Montréal, 15 mars 2011 • No 287

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 

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Conservateur? Libertarien?
Néolibéral de droite? Whatever

 

par Martin Masse

 

          Le nationalisme et le socialisme ont tellement dominé tous les courants d'idée au Québec depuis cinquante ans que tout ce qui ne s'y rattache pas est considéré par notre establishment intellectuel comme un mets exotique en provenance de Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont on ne sait pas trop ce qu'il contient ni comment prononcer le nom.

 

          Les lecteurs du QL et du Blogue du QL savent que ça a pris des années avant que les journalistes qui parlent de nous utilisent le mot « libertarien » plutôt que « libertaire ». Pour ne pas avoir l'air trop déconnectés de la réalité en parlant d'un phénomène qui prend de l'ampleur, ils sont maintenant obligés de faire un peu plus attention. Ces dernières semaines, pour décrire la prise de position de Maxime Bernier sur la question linguistique, on a probablement lu et entendu plus de fois le terme libertarien dans les médias que durant les dix années précédentes.

          Il reste bien quelques ignorants professionnels qui continuent d'utiliser libertaire, notamment à La Presse où l'on est décidément dur de comprenure, mais ça n'a plus d'importance. Bientôt, on les regardera avec l'oeil compatissant qu'on accorde à ces gens qui pensent que les habitants de l'Inde sont des hindous, ignorant que ce mot décrit la religion d'une majorité d'Indiens et non leur citoyenneté.

          Cela dit, ce n'est pas parce que le mot libertarien commence à se répandre que tout le monde comprend bien ce qu'il signifie. On en a un bon exemple en lisant la recension que fait Jean-François Nadeau dans Le Devoir du 19 février dernier d'un nouveau livre sur l'histoire récente du conservatisme au Québec.

          J'ai acheté ce livre de Frédéric Boily à sa sortie il y a quelques mois et l'ai rapidement parcouru. Je voulais surtout savoir si l'on y parlait de nous. Il n'y a aucune mention ni du QL, ni des libertariens, ce qui se défend tout à fait.

          Même s'ils se recoupent sur certains points (tout comme les libertariens ont des points en commun avec les libertaires ou d'autres courants de gauche), le conservatisme et le libertarianisme sont deux courants philosophiques bien distincts. Les conservateurs mettent l'accent sur le respect de la tradition, l'autorité, les rapports sociaux conventionnels, la foi. Ce sont à bien des égards des étatistes. Et les courants conservateurs passés en revue dans cet essai depuis l'ère Duplessis sont souvent très éloignés de la perspective libertarienne.

Une grille d'analyse incohérente

          Ce n'est toutefois pas parce que sa grille d'analyse est entièrement cohérente que Boily nous ignore. C'est parce qu'il a créé une catégorie fourre-tout, le « conservatisme néolibéral » ou « droite néolibérale », qui lui permet de parler un peu de nous mais pas trop et sans définir clairement ses concepts.

          Entrent dans cette catégorie, selon l'auteur, les positions de Mario Dumont du temps de l'ADQ,

qui se révèlent similaires à celles qui sont avancées par des intellectuels de la droite néolibérale, comme Jean-Luc Migué ou encore Nathalie Elgrably. Gravitant dans l'orbite de l'Institut économique de Montréal – ce dernier s'inscrivant dans le réseau des thinks tanks ou des boîtes à idées de droite comme le Fraser Institute –, Migué et Elgrably se sont donné pour mission de propager des idées de droite sur le plan économique ainsi qu'une « nouvelle » conception de l'État.

          Cette description pose plusieurs problèmes. Dumont du temps de l'ADQ était simplement une girouette confuse qui grappillait des idées à gauche et à droite, parfois en faveur de moins d'État, d'autres fois plus.

          Par ailleurs, j'ai travaillé au fil des ans autant avec Jean-Luc que Nathalie. Jean-Luc a écrit plusieurs articles pour le QL. Je ne veux pas parler pour eux, mais s'il y a une façon simple de les décrire, c'est d'abord et avant tout comme des partisans farouches du libéralisme économique. Tout comme l'IEDM d'ailleurs, dont les positions n'ont rien à voir avec le conservatisme philosophique. Je le sais, j'ai été responsable de sa politique éditoriale pendant les sept premières années de ses opérations.

          Si l'IEDM, Migué et Elgrably peuvent faire partie de la tradition conservatrice, pourquoi pas le QL et les libertariens? Où est la frontière qui sépare ces idéologies? C'est quoi cette bébitte « néolibérale » qui est conservatrice sans l'être vraiment tout à fait?
 

« Si l'IEDM, Migué et Elgrably peuvent faire partie de la tradition conservatrice, pourquoi pas le QL et les libertariens? Où est la frontière qui sépare ces idéologies? C'est quoi cette bébitte "néolibérale" qui est conservatrice sans l'être vraiment tout à fait? »


          Boily réfère ailleurs à des « ultralibéraux [qui] vont préconiser le rejet de toutes traditions parce que celles-ci empêchent le progrès en freinant l'initiative individuelle ». C'est nous ça? Je ne connais pourtant personne dans la tradition libérale qui rejette toutes les traditions, une position complètement absurde tellement elle est englobante. Et qui n'a d'ailleurs rien à voir avec le libéralisme ou le libertarianisme, qui préconisent de laisser l'individu libre de choisir les traditions qu'il entend préserver ou non.

          Dans un livre qui prétend nous renseigner sur les courants idéologiques, on se serait attendu à une explication pas mal plus claire. Mais je soupçonne que comme la plupart des chercheurs universitaires de nos jours, Boily connaît à fond son sujet de recherche très pointu, mais ne connaît pas grand-chose des domaines connexes. Quelqu'un qui sait ce que sont les libertariens (ultralibéral est, comme néolibéral, un autre de ces termes péjoratifs repris uniquement par nos opposants et que personne n'utilise pour se décrire soi-même) ne les aurait jamais définis de cette façon absurde.
 

Les méandres des courants idéologiques

          Quoi qu'il en soit, le plus cocasse, c'est de voir comment Jean-François Nadeau (pourtant historien et politologue, qui a écrit des livres sur Adrien Arcand, Pierre Bourgault et Robert Rumilly) se perd dans les méandres des courants idéologiques et rajoute une épaisse couche de confusion dans sa recension.

          Il commence par associer Éric Duhaime et Maxime Bernier au conservatisme. Je connais aussi très bien les deux et si on devait décrire leur philosophie, il faudrait la rapprocher du libertarianisme et non du conservatisme tel que décrit plus haut (l'adhésion à un parti qui ratisse large comme le Parti conservateur du Canada n'a rien à voir avec une idéologie précise – de toute façon, la politique économique du gouvernement Harper est aujourd'hui social-démocrate).

          Puis, le chroniqueur verse carrément dans le délire. Lisez cette perle:

Les lieux où s'expriment les intellectuels du conservatisme d'aujourd'hui? Ils sont nombreux, selon les tendances de chacun. Les libertariens trouvent leur miel dans une revue comme Égards, un imprimé à la diffusion quasi confidentielle auquel collabore notamment l'écrivain Maurice G. Dantec. Égards, note Boily comme d'autres observateurs, paraît ouvertement « masculiniste, homophobe et islamophobe ».

          Aïe!!! J'ai déjà parlé d'Égards dans un article cherchant à définir la « droite » au Québec. Ses collaborateurs sont en effet plutôt obsédés par l'homosexualité et les musulmans. Ce sont des conservateurs sociaux, religieux, des néoconservateurs partisans de l'empire américain. Si Jean-François Nadeau croit que ce magazine est de tendance libertarienne, c'est qu'il n'a aucune idée de quoi il parle. Remarquez, ça fait peut-être partie des conditions d'embauche au Devoir.

          Même si nous sommes absents du livre, Nadeau mentionne tout de même le QL plus loin dans sa chronique. Il n'a peut-être pas compris que le QL est un magazine libertarien (il faut tout de même le féliciter de ne pas nous décrire comme libertaire!) mais, comme moi, il a bien vu qu'il était arbitraire de s'arrêter à Migué, Elgrably et à l'IEDM en parlant de la « droite néolibérale ». Complétant l'analyse de Boily, il étire donc le concept jusqu'à nous. Voici ce que ça donne:

Il [Frédéric Boily] évoque encore les gens en orbite autour de l'Institut économique de Montréal, comme l'économiste Jean-Luc Migué et Nathalie Elgrably-Levy, cette dernière étant surtout connue du grand public pour ses chroniques publiées dans Le Journal de Québec et dans Le Journal de Montréal. L'Action démocratique du Québec, du moins sous Mario Dumont, développe « des idées qui se révèlent similaires » à celles de cette droite néolibérale qui trouve aussi sa voix dans Le Québécois libre, un organe « en faveur de la liberté individuelle, de l'économie de marché et de la coopération volontaire ».

          Oubliez les 28 articles que j'ai écrits dès la fin des années 1990 pour dire que l'ADQ n'avait aucune idéologie cohérente et n'allait nulle part. J'étais dans les patates. En fait, Mario Dumont défendait les mêmes idées que le QL!

          Oubliez aussi mes nombreuses interventions pour distancer les libertariens de la « droite » et du terme « néolibéral ». Le QL, quoi que son fondateur et directeur prétende, ce n'est pas un magazine libertarien, mais plutôt l'organe de la « droite néolibérale ».

          Avant, ils nous ignoraient. Maintenant, compte tenu de notre influence grandissante, ils se sentent obligés de parler de nous. Tout croche, mais il faut être indulgent, les pauvres ont un tas de nouveaux concepts exotiques et de théories compliquées à apprendre. C'est comme la langue hindoue, ça ne s'apprend pas comme ça du jour au lendemain...
 

 

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