Aux
yeux de beaucoup, la Guerre Civile a marqué la « seconde naissance des
États-Unis », près d'un siècle après l'Indépendance: « A New Birth in Freedom »,
d'après les mots mêmes d'Abraham Lincoln. Selon cette interprétation, Lincoln a
défendu l'Union et les libertés, dans la continuité des Pères fondateurs.
Pour d'autres, cette
guerre fut une révolution jacobine à la française, instaurant l'État moderne,
avec son pouvoir centralisateur écrasant. Cette interprétation, politiquement
incorrecte, fut celle de Lord Acton, le grand historien britannique du XIXe
siècle, ainsi que celle de Gustave de Molinari en France à la même époque. Nous
évoquerons aussi, dans cette ligne, le point de vue du philosophe politique
conservateur du XXe siècle Frank Meyer et de l'historien contemporain Thomas
Woods du Mises Institute.
Commençons par préciser que le Sud était constitué des anciens États
esclavagistes du sud des États-Unis ayant fait sécession en 1860-1861 et formé
une confédération (les « confédérés »). Ainsi, le Sud regroupait les deux
Carolines, la Géorgie, la Floride, l'Alabama, le Mississippi, la Louisiane, le
Texas, la Virginie, l'Arkansas, le Tennessee et l'Oklahoma. Les victimes
militaires de la Guerre Civile représentent environ 2% de la population de
l'époque, ce qui correspondrait aujourd'hui à environ 6 millions de morts. À
quoi il faudrait ajouter le chiffre indéterminé des morts civils.
Les historiens
s'accordent autour du chiffre de 620 000 soldats tués ou disparus (360 000
Nordistes, dont 110 000 tués au combat, et 260 000 Sudistes, parmi lesquels 93
000 tués au combat) et environ 412 000 blessés (275 000 Nordistes et 137 000
Sudistes). La Guerre Civile fut plus meurtrière pour les Américains que la
Seconde Guerre Mondiale (400 000 morts). Une plaie ouverte qui ne s'est pas
encore refermée. Alors que certains États du Sud, comme la Géorgie, n'ont
retrouvé leur bonne santé économique que dans les années 1990, d'autres, comme
la Louisiane, n'ont jamais pu remonter la pente.
Une guerre menée au nom de conceptions antagonistes
de la liberté |
Il est bien vrai que le Sud défendait la suprématie de la race blanche et la
légitimité de l'esclavage. De ce point de vue, le Nord s'est battu au nom de la
liberté et de la dignité humaine. Et on doit se réjouir d'une conséquence
heureuse de la guerre: la libération de 4 millions d'esclaves noirs et la fin
d'un cauchemar, que rien ne saurait justifier.
Mais la question
douloureuse de l'esclavage et de la race ne fut pas seule en cause dans cette
guerre. Au-delà de ce motif, le désaccord entre le Nord et le Sud avait commencé
dès la naissance de la République. L'origine du désaccord fut d'abord économique
et fiscal avant de prendre une tournure politique. Sur un plan économique, le
Nord manquait cruellement de main d'ouvre pour son développement industriel en
pleine expansion. De son côté, le Sud importait ses marchandises de l'Europe
parce qu'elles étaient de meilleure qualité et moins chères que les marchandises
produites dans le Nord. Le Sud était libre-échangiste et le Nord voulait taxer
ces échanges à l'importation comme à l'exportation. Le Nord voulait reproduire
l'ancien modèle britannique d'État centralisé et impérial alors que le Sud
voulait moins d'État, moins de protectionnisme et moins d'impôts. Mais surtout,
des questions constitutionnelles cruciales, laissées en suspens depuis la fin du
XVIIIe siècle, avaient refait surface. Selon certains historiens, l'origine de
la guerre fut liée aux droits des États et à la défense de leur autonomie par
rapport aux lois de l'Union.
Au XIXe siècle: Lord Acton et Gustave de Molinari
|
Lord
Acton admirait le caractère fédératif du système politique américain originel
comme le meilleur exemple de la façon dont une éthique de la liberté
individuelle pouvait être conciliée avec l'autonomie d'importantes communautés.
Et il admirait la Confédération comme l'expression la plus avancée d'un tel
système politique. Lord Acton a vu dans cette victoire de la centralisation une
défaite pour les valeurs de la vie civilisée en Occident. Dans une lettre de
novembre 1866 à Robert Lee, Acton écrit: « J'ai vu dans les droits des États la
seule garantie prévalant sur l'absolutisme de la volonté souveraine et la
sécession m'avait rempli d'espoir, non pas comme la destruction, mais comme la
rédemption de la démocratie. Par conséquent, je juge que vous vous battiez pour
notre liberté, le progrès de notre civilisation, et je pleure pour ce qui a été
perdu à Richmond davantage que je me réjouis de ce qui a été sauvé à Waterloo ».
Le fait est que l'administration d'Abraham Lincoln a jeté des milliers de
dissidents en prison dans les États du Nord, a fermé des centaines de journaux,
a suspendu la règle de l'habeas corpus, et a annulé les réunions des
assemblées législatives des États.
|