ses
mains, de décider par qui, où, comment, à quelles conditions chaque
chose doit être produite, transportée, échangée et consommée? Oh!
quoiqu'il y ait bien des souffrances dans votre enceinte, quoique la
misère, le désespoir, et peut-être l'inanition, y fassent couler plus de
larmes que votre ardente charité n'en peut sécher, il est probable, il
est certain, j'ose le dire, que l'intervention arbitraire du
gouvernement multiplierait à l'infini ces souffrances, et étendrait sur
vous tous les maux qui ne frappent qu'un petit nombre de vos
concitoyens.
Eh bien! cette foi que nous avons tous dans un principe, quand il s'agit
de nos transactions intérieures, pourquoi ne l'aurions-nous pas, dans le
même principe appliqué à nos transactions internationales, assurément
moins nombreuses, moins délicates et moins compliquées? Et s'il n'est
pas nécessaire que la préfecture de Paris réglemente nos industries,
pondère nos chances, nos profits et nos pertes, se préoccupe de
l'épuisement du numéraire, égalise les conditions de notre travail dans
le commerce intérieur, pourquoi est-il nécessaire que la douane, sortant
de sa mission fiscale, prétende exercer une action protectrice sur notre
commerce extérieur(1)?
Notes
1. V. au tome Ier, la
1ère lettre à M.
de Lamartine et, au tome VI ,
le chap. I, des
Harmonies économiques. (Note de l'éditeur de l'édition originale.)
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Chapitre XVIII de la 1ère série des
Sophismes Économiques. |