Pourtant, il existe un mécanisme qui sert justement à décider qui
devrait recevoir quoi. Hein? Eh oui, ça s’appelle le marché! Le marché
est encore et toujours la meilleure façon d’allouer les ressources. Oui,
mais si on remet tout au marché, vont dire les pro-subventions, on va se
retrouver avec une culture d’humoristes et de blockbusters! De toute
façon, les artistes émergents ne sont pas subventionnés à l’heure où
l’on se parle, alors qu’on cesse de nous dire que l’État doit intervenir
pour justement assurer que les plus petits, les marginaux, aient leur
chance comme les grands, les plus mainstream. Dans les faits,
ils ne sont pas privilégiés par le système.
(À propos des artistes émergents, Christian Bégin souligne durant le
débat que sa troupe de théâtre ne reçoit pas de subvention et que plein
d’artistes au Québec ne reçoivent pas de subventions. « C’est comme si
le gouvernement se disait, c’est comme si nos institutions se disaient:
"Ils vont le faire pareil de toute façon!" Et on le fait pareil! Alors à
ceux qui disent que les subventions engourdissent les créateurs, je me
dis que c’est faux! Parce qu’on est de plus en plus habitués à
fonctionner sans [subventions]. » Question: si vous êtes habitués de
fonctionner sans, en quoi cette situation changerait-elle dans un monde
où la culture ne serait pas subventionnée? Il y aurait des troupes et
des artistes « émergents » qui trimeraient plus dur au début, tandis que
d’autres trouveraient leur public dans le marché.)
Et le marché, comme on l’a déjà dit, n’est pas une entité en soi. Ce
n’est pas un conglomérat de méchantes multinationales capitalistes dont
le seul but est d’écraser la diversité pour ne laisser de place qu’à la
médiocrité et la conformité. Le marché, c’est l’ensemble des décisions
prises par des millions de citoyens (vous et moi) qui, dans ce cas-ci,
consomment de la culture. Plus ces citoyens-consommateurs apprécient un
chanteur, un cinéaste, un auteur, plus ils dirigent des fonds dans sa
direction. Plus les citoyens-consommateurs apprécient un style de
musique, un courant de cinéma, une sorte de théâtre, plus ils
« subventionnent » ces styles et courants.
Pas besoin de fonctionnaires de la culture éclairés pour décider qu’une
telle « mérite » des fonds et qu’un tel n’en « mérite » pas. Ça se fait
tout seul. Le seul problème avec cette approche – pour les élites
chiches en tout cas –, c’est que la « gratuité » fait moins partie du
décor. La culture est moins payée par toute la population, mais plus par
ceux qui la consomment. Alors si vous aimez les grands opéras ou les
spectacles de danse contemporaine, vous devrez vous attendre à payer
peut-être un petit peu plus pour vos goûts marginaux – ou espérer que
vos amis développent le réflexe de donner davantage à des fondations
privées dont la mission est de financer ces courants culturels plus
marginaux.
De toute façon, il suffit d’évoluer le moindrement dans les petits
cercles culturels pour se rendre compte que ce sont toujours les mêmes
qui fréquentent les théâtres, toujours les mêmes qui visitent les
musées, toujours les mêmes qui assistent aux concerts de musique
classique. Et tous ces habitués font souvent parties de la portion de la
population qui sont les plus éduqués et qui gagnent les plus gros
salaires (et qui pourraient donc payer le coût réel de ce
qu’ils consomment), ce ne sont certainement pas les plus pauvres comme
on voudrait nous le faire croire.
Les membres de notre élite, depuis la nationalisation de la culture, ont
développé un beau discours sur l’importance de l’intervention publique
dans la sphère culturelle et discourent de la chose à chaque fois qu’ils
en ont l’occasion sur la place publique. Ils ont réussi au fil des ans à
convaincre Monsieur et Madame Tout-le-monde (qui paie) que c’est
impératif. Que sans ça, c’est la camelote américaine qui dominerait
tout. Qu’on serait tous plus pauvres collectivement. Et cetera.
Le plus injuste dans tout ça, c’est que la plupart des contribuables qui
financent la culture québécoise ne la consomment même pas. Par manque
d’intérêt (ils n’aiment pas ce qui se fait ici), par manque de temps
(après le travail, la famille et les amis, il n’en reste plus assez pour
sortir), par manque d’argent (après l’hypothèque, les paiements sur la
voiture et les ponctions gouvernementales opérées dans les chèques de
paie, il n’en reste plus assez), par manque de proximité aux grands
centres (plus difficile de consommer de la culture lorsqu’on habite en
région).
La plupart des contribuables se retrouvent donc à financer les sorties
culturelles des Marie-France Bazzo, Camil Bouchard, Vincent Marissal,
Joseph Facal, & Cie. Pas de danger que ces derniers se disent contre la
culture subventionnée. À cheval donné, on ne regarde pas la bride!
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