Comme le même phénomène de bulle financière s'est répété à plusieurs
endroits, de plus en plus de gens sont maintenant capables de
l'identifier, même parmi ceux qui ne connaissent vraisemblablement pas
la théorie autrichienne. Le chroniqueur économique Claude Picher de
La Presse, un partisan du libre marché qui ne s'est
jamais démarqué par sa compréhension de ces questions, met ainsi le
doigt sur les causes financières de la crise irlandaise et
l'intervention aggravante du gouvernement, sans toutefois faire de lien
avec la création monétaire, comme si les bulles survenaient
naturellement dans des situations de forte croissance économique (« Crise
irlandaise: le tigre édenté »):
C'est,
bien sûr, la faute de la crise financière qui a ébranlé la planète à
l'automne 2008. Si l'Irlande a été plus durement touchée que la plupart
des autres pays, c'est pour deux raisons.
Comme
dans toute économie qui s'enflamme, les prix de l'immobilier ont connu
une ascension vertigineuse en quelques années. Et comme c'est souvent le
cas en période de bulle immobilière, les institutions financières se
sont mises à prêter en misant davantage sur la valeur future des
propriétés que sur la solvabilité des emprunteurs. Même dangereux
scénario qu'aux États-Unis. À l'aube de la crise, les portefeuilles des
banques irlandaises étaient bourrés d'hypothèques contaminées. C'était
courir vers le désastre.
Il y a
une deuxième raison. À l'automne 2008, lorsque les premiers nuages noirs
ont commencé à pointer à l'horizon, le gouvernement irlandais a voulu se
faire rassurant en garantissant tous les titres de créance détenus par
les banques. Avec le recul du temps, on peut trouver cette décision
irresponsable. Il faut cependant se rappeler que le «tigre celtique»
surfait encore sur ses bonnes années et que le gouvernement, sans doute
de bonne foi, se croyait assez riche pour faire face aux événements.
D'autre part, il ne pouvait pas laisser les banques à leur sort sans
nuire considérablement aux petits épargnants et à la réputation du pays.
Lorsque
la bulle (comme toutes les bulles) a éclaté, le gouvernement a dû
respecter ses engagements et s'est retrouvé avec toutes les mauvaises
dettes sur les bras. Contrairement à une opinion assez largement
répandue, l'Irlande ne s'est pas effondrée à cause de ses politiques
fiscales et budgétaires, mais à cause de la situation désespérée de ses
banques.
Un article de Questions/Réponses sur la crise irlandaise dans le
Globe and Mail (« Ireland's
crisis explained ») pose un diagnostic semblable:
One of
the key factors was a U.S.-style, easy-money real estate bubble, in
which banks provided cheap credit to almost anyone who wanted to buy or
build houses, dramatically hiking prices. The boom lasted for more than
a decade, but when the global recession hit in 2008, home prices
collapsed and people could not pay back their loans, imperilling the
banks holding the debt. In recent years, the government borrowed more
and more money to fund budget deficits in a weak economy. Institutions
lending money to the Irish government (such as the British banks)
charged higher and higher rates because of worries over a possible
default.
Mais pourquoi donc se retrouve-t-on dans cette situation de « easy
money », d'emprunt facile, qui alimente la bulle, permet aux individus
et aux gouvernements de s'endetter facilement, et entraîne en fin de
compte un effondrement prévisible?
L'interventionnisme monétaire n'est pas du capitalisme |
Il y a un point crucial qu'il faut bien comprendre dans tout ceci, et
que les illettrés économiques ont systématiquement tendance à ignorer:
un système financier qui permet à des banques et autres institutions
financières de faire de nombreux prêts très risqués avec des fonds
qu'elles ne possèdent pas vraiment (c'est-à-dire par un effet de
levier), sous la protection d'une garantie de l'État que tous ces fonds
seront remboursés en cas de pertes, N'A RIEN À VOIR AVEC LE CAPITALISME
OU LE LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE.
Dans un système véritablement capitaliste, une organisation étatique,
la banque centrale, ne pourrait pas créer du capital à partir de rien,
réduire artificiellement les taux d'intérêt et inonder les marchés de
« liquidités », comme l'ont fait la Fed, la Banque centrale européenne
et à peu près toutes les banques centrales du monde à divers degrés ces
dernières années.
Les banques commerciales seraient obligées de garder des réserves
beaucoup plus élevées et de ne prêter que des fonds qui leur ont été
confiés pour investir, et non des dépôts à vue. Les gouvernements
n'encourageraient pas les banques à prêter à des acheteurs de maison
insolvables en subventionnant les hypothèques. Ils ne garantiraient par
ailleurs aucun dépôt, prêt ni investissement, et ceux qui perdent de
l'argent avec des investissements trop spéculatifs seraient obligés d'en
subir eux-mêmes les conséquences au lieu d'être renfloués par les
contribuables.
Dans un tel système, les bulles financières ne pourraient pas
vraiment se développer, puisque la création monétaire serait mimine. L'aléa
moral induit par la protection de l'État (qui encourage tout le
monde à prendre plus de risque) n'existerait pas non plus et chaque
acteur financier serait davantage responsabilisé, des déposants aux
banques en passant par les acheteurs de maison et les investisseurs.
Pour toutes sortes de raisons spécifiques à chaque cas, à cause des
politiques monétaires, de la réglementation financière et des programmes
interventionnistes des gouvernements, des bulles se sont davantage
développées dans certains pays que dans d'autres au cours des dernières
années, même si le phénomène a été universel à cause du statut de
monnaie de réserve mondiale du dollar américain. Dans des petits pays
comme l'Islande et l'Irlande, les banques ont été encouragées à prêter
des sommes gigantesques à des clients autant à l'intérieur qu'à
l'extérieur du pays, avec des fonds venant d'un peu partout. Lorsque
leurs gouvernements ont décidé stupidement de garantir ces sommes qui
dépassaient largement le PIB total du pays, tout ce qu'ils ont garanti a
été la faillite éventuelle non seulement des banques, mais de l'État et
de l'économie dans son ensemble. Le gouvernement américain a fait la
même chose en allant à la rescousse des banques de Wall Street et de
Fannie et Freddie, mais même si ces montants étaient encore plus
considérables sur le plan nominal, ils l'étaient beaucoup moins en
proportion de l'économie américaine.
Je soupçonne par ailleurs (le prouver de manière empirique
nécessiterait une recherche au-delà de mes moyens), que les pays ou
régions qui ont de meilleures politiques publiques et une économie plus
dynamique sont ceux où la bulle a grossi davantage. Logiquement, s'il y
a un surplus de création monétaire, c'est là que les fonds vont trouver
plus d'opportunités d'investissement. C'est conséquemment là aussi que
la spéculation sera la plus forte et que les malinvestissements – des
investissements dans des projets insoutenables à plus long terme, qui
semblent rentables uniquement à cause de l'illusion causée par les bas
taux d'intérêt et le surplus de liquidités à investir – seront les plus
nombreux.
C'est ce qui explique qu'un pays en très forte croissance comme
l'Irlande a pu attirer tous ces fonds. Chez nous, c'est ce qui explique
que le Québec, qui n'a pas connu de boom immobilier et autres de la même
ampleur que certains de ses voisins dans les années précédant la crise,
a pu traverser celle-ci sans trop subir de contrechocs, puisque les
malinvestissements y ont été moins nombreux. La raison n'en est pas la
supériorité du modèle québécois, mais plutôt le fait que ce modèle
interventionniste rendant notre économie moins attrayante, il nous
protège des effets pervers d'un interventionnisme étatique d'un autre
ordre, celui qui engendre les bulles financières et des crashs
subséquents. Comme la Grèce, le Québec a plutôt une économie sclérosée à
croissance faible, qui se maintient à flot depuis des années par
l'endettement public – jusqu'à ce que les créanciers finissent par
fermer le robinet.
La pire forme d'interventionnisme économique |
L'étatisme monétaire est pire que toutes les autres formes
d'interventionnisme économique. Il peut détruire l'économie de petits
pays comme l'Irlande qui ont pourtant des politiques économiques
avantageuses sur d'autres plans. Il est en train de détruire la
principale économie de la planète, celle des États-Unis. Il pourrait
même plonger le monde entier dans une dépression prolongée si tous les
États se mettent à jouer le jeu dangereux des dévaluations
concurrentielles, comme durant les années 1930.
Les libertariens qui ignorent complètement les questions monétaires,
ou les partisans de l'école monétariste de Milton Friedman qui en ont
une compréhension erronée, n'ont aucune explication convaincante à
donner à un phénomène comme la crise financière mondiale ou la crise
irlandaise. Pour eux, la création monétaire n'est pas un problème, c'est
une solution, exactement comme pour les keynésiens et autres illettrés
économiques.
C'est malheureusement un sujet complexe qui intéresse peu de gens.
Mais c'est aussi un élément crucial pour comprendre ce qui arrive
aujourd'hui dans l'ensemble de la planète. Les idées libertariennes ne
pourront avancer de façon décisive à moins qu'on purge le mouvement
libertarien des théories étatistes monétaires des friedmaniens et qu'on
réussisse à vulgariser et à populariser suffisamment nos explications
pour qu'elles deviennent comprises, même minimalement, par une partie
substantielle de la population.
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