Mettez-vous à la place d'une famille d'immigrants non
francophones à Montréal. Dans la majorité des cas, ils ont
quitté leur pays et sont venus chez nous pour avoir plus de
possibilités de prospérer et de s'épanouir librement. Ils
ont certaines obligations, comme envoyer leurs enfants à
l'école française, mais doivent tout de même faire
différents choix dans leur vie privée et professionnelle
pour ce qui est d'investir dans l'apprentissage du français
et de l'anglais.
Plusieurs d'entre eux
choisissent de privilégier le français ou les deux langues
également. Il est évident qu'on a plus de chances de
prospérer et de s'épanouir, à tous égards, si l'on connaît
aussi le français lorsqu'on vit au Québec, y compris à
Montréal, où la majorité de la population est francophone.
Toutefois, on constate
que même en tenant compte de cet avantage, et même avec
l'obligation d'aller à l'école française, beaucoup
d'immigrants se détournent du français dès qu'ils en ont la
possibilité. Ils choisissent le cégep et l'université en
anglais et préfèrent vivre et travailler dans cette langue.
Est-ce si surprenant? Le
Québec est l'un des endroits les plus taxés, réglementés et
endettés en Amérique du Nord. Nous sommes l'une des
populations les plus vieillissantes dans le monde. Nous
avons proportionnellement moins d'entrepreneurs et moins
d'investissements privés qu'ailleurs au Canada. Tout ce qui
bouge au Québec semble avoir besoin d'une béquille étatique,
que ce soit des subventions ou des protections quelconques.
Les nationalistes sont constamment en train de lancer des
cris d'alarme pour nous mettre en garde contre notre
disparition prochaine.
La carotte française est
loin d'être bien appétissante. Elle l'est d'autant moins que
beaucoup de gens rejettent instinctivement ce qu'on tente de
leur imposer à coups de bâton, même s'ils pourraient en voir
l'intérêt autrement.
Dans un tel contexte, il
n'est pas si surprenant qu'une partie des immigrants ne
voient pas clairement l'avantage d'apprendre et d'utiliser
le français. Nombre d'entre eux ont, de toute façon, le
projet d'aller s'établir ailleurs au Canada plus tard.
Pourquoi investir dans une langue, le français, qui ne
rapportera pas grand-chose?
Si l'on se contentait
d'abolir la Loi 101 puis d'observer ce qui arrive, il
est fort possible en effet qu'avec les taux actuels
d'immigration (un débat connexe mais qui déborde le cadre de
cet article), l'anglais finirait par prendre le dessus à
Montréal, puis graduellement dans le reste du Québec. Le
français deviendrait une langue folklorique et survivrait
pendant quelques générations dans une société en déclin.
La solution libertarienne |
Ce n'est évidemment pas cela, la solution libertarienne.
Imaginez plutôt un Québec
plus libre (y compris un système d'éducation libéralisé où
l'on peut choisir la ou les langues d'enseignement), avec
une fiscalité, une bureaucratie et un endettement beaucoup
moins lourds, des entrepreneurs plus nombreux, une
population mieux éduquée (y compris sur le plan de la
maîtrise de l'anglais et des autres langues), bref, une
économie plus dynamique à tous égards. Une société où l'on a
confiance en soi et en sa capacité de concurrencer les
autres. Une société où l'on est responsable et l'on se prend
en main pour réaliser des choses au lieu de constamment se
tourner vers l'État. Une société où l'on cherche à attirer
les gens vers nous au lieu de leur donner le choix entre se
conformer et aller voir ailleurs.
Le calcul de notre
famille d'immigrants serait sûrement différent. L'anglais
restera bien sûr toujours un important atout de plus, mais
on aurait augmenté significativement l'attrait du français
comme outil d'avancement personnel. Même sans obligation
d'aller à l'école française, il est probable qu'un grand
nombre d'immigrants choisiraient d'envoyer leurs enfants
dans des écoles entièrement bilingues, ou dans des écoles
offrant à tout le moins un enseignement beaucoup plus poussé
de l'autre langue.
On aurait de plus éliminé
le sentiment de rejet que plusieurs de nos concitoyens
anglophones ressentent envers une langue qui leur est
imposée alors que la leur est officiellement réprimée. Le
français serait vu comme un atout incontournable dans une
société dynamique, libre et tolérante, et non comme une
relique qu'on tente de maintenir en vie de force dans une
société en déclin.
Si, 35 ans après
l'adoption de la Loi 101, on a encore l'impression
que le français reste menacé de disparition au Québec, c'est
peut-être parce qu'on s'y est pris de la mauvaise façon. La
méthode du bâton brime les droits de tout le monde,
francophones comme non-francophones. Elle n'est pas non plus
efficace. C'est une méthode de barbares, celle d'une société
irrémédiablement sur son déclin.
Nous avons le choix entre
continuer à vivoter et à décliner avec cette méthode, ou en
essayer une autre, celle de la carotte. Pour qu'elle
fonctionne, il faudrait l'appliquer intégralement, non
seulement en remettant en question la Loi 101, mais
en rejetant globalement cet étatisme étouffant dans tous les
domaines qui est la véritable cause du déclin du Québec.
Cette méthode ne garantirait certes pas elle non plus à 100%
la survie et l'épanouissement du français, mais elle ferait
au moins de nous des gens plus libres, plus prospères et
plus civilisés.
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