Le Québécois Libre, 15 août 2011, No 291. Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/11/110815-2.html Dénoncer autrui à l’autorité est malheureusement un comportement fréquent, qui répond aux pulsions les plus viles de l’être humain: volonté de vengeance, jalousie, collaboration avec le pouvoir établi. Les régimes les plus sordides ont profité de cette vocation d’un grand nombre à imiter Judas; les pires d’entre eux ont suscité la délation en la rémunérant ou en y incitant par la peur. L’actualité d’aujourd’hui, notamment, mais pas exclusivement, dans les domaines fiscal et financier, montre à nouveau – comme si l’histoire du 20ème siècle n’avait pas suffi à en fournir des exemples – qu’un régime élu peut tomber dans les mêmes travers. La délation est d’ailleurs d’autant plus aisée lorsqu’à force de légiférer sur pratiquement toutes les activités humaines, on en vient à édicter un tel nombre d’interdictions que plus personne n’est en mesure de les identifier, de sorte que, consciemment ou non, chaque personne qui a une activité économique finit un jour par commettre un acte visé par la loi pénale. Dans le domaine fiscal, environ 40% des dossiers ouverts par les services spécialisés belges dans la lutte contre la fraude proviennent de dénonciations. Actuellement, celles-ci ne sont pas rémunérées par l’administration, mais rien n’est fait non plus pour les décourager, et le commentaire administratif oblige au contraire les fonctionnaires à en faire usage. La Belgique est loin d’être le seul pays où de tels actes sont commis. L’exemple d’employés de banques ou de fiduciaires, en Suisse ou au Liechtenstein, qui conservent des listes de titulaires de comptes, et les monnaient ensuite auprès des autorités d’autres pays, est édifiant. Ils constituent d’ailleurs le seul vrai scandale dans la lutte actuelle contre les paradis fiscaux. Non pas tellement parce que des individus isolés se comportent de manière odieuse, mais parce qu’il existe des États voyous pour les rémunérer, les protéger, et utiliser des informations obtenues dans des circonstances qui s’apparentent au recel. Ces États, dont les États-Unis qui ont instauré un programme officiel de rémunération des délateurs de cette espèce, se présentent tous comme des « démocraties » et des « États de droit ». Ils font d’ailleurs bien pire que de profiter de la malhonnêteté d’autrui. Suivant les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), ils ont tous édicté des lois rendant, dans des circonstances de plus en plus fréquentes, la délation obligatoire, à tout le moins pour un certain nombre de professionnels. Chacun sait que les législations en matière de blanchiment obligent les banquiers, et depuis lors des tas d’autres professions, à dénoncer leurs clients sur un simple soupçon d’infractions considérées comme graves. Le pouvoir a fait accepter de telles mesures par l’opinion en lui faisant croire qu’elles visaient des crimes que celle-ci jugeait légitimement comme particulièrement repoussants. Aujourd’hui, on se rend compte que cet arsenal législatif n’est pratiquement jamais utilisé pour combattre le crime organisé, le trafic de drogue, ou le terrorisme, mais bien pour détecter de simples fraudes fiscales, qu’une partie importante de la population, d’après des sondages constants, n’arrive pas à désapprouver, quand elle ne reconnait pas s’y livrer elle-même… Recommandation après recommandation, directive après directive, cet arsenal répressif devient un système de contrôle policier, qui transforme des millions de personnes, qui n’ont jamais choisi de travailler pour le pouvoir, en informateurs obligés de celui-ci. On a franchi ainsi un degré supplémentaire dans l’utilisation de la délation en la rendant obligatoire, et ce pour un nombre de plus en plus important de faits, et pour des catégories toujours plus étendues de personnes. En agissant ainsi, les États ont, en douceur et sans jamais le reconnaître, modifié subrepticement la nature du rapport qui les lie aux citoyens, et notamment aux contribuables. Il ne s’agit plus seulement d’obliger ceux-ci à respecter les lois, même lorsqu’elles ne sont plus « respectables », mais bien, en outre, de les contraindre à obliger les autres à les respecter et à faire d’eux, sous la contrainte, des collaborateurs de l’autorité. C’est dans le domaine fiscal que ce comportement des États, qui est caractéristique de l’ensemble de leur activité régalienne, est sans doute le plus dangereux: c’est en levant les impôts que le pouvoir s’attribue les moyens d’accroître sa politique de contrôle et de répression d’un nombre toujours croissant d’activités. Dans le domaine fiscal, les États ne s’attaquent en outre pas à quelques minorités agissantes, mais à l’ensemble des citoyens, puisque, d’une manière ou d’une autre, chacun finit par être un contribuable. S’ils ont cette possibilité, c’est simplement parce qu’à la différence des autres groupes, celui des contribuables n’est pas organisé. ---------------------------------------------------------------------------------------------------- * Thierry Afschrift est avocat au barreau de Bruxelles et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est membre de la Ligue des Contribuables (Belgique). |