Montée de la « droite » au Québec: la partie est loin d'être gagnée (Version imprimée)
par Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15 novembre
2010, No 283.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/10/101115-12.html


Nos amis étatistes de gauche sont encore une fois dans une phase de spleen existentiel, alors que leur monopole sur les débats d'idées semble contesté de toutes parts ces derniers temps. Depuis la conférence du Réseau Liberté-Québec qui a accueilli 450 personnes à Québec il y a quelques semaines, la panique s'est emparée des bien-pensants.

Un exemple parmi bien d'autres: Vendredi dernier, je lisais une copie du quotidien régional La Voix de l'Est qui traînait dans un café de Bedford, pas exactement une référence sur le plan des gros débats de société. La page éditoriale contenait pourtant une chronique de même qu'un long texte d'un citoyen, tous deux consacrés à dénoncer le RLQ comme étant un dangereux mouvement d'extrême-droite d'inspiration américaine.

Samedi, le chroniqueur Pierre Foglia déplorait le fait que « la droite a pris le plancher partout » dans La Presse. Le Devoir, le quotidien de l'intelligentsia nationalo-étatiste du Québec, sonnait quant à lui l'alarme en manchette. Selon un sondage Léger Marketing commandé par le quotidien (voir la page 4 du document), ce sont pas moins de 46% des Québécois qui se disent d'accord avec la proposition « Que l'intervention et le rôle de l'État québécois soient diminués, ce qui ferait baisser les impôts des contribuables ». Seulement 9% veulent le contraire, et 32% souhaitent que l'État et les impôts demeurent au niveau actuel.

Comment un tel appui en faveur de moins d'État est-il possible, alors que la grande majorité des parlotteux médiatiques, universitaires et politiques nous ont répété pendant des années que le Québec est une société différente du reste du continent, que ces idées rétrogrades n'ont heureusement aucune emprise ici et que ceux qui s'aventurent à les défendre ne sont donc pas de véritables Québécois?

Le quotidien se demande comment il se fait que la droite semble aujourd'hui davantage que la gauche incarner le désir de changement de la population. Pourtant, écrit le journaliste,

la dernière décennie ne devrait-elle pas l'avoir affectée, cette droite? De l'éclatement de la bulle techno en 2000 à la crise économique de 2008, en passant par les scandales d'Enron, de Nortel, etc., les phénomènes liés à la déréglementation et à la cupidité débridée des capitalistes (pourtant présentés comme des modèles de bonne gestion) ont été légion. Depuis 1980, les discours de droite et de centre droit ont été encouragés par les gouvernements. Il y a eu les Thatcher, Reagan, et plus récemment les Charest (surtout de 1998 à 2004), Harris, Harper, Bush, Sarkozy... « Les ténors de la droite n'ont jamais avoué s'être plantés. Ils font comme si ce n'était pas de leur faute. C'est impressionnant! », note Jean-François Lisée, directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM) et ancien conseiller des premiers ministres Parizeau et Bouchard.

Ce n'est pas pour rien si nos amis gauchistes sont complètement déboussolés devant ce phénomène. Comme cet extrait le prouve encore une fois, c'est parce qu'ils ne comprennent rien à l'économie et refusent de voir la réalité en face.

Même si « les discours de droite et de centre droite ont été encouragés par les gouvernements » depuis 1980, la réalité est que ce n'était en grande partie que des discours et non des actions concrètes. À part quelques reculs partiels ici et là, l'État n'a jamais arrêté de grossir partout, y compris sous des gouvernements se disant ou étant perçus comme à droite.

C'est pour cette raison que le gouvernement britannique doit, un quart de siècle après les réformes de Thatcher, de nouveau sortir la hache pour alléger un État-providence d'une lourdeur et d'une inefficacité inouïes. C'est aussi à cause des interventions réglementaires et monétaires à grande échelle qui se poursuivent et d'un endettement public gigantesque dont on ne voit pas la fin si on ne voit aucun signe de reprise économique durable aux États-Unis.

La crise financière était censée avoir démontré une fois pour toute la faillite du capitalisme débridée et la nécessité d'une politique économique interventionniste. On parle depuis trois ans du retour en force du keynésianisme.

Mais comme cela était tout à fait prévisible – et avait été prévu ici –, les billions de dollars dépensés par les gouvernements et injectés par les banques centrales des pays riches pour éviter une dépression et stimuler l'économie n'ont eu aucun effet notable, à part nous endetter encore davantage et prolonger la crise. Les pays émergents, qui n'ont pas tombé dans ce panneau idéologique avec la même ferveur, ont aujourd'hui une croissance plus forte. L'orgie d'interventionnisme des dernières années n'aura fait que confirmer le déclin de l'Occident social-démocrate et la prospérité grandissante des ex-pays du tiers-monde qui ont graduellement adopté des politiques plus libérales depuis deux ou trois décennies.

Ce que l'on constate, c'est qu'une partie grandissante de la population, au Québec comme ailleurs, est plus consciente de ce phénomène et comprend beaucoup mieux ce qui se passe que les Jean-François Lisée de ce monde. En particulier, le travail d'éducation des libertariens sur le Web depuis 15 ans commence à porter fruit. Nos idées n'avaient pratiquement aucun écho dans les médias conventionnels avant l'arrivée d'Internet, pas seulement au Québec mais partout ailleurs, y compris aux États-Unis. Aujourd'hui, on les retrouve partout. Il se publie régulièrement dans le Journal de Montréal des textes qui n'aurait pu paraître que dans le Québécois Libre il y a dix ans.

Il faudrait cependant éviter de crier trop vite victoire. Ce n'est pas la première fois qu'un discours critique envers l'interventionnisme étatique semble avoir le vent dans les voiles. Il y a une douzaine d'années, le Québec a connu une vague de remise en question du « modèle québécois ». Cette vague a alimenté le succès temporaire de deux politiciens qui tenaient un discours vaguement réformiste: Mario Dumont et Jean Charest. On sait ce qui leur est arrivé depuis.

Nous voici plus d'une décennie plus tard. La situation a évolué dans le bon sens sur le plan des idées, mais on fait du surplace ou on a même régressé sur le plan politique.

À Ottawa, Stephen Harper, un ex-libertarien qui défendait des positions antiétatistes relativement cohérentes alors qu'il était au Parti réformiste et à la National Citizens Coalition, a entièrement renié ses principes depuis qu'il est premier ministre. Les bien-pensants – y compris des girouettes confuses comme Mario Dumont – le considèrent comme étant « très à droite ». Son gouvernement a pourtant augmenté les dépenses de l'État davantage, dès son élection et avant le début de la présente crise, que les libéraux avant lui. Il a replongé le Canada dans les déficits structurels avec ses plans de relance keynésiens. Il a nationalisé les compagnies automobiles. Il vient de redonner vigueur aux tendances protectionnistes toujours présentes au Canada en bloquant la prise de contrôle de PotashCorp par une compagnie australienne, dans le simple but d'acheter des votes et de maintenir les sièges conservateurs en Saskatchewan. Et Harper a confirmé son incompréhension des questions économiques en étant l'un des seuls dirigeants mondiaux à appuyer la politique inflationniste désastreuse de la Fed ces derniers jours.

Bref, la « droite » politique incarnée par Stephen Harper continue d'être une droite étatiste et interventionniste et d'empirer la situation économique, ce qui ne la différencie aucunement de la gauche étatiste et interventionniste. C'est aussi une droite néoconservatrice, plus portée à appuyer les valeurs militaristes, à acheter des jets et à construire des prisons, qu'à libérer l'économie et les citoyens de l'emprise de l'État. Les gauchistes vont donc pouvoir dire pendant encore des années que « les idées néolibérales de droite » ont remis le Canada dans le trou, en laissant croire que la solution est plus d'État, alors que c'est justement la croissance de l'État qui est le problème.

Au Québec, la fameuse « droite » qui monte est elle aussi loin d'être très ferme et cohérente dans sa défense du libre marché et de la liberté individuelle. Les « lucides » de François Legault ne sont que des sociaux-démocrates qui savent compter. Leur programme repose sur une augmentation des impôts et tarifs pour mieux financer l'État-providence qu'ils veulent conserver.

Le chef de l'ADQ Gérard Deltell souhaite quant à lui réunir tous les tenants de la droite et prétend que l'ADQ est « le parti qui, depuis 15 ans, défend fièrement ces idées et c'est par chez nous que ça se passe. Nous, on ne change pas d'idée, on garde le même cap, on garde le même axe ». L'affirmation est non seulement absurde en ce qui concerne l'ADQ, qui a été ces dernières années le parti le plus incohérent sur la scène politique québécoise. Mais il est loin d'être évident que M. Deltell a lui-même les idées suffisamment claires pour inspirer ceux qui souhaitent une véritable remise en question du modèle québécois.

Dans son discours à la conférence du RLQ, après avoir défendu la nécessité de réduire le contrôle de l'État sur l'économie, il a donné comme exemple de projet mobilisateur au Québec la... nationalisation de l'hydroélectricité dans les années 1960. Il prétend aujourd'hui avoir « été le seul à m'opposer à un financement à 100% public du futur Colisée, un projet hyper-populaire chez nous à Québec, défendu par l'hyper-populaire maire Labeaume. J'appelle cela du courage politique ». Hum, en fait, il a pris cette position une semaine après la sortie très médiatisée de Maxime Bernier sur le sujet. Auparavant, il avait plutôt très courageusement déclaré son appui au financement à hauteur de 45% annoncé par le premier ministre Charest, sans aucune critique, en proposant simplement de vendre le nom du Colisée à un commanditaire pour lever des fonds privés.

Dans la grande tradition dumontiste, l'ADQ sous Gérard Deltell garde sans doute le cap, mais surtout sur l'opportunisme et la confusion idéologique. Quel virage nous annoncera-t-il lorsque le vent soufflera dans une autre direction?

La droite est un terme fourre-tout auquel on peut rattacher à peu près n'importe quelle position, y compris des positions qui sont à l'opposé du libertarianisme. Des gouvernements prétendument de droite continuent de gouverner comme le feraient des gouvernements de gauche, mais sont dénoncés par la gauche et par les confus comme étant trop à droite. Une autre crise provoquée par l'endettement public et le dérèglement du système monétaire mondiale par la Fed – une créature étatique qui n'a rien à voir avec le libre marché – est à prévoir; les étatistes de gauche et de droite vont malgré tout continuer de prétendre que le capitalisme débridé est responsable de ces troubles économiques et que l'État doit intervenir davantage.

Tout ça pour dire que malgré cette mode actuelle pour les idées dites « de droite » et l'état dépressif des partisans de la gauche, notre travail d'éducation est loin d'être terminé. Les idées libertariennes, anti-étatistes et pro-libre marché, sont clairement mieux comprises, acceptées et plus explicitement présentes dans les débats aujourd'hui qu'il y a dix ans. Mais les sources de confusion et les possibilités de recul sur le plan politique sont nombreuses. La partie est loin d'être gagnée.

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* Martin Masse est directeur du Québécois Libre.