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Weingast (1995:1) avait noté le dilemme politique fondamental du système économique:
Comme le fédéralisme est une décentralisation du secteur public, l'analyse de la dichotomie décentralisation-centralisation se transpose intégralement à l'étude du fédéralisme. C’est l’objet de ce texte qui analyse différents aspects de ce régime politique: des conceptions différentes du fédéralisme, les faiblesses des contraintes constitutionnelles pour limiter le pouvoir central, les difficultés de bien mesurer le degré de décentralisation du secteur public. Il sera enfin nécessaire de poser la question: le fédéralisme est-il voué à l’échec?
Des conceptions différentes au départ entraînent naturellement des
conclusions différentes à l'arrivée. Les conclusions découlent des prémisses.
C'est aussi le cas pour le fédéralisme entre l'étude de l'entité abstraite du
système et celle de sa réalité concrète.
Le politicologue Riker a une conception plus réaliste du fédéralisme
américain: « Pour chaque fonction considérée, il n'existe vraiment pas de
division de pouvoirs entre les gouvernements constitutifs et le centre, mais
plutôt un mélange de pouvoirs ».
Voilà donc deux façons de percevoir le fédéralisme: la première y trouve une division du travail entre différents niveaux de gouvernement tandis que la seconde y voit plutôt une concurrence verticale à l'intérieur du secteur public. Cette dernière conserverait les mêmes propriétés que la concurrence en général et permettrait ainsi un meilleur agrégat de politiques touchant le citoyen, qui tienne compte des différents aspects ou dimensions à la fois nationaux et régionaux.
Les contraintes constitutionnelles ne forcent-elles pas une division
précise du travail entre les niveaux de gouvernement? Ce n'est pas le cas. Avec
la croissance rapide des interventions gouvernementales dans l'après-guerre, en
présence d'importantes zones grises dans la constitution et des pouvoirs
généraux très vastes accordés à l'État central, on a assisté au Canada, selon
les propres termes employés par le Bureau des relations fédérales-provinciales
du gouvernement fédéral, « à l'écroulement général pour ne pas dire complet des
barrières constitutionnelles traditionnelles ». Ce même document ajoutait:
Dans les faits, les constitutions évoluent d'une façon détournée, par exemple via le jeu des subventions conditionnelles par lesquelles le gouvernement central échange de l'argent contre du pouvoir. Une telle subvention modifie effectivement la division de la responsabilité à l'intérieur d'un système fédéral. Un bon exemple est l'imposante intervention fédérale sous différentes formes dans le secteur des soins de santé, champ de compétence provinciale.
Il est possible d'accepter d'une façon formelle le régime fédéral
tout en le niant dans sa pratique ou dans son vécu. Il s'agit de faire plus ou
moins implicitement l'hypothèse que l'autorité centrale agit comme un despote
bienveillant qui maximise l'intérêt national. Seul un manque d'information sur
l'intensité des préférences pour des services strictement locaux s'opposerait à
la limite à la centralisation des pouvoirs dans un seul niveau de gouvernement.
Cette approche envers le système fédéral, qui est répandue, n'étudie nullement
les mécanismes ou processus qui engendrent cette autorité si bienveillante.
Comme on le voit, le fédéralisme transpose les problèmes de la dichotomie centralisation-décentralisation. Il est utile d'en donner des applications.
Depuis plus de deux cents ans – surtout si l'on se réfère aux deux
livres importants publiés en 1776 par l'abbé Étienne Bonnot de Condillac et Adam
Smith –, les économistes enseignent les vertus du libre-échange comme source de
bien-être. Il permet un marché plus étendu, de même qu'une diminution des coûts
grâce à une meilleure division du travail et à un environnement concurrentiel
accru. Ceci est encore plus important pour une petite région: elle a en effet
davantage intérêt à se spécialiser et, même à court terme, elle n'a sur le
marché international aucun pouvoir monopolistique. De plus, le protectionnisme
exercé par d'autres juridictions ne justifie pas le recours à des mesures
protectionnistes, parce que le libre-échange, même unilatéral, accroît le revenu
total de la région.
L'importance des dépenses du secteur public québécois présente un
paradoxe. Malgré que le Québec soit considéré comme une province pauvre, le
gouvernement du Québec offre à sa population des services plus généreux que les
autres provinces tels le programme de garderie à sept dollars et des frais de
scolarité peu élevés pour les études postsecondaires. |
« La décentralisation exige des règles du jeu pour opérer et la grande partie de ces règles est déterminée par le gouvernement, donc par une autorité centrale. Il existe alors un paradoxe: pour laisser s'épanouir la décentralisation, on a passablement besoin de son contraire. » |
Le fédéralisme encouragerait ainsi une « contrainte budgétaire molle » pour les gouvernements inférieurs.
Dans l'étude de la dichotomie
centralisation-décentralisation, la question suivante se
pose: la décentralisation est-elle vouée à l'échec? Cette
question s’applique aussi au régime fédéral. Les processus
politiques ne pourraient-ils pas favoriser l'autorité
centrale, qui conserverait davantage certains pouvoirs
monopolistiques ou discrétionnaires? Au XIXe siècle, deux
analystes avaient perçu cette tendance vers l'hégémonie du
pouvoir central: Alexis de Tocqueville, dans De la
démocratie en Amérique (2008 (1835):1040), affirmait
que, « dans les siècles démocratiques qui vont s'ouvrir,
l'indépendance individuelle et les libertés locales seront
toujours un produit de l'art. La centralisation sera le
gouvernement naturel ». Lord Bryce, dans The American
Commonwealth, prétendait que « le fédéralisme n'est tout
simplement qu'une transition vers un gouvernement unitaire »(8).
L'histoire de la création des fédérations des pays
développés tend à confirmer ces jugements.
Les subventions du gouvernement supérieur aux autorités
inférieures changent les incitations à l’exemple des
subventions pour l'économie en général. Comme les
subventions concernent beaucoup plus les dépenses en
immobilisation par rapport aux dépenses courantes ou
d'opération, elles biaisent les décisions envers les
activités subventionnées. Comme le gouvernement du Québec
donne une subvention de 50% (qui a déjà atteint 75%) pour
l'achat de véhicules neufs sans contribuer aux dépenses
d'opération, les autorités régionales de transport en commun
sont alors incitées à renouveler plus rapidement leur flotte
en diminuant la durée de vie d'un autobus. Elles doivent, en
effet, assumer tous les coûts croissants d'une flotte plus
vieille. Ce phénomène engendre ce qu'on peut appeler des
autobus jetables ou autobus « kleenex ».
La concurrence verticale et les compromis qu'elle suscite
rendent plus difficile pour le citoyen l'identification de
la responsabilité des politiques et de leur financement.
Malgré que la constitution canadienne soit assez peu
contraignante pour le gouvernement fédéral, les données des
dépenses du secteur public des pays développés montrent une
grande décentralisation relative du secteur public canadien.
Avec une bonne marge, le Canada est au premier rang pour la
part des recettes et des dépenses des gouvernements non
centraux dans l'ensemble du secteur public (voir graphique).
Au Québec, en 2007, les transferts gouvernementaux
représentaient 12,5% des revenus de fonctionnement du
secteur municipal. Peut-on conclure à un haut niveau
d'autonomie de ce niveau de gouvernement? La réponse se
complique par la présence des importants cadres
réglementaires que lui impose le gouvernement du Québec pour
différents services.
Weingast (2009:281) définit cinq conditions pour obtenir un type idéal de fédéralisme qu’il qualifie de market-preserving federalism. Ce sont:
Ces conditions ne peuvent-elles pas être mises en parallèle
avec celles qui sont nécessaires pour préserver la
décentralisation dans l’économie? Le fédéralisme correspond
tout simplement à une forme d’ouverture du système
politique. Une telle ouverture demeure constamment menacée
par la présence des forces centralisatrices. |
1. Il reprend la pensée de
Tocqueville (1835): « C’est pour unir les avantages
divers qui résultent de la grandeur et de la
petitesse des nations que le système fédératif a été
créé ». A. de Tocqueville (2008: 231). |