Le Québécois Libre, 15 février 2011, No 286. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/11/110215-3.html Chris Leithner est un investisseur professionnel en valeurs mobilières. D'origine canadienne, il vit en Australie depuis plusieurs années. Il collabore à l'occasion au Québécois Libre depuis plusieurs années. Son travail consiste à chercher les entreprises sous-évaluées pour y investir à la fois ses propres fonds et ceux qui lui sont confiés par les actionnaires de sa compagnie, fondée en 1999 à Brisbane, en Australie. Pour identifier ces entreprises, il s'appuie sur les critères préconisés par deux maîtres de l'investissement, soit feu Benjamin Graham et Warren Buffett. Son approche se distingue de la leur, cependant, dans la mesure où il se préoccupe des interventions gouvernementales, notamment monétaires, dans l'économie. À en juger par les rendements qu'il a obtenus jusqu'à présent, cette façon d'investir lui porte fruit (voir ici les tableaux des pages 6 - note 5 - et 18). Leithner s'y connaît également en économie et en histoire de l'économie. Son dernier livre, The Evil Princes of Martin Place, en constitue la preuve. Martin Place est le haut lieu de la finance en Australie. On y trouve notamment la banque centrale et les sièges sociaux des plus grandes banques du pays. Ce livre de quelque 350 pages n'aborde toutefois les questions financières locales que sur deux chapitres, sur un total de seize. Et encore, les critiques émises par l'auteur envers quelques acteurs locaux pourraient aussi bien être adressées aux autorités européennes et américaines tellement celles-ci préconisent les mêmes remèdes pour sortir de la crise. Ces chapitres se trouvent à la fin du livre, car ils proposent une façon d'investir à partir des connaissances historiques et économiques établies lors des chapitres précédents. Bien que le but premier du livre soit d'expliquer la dernière crise économique mondiale, on peut le considérer comme un abrégé de l'histoire monétaire des 100 dernières années tellement Leithner se sert de celle-ci pour expliquer celle-là. Par ce recours à l'histoire, l'auteur démontre qu'une bonne compréhension de la dernière crise permet également d'expliquer les crises qui l'ont précédée. Autrement dit, la responsabilité de ces crises n'est pas attribuable uniquement à quelques individus, comme on tente souvent de le faire croire, elle est systémique. Une large part de cette histoire fascinante est consacrée à la théorie monétaire. Considérant que la politique monétaire est contrôlée par l'État et que la finance en est tributaire, il s'agit d'un choix judicieux. L'état de l'économie dépend des choix politiques. Plus les interventions gouvernementales dans l'économie sont nombreuses et importantes, plus sérieuses sont les crises. Pour Leithner, la politisation de l'économie est particulièrement marquée dans les sociétés démocratiques. En effet, les gouvernements démocratiques se sont emparés peu à peu depuis le 18e siècle des libertés liées à la monnaie: liberté de la choisir, de l'émettre, de la certifier, etc. Aujourd'hui, plus rien ne reste de ces libertés, car ces fonctions sont monopolisées par l'État. Comme tous les monopoles, celui de la monnaie impose ses diktats. Les banques sont encouragées à maintenir dans leurs coffres uniquement une partie de l'argent des déposants, et à prêter et à investir le reste. À cause de cette politique, connue sous le nom de «réserves fractionnaires», les banques sont toujours en manque de liquidité. C'est la principale raison qui explique que lorsqu'une d'entre elles est mise à mal, les gouvernements se précipitent pour lui venir en aide dans le but d'éviter que soit dévoilée au grand jour cette fraude légalisée qui, si elle était reconnue comme telle, conduirait la plupart des banques à la faillite. Comme le souligne l'auteur, un manque de liquidité est à différencier de l'insolvabilité. Il y a insolvabilité lorsqu'une firme consomme plus de ressources qu'elle en produit, alors qu'il y a manque de liquidité lorsque les sorties d'argent dépassent les entrées d'argent à un moment inopportun. Par exemple, une entreprise peut être riche en actif et faible en dette, mais si elle ne peut respecter ses contrats, c'est-à-dire si elle ne peut pas payer ses créditeurs et fournisseurs au temps convenu, alors elle est conduite à la faillite. Ce n'est pas le cas des banques, du moins des plus grosses d'entre elles. Les banques manquent constamment de liquidités, mais elles sont rarement en faillites, car les gouvernements viennent à leur rescousse notamment par l'entremise de leur monopole sur la monnaie. Il y a donc injustice dans le fait de traiter le secteur bancaire différemment des autres secteurs d'activité. Cette injustice se double d'une inefficacité à produire de la richesse pour l'ensemble des consommateurs. Suivant ce constat, les solutions aux crises économiques sont évidentes: on doit abolir le monopole d'État sur la monnaie et exiger, sous peine d'amende, que les réserves des banques soient entières plutôt que fractionnaires. En d'autres mots, on doit exiger qu'elles soient liquides en tout temps. Cela implique en revanche de distinguer plus nettement le dépôt du prêt et de rétablir les libertés de choisir et d'émettre sa propre monnaie. Si cela devait arriver, il y a fort à parier que l'or et l'argent métallique seront de nouveau rétablis comme monnaies principales. The Evil Princes of Martin Place s'adresse à tous malgré ces nombreux tableaux remplis de ratios financiers. Les économistes y trouveront une riche source d'information mais aussi, à n'en pas douter, également de frustrations, car plusieurs des principales idées reçues de leur science sont constamment remises en question. À lire et à étudier! ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal. |