Dans
cette perspective, le summum de l’artiste « libre » serait donc le type qui n’a
jamais eu à vendre ses oeuvres sur le marché et qui enseigne dans le secteur
public. Il n’a pas à se préoccuper de ce que les consommateurs veulent et ne
fait uniquement que ce qu’il lui plaît. Évidemment, il n’y a rien de mal à ne
faire que ce qui nous plaît, tant et aussi longtemps que cela n’implique pas une
tierce partie – en l’occurrence, les contribuables.
Comme il n’a pas à
satisfaire les goûts d’éventuels clients, mais doit faire affaire avec des
fonctionnaires dont le mandat est de redistribuer la richesse à partir de
critères préétablis, notre artiste « libre » vit souvent dans une bulle. En
résultent des séries de monochromes, de la poésie incompréhensible, des
installations bidon, des symphonies cacophoniques… autant de biens culturels
donc seule une infime partie de personnes « éclairées » (et souvent en
moyen) veulent.
Encore une fois, qu’une
artiste réalise ce genre d’oeuvres hermétiques et qu’elle les finance avec son
argent – ou celui de sa blonde –, personne n’a rien à redire. Le problème est
que
plusieurs artistes le font aux frais de contribuables qui: 1) l’ignorent; 2)
n’entreront jamais en contact avec leurs « oeuvres »; et 3) n’en voudraient pas
même si on leur offrait ces oeuvres gratuitement.
Vous
voulez voir à quoi ressemble un artiste réellement libre? Rendez-vous sur
le moteur de recherche le plus près de chez vous et tapez « Christo ».
Vous le connaissez peut-être. Reconnu internationalement, le natif de Bulgarie a
passé plus de 40 ans à emballer des édifices ou d’énormes structures (le
Pont-Neuf à Paris, une allée de
Central Park à New York, ou le
Reichstag à Berlin, pour ne nommer que ceux-là) de toiles de couleurs vives.
Avec son épouse Jeanne-Claude (maintenant décédée), il a créé des oeuvres
éphémères « célébrant la joie et la beauté », sans jamais exiger de prix
d’entrée pour le spectacle. Fait à noter: Christo et Jeanne-Claude n'ont jamais
accepté – et Christo dit qu’il n’acceptera jamais – de subventions, de
redevances, ou de commandites de toutes sortes pour créer leurs oeuvres. De
même, ils n’endossent aucune entreprise, produit, mouvement politique, autre
artiste, bref: rien ni personne.
« Toutes nos idées
sortent de notre tête et de notre coeur, affirmait Jeanne-Claude dans une
entrevue à La Presse en 2008. À ceux qui voudraient nous attirer dans
leur ville, nous répondons que la meilleure façon de tuer une bonne idée c'est
de nous la proposer. Nous voulons faire ce que nous voulons, comment nous le
voulons. Le seul élément sur lequel nous n'avons aucun contrôle c'est quand.
Pour le reste nous demeurons entièrement et totalement libres. » – ce qui est
une bonne chose, car un mégalomaire du type Régis Labeaume à Québec pourrait se
mettre en tête d’inviter l’artiste à venir emballer le Château Frontenac ou un
éventuel amphithéâtre (!) aux frais de ses concitoyens…
Il ne doit pas rouler sur
l’or, que vous vous dites? Eh bien détrompez-vous! Christo jongle avec les
millions. Comment fait-il? Tous ses revenus sont tirés de la vente de ses
oeuvres originales (croquis, photographies, plans) à des collectionneurs, des
galeries et des musées. Christo et Jeanne-Claude ont toujours maintenu une
position de liberté artistique totale, sans contraintes ou considérations
financières.
À titre
d’exemple, Christo travaille depuis une vingtaine d’années sur le projet
Over The River
(Au-dessus de la rivière). Il s’agit en gros de suspendre 5,9 milles
(9.65 Km) de panneaux de tissu transparent à 25 pieds (7.62 mètres) au-dessus
d’une portion de 42 milles (67.59 Km) de la rivière Arkansas située entre Salida
et Canon City, dans le centre-sud du Colorado.
Avant même d’avoir reçu
le feu vert des autorités locales, il a d’ores et déjà dépensé 7 millions de
dollars sur des éléments de logistique – permis, études, plans, etc. Si tout va
bien, il espère présenter Over The River pendant deux semaines
consécutives en août 2014. Le coût total de l’événement: environ 50 millions $
(ce qui comprend l’installation, la désinstallation, les différents services
durant l'exposition – le contrôle de la circulation, l'enlèvement des ordures,
la sécurité, les interventions d'urgence, etc.).
|