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Les
pandas de Jim Prentice (Version imprimée) |
par
Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15 novembre
2010, No 283.
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/10/101115-11.html
Le ministre fédéral de l’Environnement, Jim Prentice, a annoncé il y a
quelques jours qu’il quitte la politique pour devenir vice-président
d’une grande banque canadienne. C'est un secret de Polichinelle à Ottawa
que Jim Prentice prépare depuis des années sa candidature à la
succession de Stephen Harper, même si on ne connaît pratiquement rien de
ses idées, ni de sa personnalité. L’annonce de sa démission a relancé
les spéculations: part-il pour mieux planifier son retour, comme l’ont
fait plusieurs chefs de partis avant lui?
M. Prentice est presque universellement décrit par les commentateurs
comme un homme intègre, modéré et efficace, un « Red Tory » centriste
issu de l’ancien Parti progressiste-conservateur (fusionné en 2003 avec
l’Alliance canadienne, anciennement le Parti réformiste du Canada). En
langage libertarien, cela signifie qu’il est un politicien conventionnel
étatiste. Il n’est pas étonnant que Stephen Harper, qui cherche depuis
son élection à faire oublier son passé de libertarien, en ait fait l’un
de ses ministres les plus influents en le nommant à la tête du puissant
comité des opérations du conseil des ministres.
On a eu une bonne indication des priorités politique de M. Prentice
quelques jours avant la nouvelle de son départ, lorsque les médias ont
annoncé la conclusion d’une entente entre le Canada et la Chine pour le
prêt de deux rares pandas à des zoos canadiens, dont celui de Granby.
Des reportages sont parus surtout au Canada anglais avec en prime une
photo du ministre Prentice, de son épouse Karen et d'un vétérinaire
chinois prenant soin de l'un de ces mignons animaux dans un centre de
recherche à Chengdu.
L'article
de Postmedia distribué dans plusieurs quotidiens nous explique que
After months of panda diplomacy, federal Environment Minister Jim
Prentice and Canadian Embassy officials have secured the Chinese
government's pledge to loan two pandas to Canada beginning next year.
(...)
"It is very exciting," Prentice said from Beijing. "Everybody loves
the pandas." (...)
Some zoos pay as much as $1 million for a short-term loan of the
endangered pandas. (...)
Prentice said no price has yet been agreed upon for the latest
transfer.
The federal Conservatives have been dabbling in panda politics for
several months now, hoping that improved relations over the past
year or so would convince Chinese officials to lend two pandas to
Canada.
In May, Treasury Board president Stockwell Day presented a panda
proposal to high-ranking Chinese politicians.
In July, then-governor general Michaelle Jean also made a pitch to
bring the bamboo-eating animals to Canada during a tour of the
Chengdu Panda Base with Prentice and other officials, pressing the
governor of Sichuan province, home to the vast majority of China's
pandas.
Oubliez le déficit de 60 milliards $ du gouvernement fédéral et
l'économie mondiale peut-être au bord d'un nouveau précipice: la
priorité du gouvernement conservateur, c'est de gagner des votes avec
des histoires de pandas. Ça coûtera ce que ça coûtera. Et vous pouvez
être sûr que ça va coûter un bras.
Le problème n'est même pas le prix de location des animaux qui n'a
toujours pas été fixé, nous dit-on, mais plutôt tout le processus qui a
mené à cette entente et qui va se poursuivre jusqu'au retour des animaux
en Chine dans plusieurs années. On mentionne dans cet article qu'au
moins deux ministère, celui de l'Environnement et du Conseil du Trésor,
ont été impliqués dans les négociations. Il est certain que le ministère
des Affaires étrangères l'a aussi été. Ajoutez à cela l'ex-gouverneure
générale ainsi que le Bureau du premier ministre et son ministère, le
Bureau du Conseil privé, par où tout passe dans ce gouvernement hyper
centralisé. On parle d'une opération bureaucratique majeure.
Le gouvernement a probablement dépensé quelques centaines de milliers de
dollars simplement pour défrayer les voyages des personnes mentionnées
(c'est pas donné, organiser un voyage de ministre ou de représentante de
la reine avec toute sa cour en Chine). Pour l'avoir observé pendant mon
séjour à Ottawa, je peux vous assurer que des dizaines de bureaucrates,
de responsables des communications, de responsables de la planification
des déplacements, de conseillers des ministres, etc., dans les divers
ministères, organismes et ambassades ont dû s'échanger des milliers de
mémos et de courriels et tenir des dizaines de réunions de planification
pendant ces mois de « panda diplomacy » avant de pouvoir faire cette
annonce. Additionnez les salaires de toutes ces personnes, et vous avez
de quoi nourrir et loger les habitants d'une petite ville pendant une
année. Mais ce n'est que du petit change à Ottawa.
Ceux qui nous répètent sans cesse que la civilisation s'effondrerait si
on réduisait la taille de l'État vont-ils nous dire que ça fait partie
des fonctions essentielles d'un gouvernement? Je les entends déjà: Ah
non, ça c'est peut-être un peu exagéré, mais le reste est essentiel.
L'autre véritable problème avec cette histoire, en plus des coûts
faramineux d'une entreprise qui ne devrait pas concerner les
politiciens, c'est que comme presque toutes les autres opérations de
propagande de ce gouvernement, celle-ci ne vise qu'à manipuler l'opinion
publique. Un brillant « stratège » du bureau du premier ministre (qu’on
appelle couramment à Ottawa le PMO, pour Prime MInister’s Office)
y a sûrement vu une bonne occasion de mousser la popularité des
conservateurs auprès des familles avec plusieurs enfants, qui sont l'une
des clientèles cibles du parti.
Le gouvernement Harper n'a en effet qu'une stratégie depuis son
élection, celle d'acheter des votes. Toutes les décisions politiques
doivent tenir compte de cet objectif; le fait que ce soit bon ou non
pour l'économie ou autre chose est secondaire. Ce passage dans le livre
de Lawrence Martin, Harperland, qui vient de paraître, l'explique
bien :
After the loss in the 2004 election, Muttart [Note: prénommé
Patrick, un stratège du PMO] concluded that the party's potential
appeal was depressingly limited. Most Canadians, Tory surveys showed,
viewed Harper as a right-winger who opposed same-sex marriage. That
was it. So the party commissioned a major psychographics poll,
psychographics being the study of market segments in terms of their
values and lifestyles. This polling helped show the party potential
growth areas.
Muttart studied the numbers and zeroed in on the segments most
amenable to a Conservative pitch. He found, for example, that
couples with more than two children were much more inclined to vote
Conservative than those with small families. (...) The targeting got
very specific, right down to ways in which they might be able to
help Quebec snowmobilers.
At PMO meetings, Muttart would decorate the wall with illustrations
of demographic groups so that whenever a policy was discussed, it
could be framed in terms of its appeal to these groups. (p. 94).
Il est fort probable qu'un autre « stratège », celui-là travaillant
pour le ministre Prentice, y ait également vu une bonne occasion pour
mousser plus particulièrement la popularité de son patron. Les millions
dépensés pour amener les pandas au Canada auront notamment servi à
disséminer des photos de M. Prentice et de son épouse dans les médias,
question de laisser une image saisissante du ministre dans les esprits à
la veille de son départ d’Ottawa. Quelle bonne raison pour appuyer le
futur chef du parti, n'est-ce pas: il aime les pandas! It's so
exciting, everybody loves the pandas!
Voilà comment les choses fonctionnent à Ottawa. Voilà pourquoi la taille
de l'État canadien a continué de grossir sous un gouvernement
« conservateur » depuis cinq ans et pourquoi nous nous enfonçons
toujours plus dans un gouffre financier.
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Martin Masse
est directeur du Québécois Libre. |