Sensibiliser à tout et à rien |
À
quelques jours de l'Halloween, on apprenait que les intervenants du Centre
prévention suicide les Deux Rives, situé dans la région de la Mauricie et du
Centre-du-Québec, encouragent la population à éviter les décorations qui
représentent des personnages pendus ou autres scènes macabres. « Une simple
question de compassion », affirme l'organisme à but non lucratif. « Pendre à un
arbre ou à tout autre support un mannequin de la taille d'un être humain, c'est
inacceptable dès que l'on prend conscience de l'impact émotif que peut engendrer
ce geste chez une personne ayant perdu un être cher par suicide », affirme
l'équipe du centre de prévention par voie de communiqué.
L'organisme n’a toutefois
pas l'intention de blâmer les concepteurs de pareils décors, ou même de réclamer
une législation interdisant l’installation de telles décorations. Non, le centre
veut… sensibiliser les gens « au choc violent qu'ils provoquent chez un
endeuillé par suicide ». « Le but, ce n'est pas de bannir ces décorations, mais
plus de sensibiliser les gens. Quelqu'un qui n'a pas été touché par le suicide
de près ou de loin ne sera pas nécessairement conscient de l'impact qu'elles
peuvent avoir », précise Mme Marie-Ève Paquin, intervenante au Centre prévention
suicide.
On nous dit que pour
chaque personne qui s'enlève la vie, au moins 10 personnes seraient touchées par
le deuil. Et que selon les plus récentes statistiques de l'Institut national de
santé publique du Québec, 95 personnes se seraient enlevées la vie en Mauricie
et au Centre-du-Québec en 2008. Donc, si on fait le calcul, ce sont près de 1000
personnes de la région qui sont confrontées à un deuil récent par suicide. « Une
personne de votre voisinage tente probablement de surmonter cette dure épreuve,
note l'organisme dans son communiqué. Imaginez un peu les émotions ressenties si
elle doit croiser quotidiennement sur son chemin une aussi macabre
reconstitution. »
Cette
campagne de sensibilisation n’en est qu’une parmi tant d’autres. En ce moment
même, il doit y en avoir une bonne dizaine en cours. Une simple recherche sur
Google avec l’expression « sensibiliser la population » donne 2 600 000
résultats. Une autre avec l’expression « sensibiliser le public » en donne
encore plus: 2 880 000. Une dernière avec « campagne de sensibilisation » donne
1 610 000 résultats. Si la sensibilisation était cotée en bourse, on se
l’arracherait.
Et ce ne sont pas les sujets « sensibles » qui manquent. Les sensibilisateurs
sensibilisent aux différents dangers (des armes, de la route, d’Internet, du
sida, etc.), aux incidences (des changements climatiques, d’une trop grande
absorption de glucosamine, de l’alcool sur la grossesse, etc.), aux
problématiques sociales (le sort des femmes arabes, la maltraitance des aînés,
l’hypersexualisation des jeunes filles, etc.), aux dépendances, aux causes,
bref, ils sensibilisent à tout et à son contraire.
Les sensibilisateurs sont
souvent des femmes (et des hommes roses!). Ce sont des intervenantes qui
travaillent dans le secteur public – là où est détourné l’argent des
contribuables. Des représentantes syndicales qui tentent de faire débloquer des
fonds pour leurs membres – qui, heureux hasard, noyautent le secteur public – ou
espèrent augmenter leur membership. Ce sont des chroniqueurs ou des journalistes
à court de sujets – rien de tel qu’une nouvelle « réalité sociale » pour attirer
l’attention.
Ce sont aussi les
politiciens. Ils sensibilisent pour répondre aux demandes des lobbies et groupes
de pression; pour montrer qu’ils ont de la compassion et ainsi rehausser leur
image auprès de l’électorat féminin; ou pour donner l’illusion qu’ils servent à
autre chose qu’à imaginer de nouvelles façons de nous taxer. Même les
entreprises sensibilisent – quoique dans leur cas on peut parler de publicité.
Et si elles se sentent justifiées d’emprunter le discours des sensibilisateurs,
c’est parce qu’elles y voient une opportunité d’affaires et une belle occasion
de montrer qu’elles sont de bonnes entreprises « citoyennes » (pour reprendre un
autre terme sur-utilisé).
Les sensibilisateurs
privilégient une approche maternante, ce qui ne surprendra personne: la
sensibilisation est à la femme ce que la répression est à l’homme. On imagine la
mère de famille des années 1950, l’index levé bien haut, sermonnant son
adolescent: « Mais à quoi as-tu pensé en pendant l’effigie d’oncle Georges
devant la maison?! Je sais que c’est l’Halloween, mais n’as-tu pas pensé à ceux
que ça pourrait choquer? Comment crois-tu que les personnes dont l’un des
proches s’est peut-être suicidé à l’aide d’une corde vont réagir à la vue de tes
décorations? »
Bon, les formules
utilisées par les sensibilisateurs ne sont pas aussi ouvertement culpabilisantes
que celle employée dans notre exemple, mais la prémisse de base est la même: les
gens sont inconscients, il faut les sensibiliser aux différentes problématiques
de la vie, aux nombreux dangers qui les guettent. L’homme est foncièrement
mauvais. Ses comportements individualistes sont trop souvent guidés par le
« chacun pour soi »! L’amélioration de la société ne peut s’effectuer que par
une approche collectiviste.
Voici
quelques exemples de problématiques ou de dangers qui font l’objet d’une
campagne:
« Chaque printemps, surtout durant la période de Pâques,
Pêches et Océans Canada met la population en garde sur la consommation et la
cueillette de mollusques. La campagne vise à sensibiliser les gens sur les
dangers pour la santé de consommer des moules, des coques ou autres
mollusques cueillis dans des zones fermées. » (Radio-Canada,
2 avril 2010)
« Les ministres Christine St-Pierre, Kathleen Weil et Marguerite Blais ont
levé le voile, hier, sur le troisième volet de la campagne annuelle de
sensibilisation aux agressions sexuelles, qui met en exergue les
conséquences dramatiques d'une agression à caractère sexuel dans la vie des
victimes et l'importance pour ces dernières de solliciter de l'aide. » (Le
Devoir, 22 mars 2010)
« Dans le but de faire connaître à la population les risques d'un plongeon
en eau peu profonde, l'Association des paraplégiques du Québec lance sa
campagne de sensibilisation aux accidents de plongeon. À cette occasion,
l'organisme a fait imprimer plus de 12 000 affiches et quelque 12 500 cartes
qui seront distribués dans le réseau de la santé (notamment dans les CLSC et
les centres jeunesse) ainsi que dans les piscines de la ville de Montréal. »
(CNW,
2 juin 2010)
« Dans le cadre de sa politique environnementale, la Ville de
Saint-Hyacinthe, avec la collaboration du Comite de citoyens et citoyennes
pour la protection de l'environnement maskoutain (CCCPEM), a procède à la
mise en place d’une campagne de sensibilisation a l’acquisition de barils
récupérateurs d’eau de pluie. En effet, 100 barils sont a la disposition des
citoyens pour la modique somme de 10$ (valeur de près de 100$). Ce projet
est rendu possible grâce à la contribution du Fonds Écomunicipalité, IGA et
du Jour de la Terre. » (Communiqué
de presse, août 2010)
« Tel qu’annoncé lors de l’Assemblée générale annuelle en mai dernier,
l’Ordre [des optométristes du Québec] procède actuellement à une reprise de
sa campagne publicitaire Web du printemps 2010 visant à sensibiliser la
population québécoise sur les risques et désavantages liés à l’achat en
ligne de lentilles ophtalmiques. » (Communiqué
de presse, septembre 2010)
« La campagne "V-Day" pour la fin des violences sexuelles contre les femmes
en République démocratique du Congo (RDC) a lancé mercredi, en association
avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), une tournée aux
États-Unis pour sensibiliser les Américains sur cette question. » (Nations
Unies, 11 février 2009)
On le
voit, tout peux faire l’objet d’une campagne de sensibilisation. Mais que
faites-vous si, comme la plupart des gens, vous ne consommez pas de mollusques
cueillis dans des zones fermées, que vous n’agressez sexuellement personne ou
que vous ne plongez jamais en eau peu profonde? Vous faites ce que la plupart
des gens font, vous haussez les épaules, vous zappez, vous cliquez.
|