Perte de plus de 1000 emplois, factures d'électricité susceptibles de
grimper, le ton alarmiste associé à cette avalanche de messages
publicitaires m'a incité à y voir de plus près; j'ai donc suivi la
recommandation des messages et je me suis rendu sur le site web
www.compteursenor.com
expressément développé et mis en ligne pour documenter ces catastrophes
annoncées. Le site contient des liens vers quelques articles publiés
par des quotidiens, mais les deux documents les plus importants sont:
Analyse d'impact économique du recours aux compteurs à lecture à
distance par Hydro-Québec, SCFP, Pierre-Guy Sylvestre (économiste), le
14 juillet 2011. Projet lecture à distance Phase 1, Hydro-Québec, HQD-1
Document 1, Demande R-3770-2011, soumise à la Régie de l'énergie du Québec, 30 juin
2011.
1. Le projet d'Hydro-Québec
De façon succincte, le projet d'Hydro-Québec prévoit le remplacement des
compteurs de tous ses clients, sauf ses clients de grande puissance
soumis au tarif L, par des compteurs permettant la lecture ainsi que
l'interruption et la remise en service à distance. Au total, Hydro-Québec
projette donc de remplacer 3.75 millions de compteurs sur la période
2012 à 2017, soit 5 ans, avec cependant la majorité des compteurs (3.4
millions) remplacés dès la fin de 2015.
Hydro-Québec évalue le coût total du projet à près de $1 milliard et les
bénéfices actualisés du projet à $300 millions sur une période de 20
ans. Un des aspects principaux de l'analyse effectuée par Hydro-Québec
est que, dans le cadre de cette demande, elle ne s'en tient qu'aux coûts
et bénéfices générés par la lecture et l'interruption et la remise en
service à distance (ce qu'Hydro-Québec appelle le « Périmètre du
Projet »). Hydro-Québec précise cependant qu'à long terme, elle souhaite
se diriger vers un réseau intelligent de type « Smart Grid » et que, par
conséquent, elle a exigé des fournisseurs que les nouveaux compteurs
permettent l'installation de nouvelles fonctionnalités.
Je reviendrai sur ces questions de nouvelles fonctionnalités plus loin
dans ce texte, mais il suffit de souligner pour l'instant que l'approche
d'Hydro-Québec a pour effet de circonscrire les bénéfices du projet aux
seuls gains d'efficience engendrés par la lecture, l'interruption et la
remise en service à distance; par conséquent ce sont les suppressions
d'emplois chez les releveurs de compteurs, les employés affectés aux
interruptions et mises en service ainsi qu'au niveau du service à la
clientèle qui constituent les bénéfices escomptés du projet. Au total,
Hydro-Québec estime que 726 postes seront éliminés d'ici 2018, dont 603
postes liés aux activités de relève, les autres postes étant reliés aux
débranchements et rebranchements ainsi qu'à un certain nombre de postes
du service à la clientèle qui ne seraient plus requis. Toutefois,
Hydro-Québec a tôt fait de mentionner qu'à cause de circonstances
particulièrement favorables, personne ne perdrait son emploi; avec les
mises à la retraite prévues durant la période et le taux de roulement
normal dans ces types d'occupation, Hydro-Québec prévoit donc que moins
de 300 employés devront être relocalisés au sein d'autres unités
de l'entreprise, ce qu'elle s'engage formellement à faire.
Si l'on passe maintenant à l'analyse du SCFP, le
document nous indique que l'impact économique a été établi à partir du
modèle intersectoriel du Québec de l'Institut de la statistique du
Québec en tenant pour acquis la perte de 800 emplois et les dépenses
estimées de ces 800 travailleurs. Bien que cette analyse accepte
d'emblée, sur le plan méthodologique, l'hypothèse selon laquelle
personne ne sera congédié, l'analyse traite la situation comme s'il
s'agissait d'une fermeture d'usine, une « destruction d'emplois » comme on peut le lire dans le texte. Et comme les compteurs sont
fabriqués en dehors du Québec, l'analyse du SCFP fait l'hypothèse que hormis
leur achat, ni leur installation et ni leur opération n'engendrent de
bénéfices économiques. Il y a donc a priori deux erreurs fondamentales
dans l'analyse effectuée par le SCFP, la première étant d'ordre
méthodologique et la seconde étant d'ordre quantitative.
2.1 L'erreur méthodologique |
L'analyse du SCFP traite la situation comme si il s'agissait d'une
fermeture d'usine, où la suppression d'emplois est accompagnée d'une
destruction de la production de l'usine en question. Or ce n'est
évidemment pas le cas dans la situation qui nous concerne; le
projet d'Hydro-Québec est un projet qui modifie les coefficients de
production, la production elle-même, toutes autres choses étant égales
par ailleurs, n'étant pas affectée.
Pour bien comprendre l'absurdité du
raisonnement du SCFP, on n'a qu'à imaginer une société agricole où la
technologie existante est caractérisée par l'utilisation de la charrue
et des boeufs. Survient alors une innovation technologique qui s'appelle
le tracteur, mais qui est malheureusement fabriqué par John Deere aux
États-Unis. Dans un tel cas, l'analyse du SCFP conclurait que
l'utilisation des tracteurs est néfaste pour l'économie québécoise. Et
il en serait de même pour l'utilisation d'ordinateurs; ceux-ci étant
importés, il serait mieux que l'on continue à utiliser des dizaines de
milliers d'employés cléricaux qui conserveraient ainsi leur emploi.
De
fait, la faiblesse de l'argumentation est encore plus facile à comprendre
si l'on prenait pour hypothèse que les 800 travailleurs avaient
réellement perdu leur emploi. Dans un tel cas, on se retrouverait avec
une situation où la production d'Hydro-Québec n'a pas changé et où les
800 travailleurs (ou à tout le moins, une partie d'entre eux) produisent
de nouveaux biens et services, ce qui fait que l'économie du Québec dans
son ensemble est plus riche.
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