En tout, quatorze décrets ont été abolis depuis 1977 – Pauline Marois,
ministre de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu de 1983 à 1985,
a fait le ménage dans certaines lois et aboli plusieurs décrets d'un
coup. L'abolition de ces décrets résulte en bonne partie du travail
inlassable de Jacques Le Blanc, président de la Corporation
professionnelle des coiffeurs et coiffeuses du Québec, un adversaire
acharné des décrets de convention collective qui a contribué à
l'abrogation de neuf d’entre eux (Les Affaires, 19 mars 1994).
M. Le Blanc se rappelle que lorsqu'il était adolescent, des barbiers et
des coiffeuses de sa famille recevaient de temps en temps des sommations
de comparaître en cour pénale parce qu'ils avaient exercé leur métier en
dehors de certaines heures prescrites. « On me disait que c'était à
cause des comités paritaires. Je ne comprenais pas que d'honnêtes
citoyens se faisaient traîner en cour comme des criminels, alors qu'ils
gagnaient leur vie le plus honnêtement du monde. Je trouvais cela
profondément injuste. En plus, ils devaient payer pour ces comités
paritaires. C'est encore la même chose. L'an dernier, un brave barbier
de Longueuil a reçu 1 000 sommations de comparaître et s'est fait
imposer 8 500 $ d'amendes. Considérant qu’il n’avait pas d'argent pour
payer la somme due et voulant lui éviter la prison, le juge l'a condamné
à 680 heures de travail communautaire. C'est épouvantable! » (Les
Affaires, 23 janvier 1993).
Autres temps, autres moeurs? |
Ces pratiques, qui semblent complètement anachroniques aujourd’hui, sont
encore courantes en Outaouais, où la profession est toujours réglementée
par le
Comité paritaire des coiffeurs de l’Outaouais. Eh oui, vous coupez
les cheveux de votre voisine à l’occasion dans votre sous-sol? Vous lui
faites une teinture? Et vous résidez dans la région administrative 07?
L’article 11.01 du décret stipule que « toute personne qui veut exercer
la profession ou tenir un salon de coiffure doit déclarer par écrit au
Comité paritaire ses noms, prénoms et adresse, le nom sous lequel elle
exerce sa profession ou tient son salon, la liste des personnes qui
travaillent dans le salon, son régime matrimonial. » On croit rêver.
Sur le site du comité, on peut lire qu’« une personne qui exerce une ou
plusieurs des opérations suivantes sur un client est régit [sic] par le
Décret sur les coiffeurs de l’Outaouais et doit s’enregistrer
au comité paritaire: coloration, coupe de cheveux, décapage,
décoloration, mordançage, ondulation, permanente, shampooing, traitement
du cuir chevelu (mes italiques). […] le décret est large et englobe
également les salons qui se consacrent uniquement à l’installation de
rallonges. Bref, tous les travailleurs du domaine de la coiffure qui
exercent leur profession sur le territoire de l’Outaouais doivent
s’enregistrer au Comité paritaire. Le coiffeur ou l’assistant
coiffeur, qu’il soit salarié, travailleur à commission ou locataire de
chaise, doit obligatoirement faire partie du registre du
comité. L’artisan qui travaille seul à la maison ainsi que le locataire
de chaise en salon ont la responsabilité de s’enregistrer. […] Le
comité paritaire doit être averti de l’ouverture, de la fermeture
ainsi que des modifications relatives au registre des employés de tous
les salons de l’Outaouais. »
Une fois enregistrées, les personnes doivent évidemment payer des
cotisations. « La cotisation du salarié et du travailleur à commission
au comité paritaire est de 1% de son salaire net. Le salarié en paie la
moitié (0,5%) qui est directement et obligatoirement retiré sur sa paie.
L’employeur paie l’autre moitié (0,5%). L’employeur a l’obligation de
faire parvenir son chèque avec les contributions recueillies une fois
par mois. Il a également l’obligation de fournir toutes les informations
demandées par
le rapport mensuel. Le locataire d’espace, l’artisan et l’employeur
doivent obligatoirement payer une cotisation égale à 3$ par semaine. Ce
paiement se fait habituellement sur une base trimestrielle (39$) ou
encore, en début d’année pour l’année complète (156$). »
Alors que la Formule Rand oblige tous les travailleurs d’une entreprise
syndiquée de payer des cotisations au syndicat qui les représente, le
décret, lui, oblige tous les travailleurs d’un secteur donné, oeuvrant
sur un territoire donné, de se syndiquer. Point. Et pourtant, si un
entrepreneur trouvait le moyen de forcer tout le monde à acheter son
produit, l’État interviendrait pour l’en empêcher…
Les résidants de l’Outaouais ont-ils réellement besoin d’un décret pour
avoir accès à des services de qualité en matière de coiffure? Poser la
question, c’est évidemment d’y répondre. Les consommateurs du reste du
Québec obtiennent de bons services sans la protection de décrets ou de
comités paritaires. Et les prix des services offerts ne sont pas
exorbitants ou complètement disproportionnés par rapport à ceux de
l’Outaouais.
Les décrets ne sont en fait que des privilèges accordés par l’État à des
individus. Ils sont une forme anachronique de protectionnisme et
devraient être entièrement abolis.
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