Puisque l'on se dirige vers un BNB, cela vaut la peine d'informer les
futures victimes des paramètres « innovants » de leur futur bonheur.
Cette année, les calculateurs ont mesuré l'effet redistributif du
financement public de la santé et de l'éducation – personne de sensé ne
peut imaginer valider de tels calculs. Ils se sont aussi penchés sur les
émissions de CO2, y compris celles générées à l'étranger pour notre
consommation nationale –, c'est vraiment la superposition des chimères.
Serons-nous plus heureux si la lointaine Chine émet moins de CO2? Sans
blague. L'on agite « l'empreinte carbone » de la demande finale de
chaque Français. Une batterie de 15 indicateurs a été édifiée pour
apprécier la stratégie nationale de développement durable!
Armons-nous de courage malgré le ridicule pour continuer l'énumération.
L'Insee va publier un dossier sur les conditions de vie dans lequel il
mesurera la qualité de la vie des ménages en prenant en compte les
différentes dimensions préconisées dans le fameux rapport: les
conditions de vie matérielle comme le logement et les restrictions de
consommation, les contraintes financières, la santé, l'éducation, les
conditions de travail, la participation à la vie publique, les contacts
avec les autres, l'insécurité physique et économique.
Pour synthétiser les différentes dimensions, il sera proposé un
indicateur de bien-être qui sera sans doute un composant du BNB. Dans
cette tâche titanesque, rien ne sera jamais sûr. Il faudra distinguer
suivant que le ménage habite en zone urbaine ou rurale, mais aussi les
évolutions sur 10 ans du pouvoir d'achat des différentes catégories de
ménages. Pour couronner le tout, il y aura un « indicateur territorial
de potentiel de biodiversité » et également une première estimation de
« l'empreinte eau » de la France. Ouf. L'énumération de ces critères
montre bien que l'on est en plein arbitraire.
Bientôt, sans doute pour le consolider, le BNB sera intégré dans les
joutes électorales.
Dans l'empire Inca, les statisticiens étaient les auxiliaires
indispensables de la dictature et opéraient avec des cordelettes. Nos
statisticiens travaillent avec des techniques plus perfectionnées pour
alimenter le Moloch. Elles sont si perfectionnées et reposent sur tant
de chimères que toute signification intelligente n'existe plus.
Il est surprenant de remarquer que cette véritable horreur se développe
sous nos yeux sans que personne apparemment ne proteste. L'effet de
ruine est au rendez-vous et le BNB est déjà, bien qu'il soit récent, un
facteur de paupérisation. Dans cette résignation, l'on retrouve
évidemment l'influence délétère de l'éducation nationale et la
propagande gouvernementale avec une presse très largement assise au
banquet républicain.
Si la pyramide de ces chimères continue à grandir en s'enchevêtrant, il
faudra un ministre du Bonheur traquant le bonheur partout alors que
d'autres chassent le PIB lequel se dérobe comme dans un mirage.
Faudra-t-il lancer une pétition pour privatiser le bonheur?
Chacun le cherche où il veut. Certains se lient volontairement par des
voeux pour le trouver dans la contemplation immobile qu'ils pratiquent
dans la cellule de leur coeur. D'autres le trouvent au contraire dans le
feu d'un activisme perpétuel quitte à supporter les brûlures
inévitables. Certains autres encore cultivent tout simplement leur
jardin.
Le trait commun est que tous puissent le recevoir ou le créer librement
en échappant à l'arbitraire d'un État omnipotent.
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