L'université, dernier bastion de la censure (Version imprimée)
par Pierre-Guy Veer*
Le Québécois Libre, 15 mars
2011, No 287.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/11/110315-14.html


L'université est un monde merveilleux. Elle permet de s'ouvrir l'esprit à un univers infini de connaissance, de rencontrer des gens de partout dans le monde et de former toutes sortes d'associations avec des gens qui pensent comme nous. Malheureusement, ce dernier droit semble être assujetti à des règles très tordues…

En effet, plusieurs universités au pays semblent avoir décidé de limiter la liberté d'expression à des niveaux « acceptables ». L'Université Carleton en Ontario est la dernière à empêcher les groupes dits pro-vie à manifester sur son campus; des personnes ont même été arrêtées. Tout cela parce que Carleton Lifeline a violé cette obscure politique anti-discrimination de l'association étudiante: « toute promotion, distribution, sollicitation, affichage, événement, etc., qui vise à limiter le droit des femmes à choisir ses options en cas de grossesse ne sera pas permis ».

Cette même association, dans ses politiques internes, dit condamner le sexisme et la xénophobie et ne pas supporter les groupes promouvant la haine et la discrimination. Cela ne semble pas empêcher plusieurs associations de cette université d’appuyer une campagne de boycott contre Israël. Parlant de l'État hébreu, supporter ce dernier peut être dangereux. L'an dernier, l'Université de York à Toronto a fait annuler une conférence pro-Israël sur son campus… tout en laissant libre cours à la semaine de l'apartheid israélien la semaine d'après.

Les groupes pro-Israël ne causent jamais de violence ou de débordement. Néanmoins, ils ont à assumer les frais de sécurité de leurs conférences et activités. Par contre, plusieurs groupes ayant organisé des activités anti-Israël qui avaient le potentiel de dégénérer en violence n'ont jamais eu de frais de sécurité à payer. Logiquement, ce sont les groupes anti-Israël qui devraient être censurés à cause de la violence qu'ils causent. Mais agir de la sorte serait naturellement vu comme de la censure et plus de violence s'ensuivrait. Alors c'est plus facile de censurer les groupes marginaux qui ne font pas de bruit…

Le point culminant d'une éducation aseptisée?

C'est dans cet esprit qu'Ann Coulter, controversée commentatrice conservatrice des États-Unis, a été contrainte d'annuler son discours à l'Université d'Ottawa. Cela a sans doute réjoui François Houle, vice-président de l'université, qui avait averti Mme Coulter de modérer ses propos, à défaut de quoi elle pourrait faire face à des poursuites criminelles pour discours haineux. Cela a aussi dû décevoir les membres d'un groupe Facebook qui souhaitait provoquer une émeute pendant son discours.

D'un certain point de vue, cela n'est pas surprenant. Dès notre tendre enfance, l'école nous enseigne à être gentil, à accepter tout le monde, bref à être des automates qui gobent le discours égalitariste qui prévaut, au Canada et ailleurs. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'une trouble-fête comme Mme Coulter, qui suggère aux musulmans de prendre des tapis volants ou des chameaux pour leurs déplacements plutôt que l'avion, ne viennent violer la conscience des « equity officers » dans les bureaux des rectorats.

Même si cela n'est pas surprenant, un tel précédent est dangereux. Si l'on accepte de censurer untel aujourd'hui à cause de la controverse, qui est-ce qui empêche les autorités de censurer un autre demain pour d'autres raisons?

Si le fait que certains discours doivent être censurés parce qu'ils dérangent certaines sensibilités, alors j'exige que l'on censure sur-le-champ tous les groupes keynésiens, communistes, altermondialistes, écologistes, bref tous ceux qui ont une dent contre le capitalisme parce que je trouve offensant que l'on questionne le meilleur système économique au monde. Il faudra aussi censurer tous les groupes religieux, regroupements dont les livres sacrés appellent pour la plupart à la haine et à la discrimination. Enfin, on doit interdire le rap; en plus d'être la pire abomination sonore de la planète, ce style de musique réussit à creuser le fond du baril qu'il avait atteint depuis longtemps en termes de vulgarité.

Il est très facile de trouver quelque chose qui peut déranger quelqu'un. S'il fallait que les universités prennent ce chemin, alors bien peu de gens auraient le droit de parler, même dans le monde scientifique. Les universités failliraient à leur mission d’éducation et deviendraient franchement soporifiques.

En conclusion, peu importe ce que vous pensez des groupes anti-avortement, pro-Israël ou qui disent des choses trop dérangeantes, vous devez au moins reconnaître leur droit de s'exprimer. « Si vous êtes en faveur de la liberté d'expression, c'est que vous acceptez les points de vues que vous détestez », disait Noam Chomsky. Et il a raison: ne permettre aucune dissidence, c'est du totalitarisme.

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* Pierre-Guy Veer est journaliste indépendant.