Si l'on
fait toutefois abstraction de cette dimension, les artistes soulèvent des
questions fondamentales, même s'ils les formulent autrement que le ferait un
libertarien. Je serais même tenté de les appuyer dans leur appel à un moratoire.
Certains lecteurs se
demanderont: mais pourquoi s'opposer à un magnifique projet de développement de
nos ressources et à la création de richesse que ça engendrera? Les libertariens
ne sont-ils pas en faveur de ça? Ça dépend comment il se fait. Le
« développement économique » n'est pas une valeur en soi, il doit toujours se
faire dans le respect de la propriété et des droits individuels de chacun. C'est
ce point de vue qui différencie le libertarianisme d'une droite affairiste et
corporatiste qui vise uniquement à engranger les recettes en exploitant tout ce
qui s'offre à elle et par n'importe quel moyen, y compris en s'acoquinant avec
l'État. C'est justement ce qui semble se produire dans cette industrie.
Au Canada, le sous-sol
minéral appartient à la Couronne, plus spécifiquement aux gouvernements
provinciaux selon le partage constitutionnel des compétences. Si vous être
propriétaire d'un terrain, la terre de surface vous appartient mais tout ce se
trouve en dessous appartient à l'État, qui peut en donner le droit
d'exploitation à qui il veut. Une compagnie peut obtenir un permis
d'exploitation d'une ressource dans le sous-sol de votre terrain et vous n'avez
droit à aucune partie des bénéfices que génère l'exploitation. Vous n'avez pas
non plus le droit de vous y opposer. Selon l'article 26 de la
Loi québécoise sur les mines, « Nul ne peut interdire ou rendre
difficile l'accès d'un terrain contenant des substances minérales qui font
partie du domaine de l'État à celui qui a le droit de le prospecter ou de le
jalonner en vertu de la présente section, si ce dernier s'identifie sur demande
et, dans le cas du titulaire de permis, s'il exhibe son permis ».
Les municipalités,
créatures de l'État provincial, n'ont rien à dire non plus sur l'exploration et
l'exploitation qui peuvent se faire sur leur territoire. L'article 246 de la
Loi québécoise sur l'aménagement et l'urbanisme stipule qu'aucune
réglementation locale « ne peut avoir pour effet d'empêcher le jalonnement ou la
désignation sur carte d'un claim, l'exploration, la recherche, la mise en valeur
ou l'exploitation de substances minérales et de réservoirs souterrains, faits
conformément à la Loi sur les mines ».
Les effets pervers de
cette absence totale de contrôle des citoyens et des communautés locales sur le
sous-sol n'apparaissent pas souvent. L'exploration des ressources sous-terraines
ne provoque pas beaucoup de débat lorsqu'il se fait, comme c'est généralement le
cas, dans des régions peu peuplées ou inhabitées du nord du Québec, sur des
terres de la Couronne. Mais on ne peut pas faire l'économie d'un tel débat
lorsqu'il s'agit de forer un peu partout dans la zone densément peuplée de la
vallée du St-Laurent.
Par ailleurs, avec la
nationalisation non seulement du sous-sol, mais de l'environnement dans son
ensemble, la pollution, qui
devrait être considérée comme une atteinte à un droit de propriété, est
devenu un problème d'« externalité » géré par l'État au moyen d'une
réglementation. Dans les faits, l'État donne depuis plus d'un siècle des permis
de polluer à des industries et empêche les victimes de poursuivre les pollueurs.
On ne peut ainsi s'opposer au « développement économique » si ça fait l'affaire
du gouvernement et de ses copains du secteur privé qui financent sa caisse
électorale, même si ce développement nous agresse, détériore notre environnement
et notre propriété et tue notre qualité de vie.
Au départ, les
préoccupations soulevées par les artistes, les mouvements écologistes et tous
les citoyens qui ont manifesté ces dernières semaines sont donc bien réelles.
Comment est-il possible qu'une compagnie puisse débarquer chez vous ou chez
votre voisin et menacer votre environnement, votre eau, votre air, votre
sécurité, votre tranquillité, sans que vous puissiez rien y faire, sans que vous
puissiez en tirer de quelconques bénéfices ou sans qu'il soit clair que vous
serez adéquatement compensé? Aucun principe de la philosophie libertarienne ne
permet d'appuyer d'une telle situation. Au contraire, tout cela va exactement
dans le sens contraire d'une vision libertarienne de la société.
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