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L’intégration économique et les politiques québécoises (Version imprimée) |
par
Gérard Bélanger*
Le Québécois Libre, 15 septembre
2010, No 281.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/10/100915-5.html
« Quelques-unes des applications les plus puissantes de l’économique
au domaine politique s’appuient sur une application soignée et cohérente
des principes de base au lieu de recourir à la théorie de fantaisie
apprise aux études graduées. » R. L. Schmalensee dans Resources,
été 2009, p. 25.
À la suite des conseils de Schmalensee, ce texte applique une idée
simple à l’économie du Québec. Il s’agit de prendre conscience des
effets de l’intégration de son économie au marché commun canadien. Dans
une économie complètement fermée sur l’extérieur ou autarcique, la
quantité des facteurs de production, capital et travail, est fixe et
leurs prix varient en fonction des conditions intérieures. Pour une
économie ouverte ou intégrée au monde extérieur, c’est le contraire qui
a lieu: les prix sont déterminés de l’extérieur et ce sont maintenant
les quantités de facteurs qui varient vu leur mobilité. Pour les
économistes, ce modèle est celui de la « petite économie ».
Ce texte veut montrer que l’application de ce modèle à l’économie du
Québec est riche d’enseignements et surtout qu’elle permet d’importantes
conclusions sur le bien-fondé du programme canadien de péréquation et des
politiques du gouvernement du Québec pour accroître la population par
des mesures favorables à l’immigration et à la natalité.
Intégration des économies occidentales
À l’intérieur des pays occidentaux, il existe généralement un territoire
bien intégré, c’est-à-dire un marché commun national. L’économie des
régions se caractérise comme une économie tournée vers l’extérieur. Par
exemple, si on prend le Québec, une récente étude a estimé à l’aide du
tableau interindustriel qu’en 2007, 28,6 pour cent de l’emploi total et
72,7 pour cent des emplois du secteur manufacturier québécois
dépendaient des exportations(1).
Avec cette grande ouverture, l’économie régionale s’apparente à la
condition d’un individu qui n’a pas d’emprise sur les prix qu’il
affronte. C’est une situation de preneur de prix sur les marchés.
L’ajustement de longue période provoqué par des différences
interrégionales de croissance à l’intérieur d’un même pays s’effectue
par la mobilité des produits et des facteurs et peu par les prix, à
l’exception du facteur immobile par excellence, le sol et des produits
non échangeables tels les services purement locaux comme les salons de
coiffure(2). L’évolution du
prix relatif du sol reflète le dynamisme de la région et se répercute
dans les variations relatives du coût de la vie régional.
L’exemple français
Avant d’appliquer cette idée à la situation en Amérique du Nord, aux
États-Unis et au Canada, il est utile de se référer à une étude de
l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)
qui conclut:
« La différence de salaires à poste équivalent entre la région
parisienne et la province est donc du même ordre de grandeur que le
surcroît de prix sur les services mais aussi que le surcroît du
niveau général des prix »(3).
Le marché du travail français apparaît donc bien intégré avec une
absence d’écart dans les salaires réels entre la métropole et la
province. Selon l’étude, l’écart interrégional des prix est dû aux
niveaux des loyers et à l’importance relative des salaires monétaires
dans les services locaux(4).
À la suite de ces données françaises, on pourrait s’interroger sur le
degré d’intégration de l’espace européen. La méthode à utiliser
consisterait à mesurer la présence relative d’une convergence des
rémunérations réelles pour des postes équivalents entre les différent
pays de l’Union européenne et cela sans s’occuper des écarts observés de
la croissance économique de ces pays.
L’évolution régionale aux États-Unis
Le modèle régional ou de la « petite économie » conclut que les
ajustements se font principalement par la variation des quantités et
très peu par les différentiels de prix. Qu’en est-il pour les quatre
grandes régions des États-Unis?
La caractéristique généralement admise pour les États-Unis est la grande
mobilité de sa population. Depuis 1790, chaque recensement montre un
déplacement de la population vers le sud-ouest. Les variations
temporelles sont importantes: pour la période de trente ans de 1970 à
2000, la part du Nord-est est passée de 23,1 à 19,0 pour cent, celle du
Midwest de 27,8 à 22,9, celle du Sud de 30,9 à 35,6 et celle de l’ouest
de 17,1 à 22,5 pour cent.
Les déplacements de la population sont majeurs. Qu’en est-il de la
convergence régionale des revenus? La vérification de l’égalisation à
long terme des revenus réels régionaux nécessite le recours à des
estimations d’écarts régionaux du coût de la vie. Cela peut surprendre
mais de telles données ne sont malheureusement pas disponibles, ni au
Canada, ni aux États-Unis. Il est donc nécessaire d’utiliser les indices
concernant les prix de détail pour les principales villes de ces deux
pays.
En construisant des indices de prix régionaux pour la période de 1880 à
1980 à l’aide des données urbaines, Mitchener et McLean concluent à une
nette convergence des rémunérations réelles moyennes régionales aux
États-Unis(5). Les écarts de
revenus entre les régions sont en effet devenus relativement peu
importants. Les données de 1980 sont ici éloquentes: relativement à la
moyenne nationale fixée à 100, le revenu régional par travailleur ajusté
pour les prix se trouvait dans un écart entre 96 et 105. Ce faible écart
a lieu même si on ne tient pas compte des variations régionales dans la
structure industrielle et les emplois(6).
La situation canadienne
L’ajustement régional de longue période par les déplacements relatifs de
la population et par une convergence des revenus réels a-t-il aussi lieu
au Canada? La population s’est aussi déplacée vers l’ouest: de 1951 à
2009, la part des provinces de l’Atlantique dans la population
canadienne est passée de 11,5 à 6,9 pour cent, celle du Québec de 28,9 à
23,2 et celle de l’Ontario de 32,8 à 38,7 pour cent (tableau 1). La
baisse de la part du Québec dans la population canadienne est pour cette
période en moyenne d’un dixième de pour cent par année. L’importance
relative de l’immigration au Canada qui, selon les données officielles,
reçoit 2,5 fois plus d’immigrants que les États-Unis comte tenu de sa
population, favorise grandement l’ajustement des parts régionales de
population.
Tableau 1 :
Répartition régionale (en%) de la population canadienne 1951-2009
Année |
Provinces de l’Atlantique |
Québec |
Ontario |
Provinces de l’Ouest |
Canada |
1951 |
11,6 |
28,9 |
32,8 |
26,5 |
100,0 |
1961 |
10,4 |
28,8 |
34,2 |
26,4 |
100,0 |
1971 |
9,5 |
27,9 |
35,7 |
26,6 |
100,0 |
1981 |
9,1 |
26,4 |
35,5 |
28,7 |
100,0 |
1991 |
8,5 |
25,2 |
37,2 |
28,8 |
100,0 |
2001 |
7,5 |
23,8 |
38,4 |
29,9 |
100,0 |
2009 |
6,9 |
23,2 |
38,7 |
30,8 |
100,0 |
Source: L. Duchesne, La situation démographique au Québec.
Bilan 2006, Québec: Institut de la statistique du Québec, déc. 2006,
p. 139 et pour 2009,
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/pdf/chap1.pdf
(consulté le 23 déc. 2009).
Qu’en est-il de la convergence des revenus régionaux? Comme l’indique la
figure 1, les disparités provinciales de la production et du revenu par
habitant mesurées par des coefficients de variation, c’est-à-dire
l’écart-type sur la moyenne, ont considérablement diminué au cours des
dernières décennies. Toutefois, la figure surestime considérablement les
disparités régionales: les données ne tiennent pas compte des
différences régionales du coût de la vie.
Une façon rapide de contourner cette difficulté, qui est l’absence
d’estimations sur les différences provinciales ou régionales du coût de
la vie, consiste à se limiter à une comparaison Québec-Ontario. Ceci est
approprié vu l’importante population des deux provinces avec une
structure industrielle diversifiée.
Figure 1 :
Coefficients de variation interprovinciale de 1981 à 2002: PIB réel et
revenu disponible par habitant
Source: Ministère des Finances. Le Budget de 2006. Rétablir
l'équilibre fiscal au Canada: Cibler les priorités, Ottawa, 2 mai
2006, p. 124.
Selon les trois critères du PIB par habitant, du revenu personnel
disponible par tête et de la rémunération hebdomadaire moyenne, le
retard relatif du Québec se situerait en 2008 entre 10 et 14 pour cent
par rapport à la province voisine (tableau 2). Qu’en est-il du
différentiel du coût de la vie? Selon les estimations pour octobre 2008
de Statistique Canada des indices comparatifs des prix de détail de onze
villes canadiennes, le coût de la vie à Montréal est inférieur par
rapport à celui de Toronto de 11,2 pour cent(7).
Tableau 2 :
Comparaison de la production et du revenu par personne, Québec-Ontario
en 2008
|
Québec |
Ontario |
Québec/Ontario |
PIB aux prix du marché par habitant ($) |
38 979 |
45 440 |
85.8 |
Revenu personnel disponible par habitant ($) |
25 504 |
28 774 |
86,6 |
Rémunération hebdomadaire moyenne ($) |
751,20 |
833,47 |
90,1 |
Source:
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/pdf/chap5.pdf
(consulté le 23 déc. 2009).
Selon Ressources humaines et Développement social Canada, un panier
identique de biens et services coûtait en 2003 vingt pour cent de moins
dans la région métropolitaine de recensement de Montréal qu’à celle de
Toronto(8). Le coût du
logement expliquait les dix onzièmes de l’écart. L’écart de vingt pour
cent qui est plus élevé que l’estimation de Statistique Canada ne
surprend pas: le panier concerne les familles à plus faible revenu où la
part des dépenses consacrées au logement est plus élevée que la moyenne
des ménages. Cette voie détournée permet d’affirmer que l’écart du
revenu moyen réel entre le Québec et l’Ontario est négligeable. Ce
résultat n’est pas une aberration malgré une expansion économique
généralement plus rapide en Ontario qu’au Québec et aussi à Toronto par
rapport à Montréal. L’intégration économique des deux provinces, par le
commerce des produits et l’ajustement du marché du travail par
différentes voies tel le choix de résidence des immigrants, permet une
forte égalisation des rémunérations réelles(9).
Ce qui ne s’égalise pas est le prix du sol. Les régions plus prospères
ont un prix du sol plus élevé qui augmente le coût du logement. Il y a
aussi leurs salaires monétaires accrus qui ont un impact sur les prix
des services locaux qui recourent davantage à la main-d’oeuvre.
Les corollaires du modèle
L’ajustement par les quantités, qui découle de l’application du modèle
de la « petite économie » à l’économie du Québec, débouche sur
d’importants corollaires. Nous en analyserons quatre:
- le bien-fondé des paiements de péréquation reçus par le Québec;
- l’intérêt d’un groupe pour une croissance moins élevée;
- la capacité du gouvernement à contrôler la migration;
- la futilité des politiques natalistes.
Le bien-fondé des paiements de péréquation
Les paiements de péréquation existent au Canada depuis 1957. Ils sont
des subventions inconditionnelles du gouvernement central qui permettent
aux provinces « pauvres » d’obtenir des recettes par habitant plus
proches de la moyenne des provinces. Ces provinces peuvent alors offrir
des services publics provinciaux de quantité et de qualité moyennes sans
demander un effort fiscal plus élevé à leurs contribuables(10).
Les paiements de péréquation sont une source importante de recettes pour
le gouvernement du Québec: les 8 milliards de dollars reçus en 2008-2009
représentent 16 pour cent des revenus autonomes. Jusqu’à cette année-là,
le gouvernement ontarien n’avait rien obtenu de ce programme. Pour la
première fois en 2009-2010, l’Ontario reçoit de la péréquation, un
montant relativement faible de 347 millions. La raison de cet important
écart de la péréquation entre les deux provinces provient du fait que
les calculs se basent sur des données qui ne tiennent pas compte du
différentiel du coût de la vie entre les deux provinces, qui ont
pourtant des revenus réels moyens à peu près semblables. Ainsi, la plus
grande partie de la péréquation canadienne refuse implicitement la
présence d’un marché commun ou de l’intégration de l’économie canadienne(11).
L’intérêt d’un groupe pour une croissance moins élevée
La présence du marché commun canadien permet aux Québécois d’avoir un
revenu moyen comparable à celui de l’Ontario même si l’économie y est
moins prospère. De plus, les francophones demeurent moins mobiles que
les autres groupes linguistiques.
À titre d’illustration, il y eut entre 1971 et 2001 une migration nette
négative de 387 100 personnes entre le Québec et les autres provinces.
Les personnes de langue maternelle française, qui totalisaient 81,4 pour
cent de la population en 2001, ne représentaient que 9,7 pour cent de la
migration nette. Les personnes de langue maternelle anglaise et les
autres, dont la part dans la population québécoise était en 2001
respectivement de 8,3 et 10,3 pour cent, totalisaient 71,3 et 19,0 pour
cent des départs nets(12).
Cette situation engendre un paradoxe. Un taux de croissance moins élevé
de l’économie du Québec profite à un groupe de Québécois. Ce sont les
francophones qui ont une préférence marquée pour vivre dans un
environnement francophone. Grâce à la mobilité plus grande des autres
groupes et par la présence du marché commun canadien, une économie moins
prospère leur procure davantage ce qu’ils désirent sans affecter à long
terme leurs revenus réels.
Parallèlement au groupe favorable à un taux de croissance moins élevé,
existe-t-il des groupes qui profitent du coût de la vie moindre des
régions moins prospères? C’est le cas des travailleurs de ces régions
qui sont soumis à des conventions collectives de portée nationale. Les
employés du gouvernement fédéral en sont un exemple: leurs rémunérations
monétaires sont les mêmes malgré les différences régionales du coût de
la vie(13).
La capacité du gouvernement du Québec à contrôler la migration
Depuis 1971, l’indice synthétique de fécondité au Québec est inférieur à
2,1, le taux nécessaire pour qu’une population se reproduise. Devant
cette situation, le gouvernement du Québec adopte des mesures favorables
à l’accroissement de l’immigration internationale et aussi de la
natalité. Les conclusions du modèle de la « petite économie » mettent en
doute le bien-fondé de telles mesures pour accroître la population du
Québec à long terme.
Le gouvernement québécois partage avec le gouvernement fédéral le
contrôle de l’admission des nouveaux arrivants en provenance des pays
étrangers; par contre, il ne contrôle ni l’émigration internationale ni
les mouvements migratoires interprovinciaux. Un immigrant québécois peut
tout aussi bien provenir du reste du Canada que d’un pays étranger;
également, un immigrant québécois peut simplement être en transit. Un
contrôle de l’immigration internationale brute (nouveaux arrivants de
l’extérieur du Canada) n’implique pas un contrôle de l’immigration nette
(entrants moins sortants) qui s’ajuste à long terme en fonction des
conditions économiques.
Louis Duchesne a estimé la contribution de l’immigration à
l’accroissement de la population du Québec entre 1901 et 1996:
« On peut évaluer l’impact global des migrations en faisant des
simulations d’évolution de la population. Il s’agit en fait de faire
des « projections » de population à partir de 1901 en utilisant la
mortalité et la fécondité observées et de comparer les résultats
obtenus en 1996 avec la population estimée cette année-là. Ainsi, en
partant du 1,6 million de Québécois recensés en 1901, on obtient
après 95 ans de projections de population sans migration un effectif
de 7,4 millions pour 1996, soit un nombre très proche de
l’estimation de 7,3 millions pour 1996. La structure par âge obtenue
à partir des simulations est aussi très semblable à celle qui est
observée: 18,5% de jeunes de moins de 15 ans, 69,2% de personnes
âgées de 15 à 64 ans et 12,3% de personnes de 65 ans ou plus, en
regard des proportions observées de 18,8%, 69,1% et 12,1%. En
l’absence de migrations interprovinciales et internationales,
l’effectif et la structure de la population du Québec auraient donc
été à peu près les mêmes. »(14)
Il est toujours possible d’implanter des programmes favorisant
l’immigration internationale; ceux-ci auront finalement peu d’effets à
long terme sur le solde migratoire, et c’est ce qui compte pour la
population totale(15). En
certaines circonstances, ils pourraient toutefois contribuer à accroître
la francisation du Québec.
La futilité des politiques natalistes
Face à la baisse de fécondité et au vieillissement de la population, des
mesures favorables à la natalité sont proposées et aussi adoptées, comme
l’amélioration des congés parentaux.
Une étude de Finances Québec affirmait:
« En ce qui a trait aux naissances, au moins une dizaine d’études
économiques ont démontré que certaines politiques familiales, au
Québec comme ailleurs, ont eu des impacts positifs sur la natalité.
Comme les naissances sont, de loin, la principale composante
positive de la variation de la population, elles méritent une
attention particulière afin d’atténuer les chocs du vieillissement
et de la décroissance de la population. »(16)
Une augmentation de la natalité signifie-t-elle une croissance de la
population future? Si la réponse est négative, quel est le facteur
vraiment important?
L’ouverture très grande des économies régionales provoque une
application du principe des vases communicants avec un ajustement entre
les régions d’un marché intégré s’effectuant par la mobilité et très peu
par les prix. Si la rémunération réelle à long terme est fixée par les
conditions extérieures à la région, comme c’est le cas pour le Québec,
l’emploi sera déterminé par la demande de travailleurs et donc par la
dynamique globale de cette économie. Une pénurie de main-d’oeuvre sera
comblée par une hausse du solde migratoire et un surplus de
main-d’oeuvre par une baisse de ce solde migratoire.
L’émigration des Québécois vers les États-Unis en est un excellent
exemple. « Au total, de 1840 à 1930, près d’un million de Québécois
auraient quitté leur sol natal pour s’établir aux États-Unis. »(17)
En 1900, 19 pour cent des francophones nés au Canada vivaient aux
États-Unis(18). De plus,
2,24 millions d’Américains se disaient en 2006 de descendance canadienne
française dont 41 pour cent habitaient le Nord-est(19).
Les questions posées plus haut reçoivent leurs réponses: une hausse
importante des naissances va s’accompagner d’une baisse future du solde
migratoire si l’économie demeure inchangée. Il est permis de conclure
que la politique la plus favorable à une hausse de la population au
Québec est une politique de croissance économique, qui permet de
stimuler la demande de main-d’oeuvre.
Révolution tranquille et décroissance relative de la population
La figure 2 présente l’évolution de la part de la population du Québec
au Canada depuis 1921. Cette part s’est maintenue à 29 pour cent entre
1941 et 1966 pour ensuite montrer une tendance constante à la baisse
pour atteindre 23,2 pour cent en 2009. Dans le cadre du modèle de la
« petite économie » et des ajustements par les quantités, cette tendance
à la baisse depuis 1966 ne soulève-t-elle pas un questionnement sur les
effets à long terme de ce qui fut appelé la Révolution tranquille et du
modèle québécois qui s’en suivit? La période précédente, qui est souvent
qualifiée de « grande noirceur », n’apparaît-elle pas ici sous des jours
meilleurs?
Figure 2
Source:
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/pdf/chap1.pdf
(consulté le 23 déc. 2009).
Conclusion
Les différents corollaires notés plus haut peuvent surprendre. Ils
découlent toutefois de l’application à l’économie du Québec du modèle
réaliste d’une « petite économie ». Ce modèle a aussi un impact pour les
études économiques. Il remet tout simplement en question la pertinence
des études comparatives sur la productivité. Dans une économie intégrée,
les évolutions différenciées de la productivité disparaissent par la
mobilité ou par l’ajustement des quantités. Une augmentation relative de
la productivité d’une région s’accompagne d’un accroissement de sa
population.
En résumé, toute augmentation d’efficacité des politiques québécoises ou
de l’économie québécoise en général se traduit non par un accroissement
du revenu réel des Québécois, mais par un accroissement de la population
du Québec.
Les différents corollaires découlant de la position du Québec dans une
économie intégrée se perçoivent comme une application du livre
Economics in One Lesson de Henry Hazlitt:
« Sous cet angle, donc, on peut condenser le contenu de toute
politique économique en une seule leçon, et cette leçon peut être
réduite à une seule phrase: L'art de la politique économique
consiste à ne pas considérer uniquement l'aspect immédiat d'un
problème ou d'un acte, mais à envisager ses effets plus lointains;
il consiste essentiellement à considérer les conséquences que cette
politique peut avoir, non seulement sur un groupe d'hommes ou
d'intérêts donnés, mais sur tous les groupes existants. »(20)
Pour le sociologue, cela se présente comme une application de la loi
des conséquences inattendues dont l’analyse pionnière revient à Robert
K. Merton(21).
NOTES
1. Institut de la statistique du Québec et Développement économique,
Innovation et Exportation Québec, Impact économique des exportations
québécoises, 2005 et 2007, Québec, janv. 2010, p. 2.
2. Le prix des produits échangeables est relativement plus élevé par
rapport au revenu monétaire des régions moins prospères. Le parc
automobile du Québec illustre le phénomène.
3. M. Fesseau, V. Passeron et M. Vérone, « Les prix sont plus élevés en
Île-de-France qu’en province », Insee Première, no 1210, oct. 2008, p.
3-4.
4. « Sur le territoire français, des différences de niveaux de prix
existent aussi: les prix des dépenses de consommation sont plus élevés
en moyenne de 13% en Île-de-France qu’en province. L’écart s’explique
pour plus de la moitié par les niveaux de loyers, supérieurs de près de
50% pour les Franciliens. Sur les autres postes de dépenses, le surcroît
de prix est plus important pour les services (consultations médicales,
cafés, restaurants, salons de coiffure…) que pour les biens (produits
alimentaires, vêtements, meubles…) ».M. Fesseau, op.cit., p. 1.
Une étude comparable du surcroît du prix à Londres relativement au reste
du Royaume-Uni se trouve dans D. Baran et J. O’Donoghue, « Price levels
in 2000 for London and the regions compared with the national average »,
Economic Trends no 578, janvier 2002, p. 28-38.
5. K. J. Mitchener et I. W. McLean, « U.S. Regional Growth and
Convergence, 1880-1980 », The Journal of Economic History, vol.
59, no 4, déc. 1999, p. 1019.
6. Une étude sur les écarts de salaires réels entre les diplômés
d’université et les autres travailleurs est intéressante à ce sujet.
Selon l’auteur, « …la moitié de la hausse du rendement de la formation
universitaire observée entre 1980 et 2000 disparaît lorsque j’utilise
les salaires réels » (soit un indice des prix à la consommation qui
prenne en compte les variations du coût du logement imputables au fait
que les diplômés se concentrent dans les régions métropolitaines).
Enrico Moretti, Real Wage Inequality, Working Paper 14370,
Cambridge MA: NBER, septembre 2008. (Tiré du résumé)
7. Statistique Canada, L’indice des prix à la consommation,
novembre 2009, no de cat. 62-001-X, Ottawa, déc. 2009, p. 51-52. Ces
données urbaines sont établies annuellement pour le mois d’octobre et
publiées après un certain délai.
8. Ressources humaines et Développement social Canada, Le faible
revenu au Canada de 2000 à 2004 selon la mesure du panier de
consommation, Ottawa, octobre 2007, p. 79.
9. Depuis plus d’un demi-siècle, l’Ontario reçoit annuellement environ
la moitié des immigrants au Canada tandis que la part du Québec est
sensiblement inférieure à son importance relative dans la population
canadienne: la part moyenne du Québec entre 1995 et 2009 dans
l’immigration internationale canadienne était de 15,5 pour cent contre
une part moyenne de population de 23,8 pour cent. Selon le recensement
de 2006, les personnes nées à l’étranger représentaient 11,5 pour cent
de la population du Québec contre 28,3 pour l’Ontario et 20,6 pour cent
de la population métropolitaine de Montréal contre 45,7 pour celle de
Toronto.
10. Le principe de la péréquation est inscrit dans la Constitution
canadienne depuis 1982: « Le Parlement et le gouvernement du Canada
prennent l’engagement de principe de faire des paiements de péréquation
propres à donner aux gouvernement provinciaux des revenus suffisants
pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de
qualité et de fiscalité sensiblement comparables. » (Paragraphe 36(2))
11. Une justification bien théorique de la péréquation est celle-ci:
l’attrait de la valeur des ressources naturelles qui relèvent d’une
province peut engendrer une trop grande migration comme c’est aussi le
cas pour un très beau site ou paysage sans droit de propriété. La
péréquation pourrait diminuer cette mobilité trop élevée qui est une
façon parmi d’autres de dissiper la valeur des ressources. Encore là,
ces valeurs devraient être bien mesurées. Comme les rentes sur les
ressources naturelles y compris les ressources hydrauliques sont
relativement plus importantes au Québec qu’en Ontario, la péréquation
deviendrait ainsi favorable à l’Ontario.
12. Ces données proviennent de L. Marmen et J.-P. Corbeil, Les
langues au Canada, recensement de 2001, Ottawa: Patrimoine canadien
et Statistique Canada, 2004, p. 107 et 147.
13. Il en est de même pour les employés des réseaux de l’éducation et de
la santé en ce qui a trait à l’économie québécoise.
14. L. Duchesne, La situation démographique au Québec. Bilan 1999,
Québec: Institut de la statistique du Québec, 1999, p. 39-40.
15. Il en est de même pour les mesures gouvernementales favorisant
l’établissement des jeunes dans les régions relativement en déclin comme
la Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine.
16. B. Côté, « Le défi démographique et le niveau de vie des
Québécois », Finances Québec, Analyse et conjoncture économiques,
vol. 1, no 8, 22 mars 2004, p. 6.
17. Y. Lavoie, L’émigration des Québécois aux États-Unis de 1840 à
1930, Québec: Conseil de la langue française, 1981, p. 65. Consulter
aussi A. Faucher, « L’émigration des canadiens français au XIXe siècle:
position du problème et perspectives », Recherches sociographiques,
vol. 5, no 3, 1964, p. 277-317.
18. M. MacKinnon et D. Parent, Resisting the Melting Pot: The Long
Term Impact of Maintaining Identity for Franco-Americans in New England,
Montreal: Department of Economics, McGill University, document de
travail, nov. 2007, p. 5. Les auteurs étudient la convergence
relativement lente des Franco-Américains dans le niveau d’éducation par
rapport aux anglo-saxons de la Nouvelle-Angleterre et aux immigrants de
religion catholique.
19. U.S. Census Bureau, Statistical Abstract of the United States,
2009, Washington D.C., 2009, p. 48.
20. H. Hazlitt, Economics in One Lesson, New York: Harper, 2ième
édition, 1946, p. 5. La traduction provient de Mme Gaëtan Pirou
disponible à
http://herve.dequengo.free.fr/Hazlitt/EPL/EPL_TDM.htm.
21. R. K. Merton, « The Unanticipated Consequences of Purposive Social
Action », American Sociological Review, vol. 1, no 6, déc. 1935,
p. 894-904.
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* Gérard Bélanger est professeur au Département d'économique de
l'Université Laval. |